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Hatherence réfléchit pendant quelques secondes.

— Un tailleur, même distingué, deviendra-t-il nécessairement un bon amiral ?

— Sans doute pas plus mauvais qu’un militaire de carrière.

Le problème, c’était que les professions des Habitants n’étaient en réalité que des hobbies ; les postes et positions importantes, des sinécures. Ce tailleur, dont parlaient d’une façon si animée Y’sul et l’Administrateur, n’avait probablement aucun besoin d’exercer cette profession. Il devait simplement avoir découvert par hasard qu’il possédait les aptitudes requises pour exercer ce passe-temps (à savoir une propension certaine à bavarder et à colporter des ragots). Il ne prenait donc des clients que pour servir sa réputation. Plus ses clients étaient distingués et occupaient un poste important, plus sa réputation était bonne, même si les postes prétendument importants étaient pourvus par un système de loterie, de rotation ou sous la menace – les Administrateurs de ville étant choisis en usant des trois méthodes à la fois, mais en les dosant différemment selon la ceinture ou la zone concernée. Ce qui, au bout du compte, permettait à l’Administrateur (ou Administratrice) de Hauskip de glisser dans toutes ses conversations le nom de son si distingué tailleur.

Manifestement, Y’sul jouissait lui-même d’une belle réputation pour s’être permis de recourir aux services d’un personnage si important. Ceux qui ne bénéficiaient pas de son prestige devaient se contenter de tailleurs moins en vue, voire se fournir en vêtements auprès du Fond commun, où on ne trouvait que des produits de piètre qualité – y compris des vaisseaux spatiaux –, accessibles à tous, à condition bien sûr d’être un Habitant.

Fassin avait déjà vu des vaisseaux construits par la civilisation de Nasqueron, et force lui était d’admettre que leur architecture erratique et dénuée de logique avait ses limites.

— Il est vrai, reprit Y’sul, que cela fait des siècles et des siècles que je demande à être nommé officier, mais rien n’y fait. J’ai l’impression d’avoir été complètement oublié. S’engager en tant que simple matelot peut paraître dégradant, toutefois c’est une tactique qui pourrait très bien s’avérer payante à moyen terme.

— Bien sûr, évidemment, commenta l’Administrateur avant de s’interrompre pour poser son regard sur le colonel. Qu’est-ce que c’est ?

— Un Oerileithe, un petit habitant, répondit Y’sul avec une pointe de fierté.

— Quelle grâce ! Ce n’est pas un enfant ?

— Non. Ni de la nourriture. J’ai déjà demandé.

— Heureuse de faire votre connaissance, dit le colonel avec toute la dignité du monde.

Apparemment, les Oerileithes inspiraient beaucoup moins de respect que Fassin – et probablement le colonel – ne l’aurait cru. Leur civilisation s’était développée assez récemment et à l’écart de leurs vénérables voisins Habitants, aussi était-elle considérée par ces derniers comme inutile ou comme une bande de parvenus, usurpateurs de planètes.

— Je suppose que ceci est le Voyant Lent, dit l’Administrateur en se tournant brièvement vers le gazonef de Fassin. Devons-nous parler lentement pour nous faire comprendre ?

— Non, Administrateur, s’empressa de répondre Fassin pour ne pas laisser à Y’sul le temps de réagir. Pour le moment, j’utilise la même échelle temporelle que vous.

— Comme c’est heureux ! fit l’autre en se penchant sur le côté et en dépliant un membre pour mettre en route un holoprojecteur, qui illumina l’avant de ses roues. Hum… Je vois. Vous êtes donc responsable de toute cette agitation et de ces destructions, n’est-ce pas ?

— Des destructions ?

— Ce qui est arrivé à la lune baptisée Troisième Furie est suffisamment grave pour être qualifié de destruction, il me semble. C’était une bien belle lune, un astre très agréable à regarder, à condition bien sûr de s’élever au-dessus de la couche nuageuse. Elle est là depuis des millions d’années. Hier, nous avons presque failli la perdre définitivement. Maintenant, elle est entourée d’un anneau de débris. Son orbite a été bouleversée, et nous avons dû nous adapter à cette altération. Notez également que trois bandes ont été bombardées de débris, que des installations à la valeur sentimentale importante ont été manquées de peu par des morceaux plus gros – merci à nos défenses aériennes automatisées – et que de nombreux satellites sont toujours hors d’usage. Ah ! j’allais oublier cette explosion nucléaire non autorisée. Elle a eu lieu au milieu de nulle part, c’est vrai, mais tout de même… Heureusement, rien de tout cela n’a eu lieu dans ma juridiction. Néanmoins, vous êtes aujourd’hui dans ma ville, Voyant Taak, et je n’ai guère envie de voir ces choses arriver chez moi. Vous pensez rester longtemps ? demanda l’Administrateur en se rapprochant quelque peu de l’humain.

— Eh bien…, commença Fassin.

— Fassin Taak est sous ma protection, Administrateur ! l’interrompit Y’sul. Je me porte garant de lui et suis prêt à mettre ma réputation entre ses mains. Je ferai le nécessaire pour le protéger et tenir à l’écart les forces hostiles qui lui voudraient du mal. Puis-je compter sur votre soutien pour organiser l’expédition proposée par l’humain dans la zone de guerre ?

— Accordé, répondit l’Administrateur.

— Splendide ! Nous serons prêts à partir d’ici à quelques jours. Mais je dois d’abord persuader mon tailleur Deystelmin de traiter ma commande en priorité.

— Je lui en parlerai.

— C’est très aimable à vous ! Je jure de ne jamais proposer de vote punitif contre vous.

— Ma gratitude est sans limites.

Si les Habitants étaient capables de serrer les mâchoires, pensa Fassin, l’Administrateur devait être en train de parler entre ses dents.

— Euh, excusez-moi.

— Oui, Voyant Taak ?

— Avez-vous des nouvelles du reste du système ?

— Comme je viens de le dire, les divers anneaux et lunes sont en train de modifier leur orbite pour compenser le…

— Je crois qu’il parle du système solaire, et non pas de Nasqueron, dit le colonel Hatherence.

Les deux Habitants se tournèrent vers l’officier. Ils étaient pourvus de bandeaux sensibles tout autour de leurs roues, ainsi que d’une paire d’yeux accrochés aux extrémités du moyeu. Ils n’avaient pas forcément le regard le plus sévère de la galaxie, mais quand ils s’en donnaient la peine, ils se débrouillaient plutôt bien. La planète d’origine d’un Habitant était tout pour lui. La plupart des géantes gazeuses possédaient plus de lunes que la majorité des systèmes solaires n’avaient de planètes ; elles irradiaient plus de lumière qu’elles n’en recevaient de l’étoile autour de laquelle elles orbitaient. Ainsi, leur système de transfert de chaleur, leur météo et leur écologie étaient largement les fruits de processus internes, non dépendants de la lumière du soleil. Leur population devait prêter beaucoup d’attention aux cieux, mais leur mode de pensée n’en était pas moins centré sur leur géante gazeuse. De fait, l’étoile de son système et les planètes qui composaient ce dernier n’intéressaient que très peu l’Habitant lambda.

— Ce n’est pas exactement ce que j’ai voulu dire, dit rapidement Fassin. La lune ’glantine, par exemple, a-t-elle été touchée ?

— Pas à ma connaissance, répondit l’Administrateur en toisant une nouvelle fois Hatherence.

— Et les navires militaires qui étaient en orbite autour de Troisième Furie ? demanda le colonel.