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— Oh-oh ! fit Y’sul.

Le projectile décrivit alors une trajectoire parfaitement rectiligne, fonça vers le nez du cuirassé. Il n’était plus qu’un point noir qui grossissait à vue d’œil.

— Ils sont équipés d’un système d’autodestruction, n’est-ce pas ? demanda Hatherence en se tournant vers Fassin.

Quelques Habitants se regardèrent furtivement, avant de se précipiter vers le tube d’accès et de créer un embouteillage autour de la porte. Les enfants esclaves, également pressés de se mettre à l’abri, tentèrent de transpercer la foule et, pour certains, furent repoussés sans ménagement.

Dans le ciel, le point continuait de grossir.

— Ils n’ont qu’à lui donner l’ordre d’exploser maintenant…, dit le colonel en reculant doucement.

Un bruit de sirène haut perché retentit quelque part à l’intérieur du scaphandre de l’Oerileithe. Dans leur dos, la foule continuait de crier et de jurer, sans toutefois parvenir à s’écouler dans le tube. Le Brise Tempête entreprit de virer de bord avec une lenteur affligeante.

— En théorie, ils peuvent le détruire, dit Fassin, mal à l’aise, en observant la mêlée constituée autour de la porte. Ils ont des armes d’interception de courte portée.

Un enfant esclave frénétique fut éjecté de la foule par le haut. Il hurla, jusqu’au moment où il heurta le plafond et retomba, sans vie, sur le pont légèrement incliné.

Désormais, le missile était reconnaissable et ne ressemblait plus du tout à un point noir. Ses ailes courtaudes et son stabilisateur étaient nettement visibles. Le Brise Tempête continuait de tourner douloureusement. Le missile plongeait dans sa direction en expulsant des fumées noirâtres. Hatherence s’éjecta de sa place et s’avança jusqu’à la baie d’observation en panneaux de diamant.

— Restez en arrière, commandant, envoya-t-elle.

Alors, un bruit terrifiant déchira l’atmosphère du pont au-dessus et derrière eux, et un filet de traînées blanches aussi fines que des doigts se déploya devant le nez de l’appareil. Le missile commença à se désintégrer, puis explosa. Les armes d’interception continuèrent de tirer, touchant à de nombreuses reprises les débris les plus importants, de sorte que, lorsque les éclats de métal finirent par frapper le pont du poste d’observation, ils ne causèrent que peu de dégâts et ne firent que des blessés légers.

Le cuirassé les conduisit jusqu’à Munueyn, une cité en ruine qui flottait au milieu des gaz épais et sombres de l’atmosphère inférieure, où les tourbillons de turbulences vous léchaient comme la langue lascive d’un serpent planétaire tout-puissant ; un endroit tout en flèches et en spires, quasi désert, démodé depuis longtemps, un ancien centre d’étude sur les tempêtes trop éloigné de tout pour attirer qui que ce fût, une cité dont la réputation aurait pu être honorable, si elle avait été à proximité et non pas au centre d’une zone de guerre. Une frégate ailée vint les chercher sur le cuirassé et les déposa dans le hall géant et caverneux de ce qui avait été la gare principale et noire de monde de la ville. Quelques passagers et sergents recruteurs les accueillirent en héros. Ils trouvèrent facilement à se loger sans avoir à se démunir de leur « capital réputation ». En fait, on les paya même pour qu’ils restent.

— Monsieur ! appela Sholish, au milieu de la foule d’admirateurs qui se bousculaient dans la cour, sous leurs fenêtres. Un aubergiste à l’excellente réputation et aux relations très intéressantes dans le milieu du transport de guerre vous prie de considérer de près sa proposition de mettre à votre disposition une véritable flotte d’une demi-demi-douzaine d’appareils en parfait état et très bien équipés, qui seront prêts à partir moins d’une heure après leur arrivée ici.

— Ce qui signifie quand, exactement, mon cher petit tortionnaire ?

— Demain, monsieur. Au pire, après-demain. Il me l’a assuré.

— C’est inacceptable ! Oui, profondément et absolument inacceptable ! s’exclama Y’sul en haussant les roues pour appuyer son propos.

Il était arrimé à une terrasse fleurie, juste au-dessus de la Taverna Bucolica, assez près de la place centrale de la ville pour sentir l’exaspération du maire. Il piocha dans un pharmacylindre offert au moment de leur arrivée et, dans un soupir, ajouta :

— Ensuite…

Fassin et le colonel, qui flottaient tout près, échangèrent un regard. Hatherence se rapprocha de l’homme.

— Nous pourrions y aller tout seuls, vous et moi.

— Sans assistance ?

— Nous sommes tous les deux autosuffisants et plutôt rapides.

— Vous êtes sûre ?

Le colonel examina ostensiblement son gazonef.

— Oui, je crois bien.

Je pense que vous avez étudié les performances de mon appareil avant même que nous quittions Troisième Furie et que vous savez parfaitement de quoi il est capable, pensa-t-il.

— Vous proposez donc que nous nous enfoncions dans les nuages tout seuls ?

— Oui.

— Mais cela pose un problème.

— Oui… ?

— Deux problèmes, même. Premièrement, une guerre est en cours, et nous ressemblons fortement à des missiles.

— Des missiles ? Nous ne franchirons pas le mur du son !

— La Guerre Formelle impose des règles quant à la vitesse maximale des missiles. Et je puis vous dire qu’on nous prendra immanquablement pour des armes de guerre.

— Hum. Et si nous allions moins vite ?

— Nous aurions l’air d’armes de guerre moins rapides que les autres.

— Et si nous allions encore moins vite ?

— On nous prendrait pour des mines dérivantes. Avant que vous ne posiez la question, je vous dis tout de suite que si nous allions moins vite que des mines dérivantes, on nous prendrait certainement pour des mines flottantes.

Hatherence flotta de haut en bas, comme un bouchon dans l’eau, et soupira.

— Vous avez mentionné un second problème.

— Sans Y’sul à nos côtés, personne n’acceptera de nous adresser la parole.

— Avec Y’sul à nos côtés, personne ne pourra en placer une !

— Ce n’est pas une raison.

Ils avaient besoin d’un moyen de transport. D’un moyen de transport susceptible de voyager dans la zone de guerre sans être inquiété. Quoi qu’il subsistât de la vieille demeure de Valseir, celle-ci était trop éloignée du réseau de Tunnels pour s’y rendre sans un véhicule adéquat. Y’sul avait promis d’arranger cela – son origine équatoriale, ses connaissances en ville et la relation privilégiée qu’il entretenait avec deux invités étrangers étaient tellement bonnes pour sa réputation et son prestige, qu’obtenir de l’aide ne serait pas très compliqué –, avant de se retrouver noyé sous les propositions et les promesses, au point de n’être pas capable de choisir. À chaque fois qu’il était sur le point d’accepter une offre particulièrement généreuse, une autre lui arrivait, encore plus alléchante.

Finalement, au bout de deux jours, Hatherence décida de louer un navire elle-même et obtint des avantages plus intéressants encore que ceux qu’Y’sul venait de refuser.

De retour à la taverne, dans leur suite, ce dernier monta sur ses grands chevaux :

— C’est moi qui m’occupe des négociations ! beugla-t-il.

— C’est malheureusement exact, confirma le colonel. Et on n’est pas près d’en voir le bout.

Il fallut trouver un compromis. Hatherence dut confesser au loueur qu’elle n’était pas habilitée à prendre ce genre d’engagement, et, alors que ce dernier s’apprêtait à protester, Y’sul put feindre de décider à sa place. Ce jour-là, la guerre commença officiellement par une cérémonie, un gala et un Duel Formel à Pihirumine, de l’autre côté de la planète. Le lendemain, ils embarquèrent à bord du Poaflias, un navire d’un âge inconnu, quoique probablement canonique, constitué d’une double coque torsadée longue d’une centaine de mètres. Ils s’engagèrent dans le tourbillon le plus proche, qui, par un heureux hasard, s’enfonçait à l’horizontale dans la bonne direction. Son équipage, en plus du capitaine, se résumait à cinq Habitants. Le vaisseau était lourdaud, lent et, pourtant – pour une raison perdue dans les brumes de la logique militaire nasquéronienne –, toujours présent sur le registre des vaisseaux éclaireurs privés et neutres, ce qui lui donnait le droit de naviguer dans la zone de guerre sans courir le moindre risque – à condition que personne ne décide de lui tirer dessus sans raison.