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— Il va s’attirer des ennuis.

— Probablement. Mieux vaut toutefois avoir des ennuis près de chez soi qu’au milieu de nulle part.

Hatherence avait émis une sorte de grondement avant de s’adresser à Y’sul :

— Cette région est en guerre.

— J’ai vérifié sur les réseaux ! avait protesté l’Habitant. Les combats se déroulent à des milliers de kilomètres d’ici !

— Vraiment ? avait demandé Nuern en tendant l’oreille. Les hostilités auraient commencé ? Le maître n’autorise aucune connexion dans l’enceinte de la maison, aussi ne sommes-nous au courant de rien.

— Oui, cela fait une dizaine de jours. Notre mission a d’ailleurs failli faire long feu, car nous avons évité de justesse une mine intelligente durant notre voyage. Mon serviteur a été très grièvement touché, et ses jours sont encore en danger.

— Une mine intelligente ? Près d’ici ?

— Vous avez raison de vous inquiéter, mon ami, avait répondu Y’sul d’un ton solennel. C’est justement à cause de la présence de telles armes que j’avais prévu de patrouiller dans la région.

— Votre serviteur a été blessé ! C’est terrible !

— En effet. La guerre est terrible. Toutefois, à part cela, il y a encore très peu de victimes. Quelques cuirassés détruits dans les deux camps. Il est encore beaucoup trop tôt pour dire qui va gagner. Mais je garderai mes organes sensoriels dressés et je vous tiendrai au courant.

— Merci infiniment.

— De rien.

— Vous avez raison, avait envoyé le colonel pendant cet échange. Laissons-le partir.

— Lorsque vous serez en temps ralenti, vous sera-t-il possible d’émettre vers le vaisseau ?

— Oui.

— Parfait.

— Vous resterez dans les parages, n’est-ce pas ? avait demandé Fassin à Y’sul. Vous ne vous aventurerez pas trop loin ?

— Évidemment ! Je vous le jure ! Je demanderai à ces deux braves Habitants de s’occuper de vous comme vous le méritez !

Le Sage était prêt à les recevoir. Nuern les avait conduits dans une des sphères qui constituaient la bibliothèque. Le plafond en feuilles de diamant offrait une vue imprenable sur le ciel vermillon. Jundriance était installé à son poste de travail, au centre exact de la salle sphérique, face à un moniteur. Autour de lui, les murs étaient tapissés d’étagères. Il y en avait de très hautes, semblables à des couchettes humaines, et d’autres très petites et étroites, dans lesquelles des doigts d’enfant auraient eu du mal à s’enfoncer. Il y avait des livres partout. Entre les parois, entre le sol et un écheveau de poutrelles fixées au-dessus de leurs têtes étaient suspendus des paniers circulaires qui accueillaient divers moyens de stockage : des cristaux à ondes S, des holodards, des picobobines et une douzaine d’autres contenants plus obscurs.

Ils avaient traversé l’atmosphère épaisse de la salle pour se rapprocher du Sage. Nuern leur avait ouvert des places. Hatherence s’était installée entre Jundriance et Fassin. Le vieux Sage était demeuré complètement silencieux et immobile.

Alors, ils avaient ralenti. Fassin était beaucoup plus habitué à ce genre d’exercice que le colonel. Il le pratiquait depuis des siècles. Hatherence, quant à elle, s’était beaucoup entraînée mais n’avait jamais eu l’occasion de pratiquer en conditions réelles. L’expérience serait un peu difficile et mouvementée pour elle. Du moins jusqu’à ce qu’ils calent leurs rythmes respectifs sur celui du Sage…

… La nuit tomba rapidement, mais parut durer moins d’une heure. Fassin se concentra sur son propre ralentissement. Il était néanmoins conscient que le colonel gigotait et se retournait à côté de lui. Le Sage Jundriance remua lui aussi. Le lendemain, quelque chose avait changé sur son moniteur. Une autre page était apparue. La journée passa rapidement, et la nuit suivante encore plus promptement. Le processus se poursuivit ainsi jusqu’à ce qu’ils aient atteint la bonne vitesse, soit l/64e. C’était le point de rendez-vous fixé par le Sage qui, normalement, évoluait encore plus lentement.

Lorsqu’ils furent à mi-chemin, un signal s’immisça dans le petit gazonef.

— Vous me recevez, commandant ?

— Oui, pourquoi ?

— Je viens d’interroger le moniteur du poste de travail. Apparemment, il fonctionnait en temps réel jusqu’à l’arrivée du Poaflias.

— Vous êtes certaine ?

— Absolument !

— Intéressant.

Enfin arrivés. Synchronisés. Les courtes journées devinrent pareilles à un clignotement lent, très lent au-dessus de leurs têtes. Le ciel, au-delà des feuilles de diamant, s’assombrissait et s’éclaircissait tour à tour. Même à ce rythme, les grands voiles de gaz semblaient suspendus, parfaitement immobiles. Fassin fit alors une expérience familière, une expérience par laquelle il entamait chacune de ses fouilles. Il eut l’impression d’être une âme perdue, d’être emprisonné dans une étrange prison, enfermé dans le temps, alors que la vraie vie continuait de s’écouler à l’extérieur.

Jundriance éteignit son moniteur pour les saluer. Fassin l’interrogea immédiatement au sujet de Valseir, mais la conversation bifurqua, et ils se retrouvèrent à parler des questions de rythmes.

— Je suis réellement désolé pour les Rapides, dit le Sage. D’une certaine manière, on peut dire qu’ils ne sont pas adaptés à cet univers. La distance entre les étoiles, le temps qu’il faut pour aller de l’une à l’autre… Sans parler de voyager entre les galaxies.

Un trou dans la conversation.

— Bien sûr, dit Fassin pour briser le silence.

Êtes-vous en train de pêcher des informations, vieillard ? pensa-t-il.

— Les machines. Elles étaient encore pires, évidemment. Vivre si vite, quelle horreur !

— Elles n’existent pour ainsi dire plus, ô Sage ! dit Fassin.

— C’est peut-être mieux ainsi.

— Sage, pouvez-vous nous en dire davantage sur la mort de Valseir ?

— Je n’étais pas là. Je n’en sais pas plus que vous.

— Vous étiez… proche de lui ? demanda Fassin.

— Proche ? Non. Non, je ne dirais pas cela. Nous avons certes correspondu, eu des échanges au sujet de certains textes, de leur provenance…, etc. Nous avons débattu de questions d’interprétation, mais pas régulièrement. Nous ne nous sommes jamais rencontrés. Nous n’étions donc pas réellement proches, comme vous pouvez le constater.

— Effectivement. Je me demandais simplement ce qui vous avait attiré jusqu’ici.

— Oh ! eh bien, je voulais voir ce que contenait cette bibliothèque. Et peut-être récupérer quelques documents. Voilà la raison de ma présence. Ses serviteurs ont emporté pas mal de choses avec eux. D’autres – des chercheurs, pour la plupart, ou des individus qui se font passer pour tels – sont venus et se sont servis, mais il reste encore de nombreux livres. Les trésors les plus recherchés ont bien sûr disparu depuis longtemps. Toutefois, il serait idiot de négliger ce qui subsiste de la collection de Valseir.

— Je vois. En parlant de la bibliothèque de Valseir, j’ai cru comprendre que vous aviez entrepris de poursuivre son catalogage…

Une pause.

— Oui, je poursuis le catalogage, répondit la vieille silhouette à la carapace foncée en fixant le moniteur éteint. Hum… Vous avez…, reprit-il en se tournant très légèrement vers Fassin, vous avez utilisé le terme « poursuivre ».

— Effectivement. On m’a dit que Valseir avait commencé ce vaste travail. Ce n’était pas le cas ?