Выбрать главу

— Intéressant, en effet. – Je ne sais pas.

— Bon ! je crois que je vais reprendre mes recherches. Vous joindrez-vous à moi ? – Fouillons, nous n’avons que cela à faire.

— Pourquoi pas ?

Ils se laissèrent dériver jusqu’à des rayonnages tout proches, prirent chacun un holocristal sur des étagères conçues pour absorber les chocs et lurent.

— Son bureau ? demanda Nuern.

Sa collerette réceptrice frémit légèrement, comme il regardait furtivement Livilido. Ils étaient à table. Les deux Habitants avaient invité Fassin et Hatherence à les rejoindre pour un dîner semi-formel dans la salle à manger ovale de la maison. C’était une grande pièce faiblement éclairée, haute de plafond, dans laquelle on avait suspendu d’énormes cordes de carbone, dont les extrémités avaient été effilochées, séparées en de minuscules filaments, qu’on avait noués entre eux, de sorte que les convives avaient l’impression d’être emprisonnés dans un énorme filet complètement emmêlé.

Jundriance était encore en temps ralenti et ne pouvait se joindre à eux. On avait préparé des plats spéciaux, assimilables par le colonel. Hatherence les ingéra par une sorte de sas situé sur le côté de son scaphandre. Fassin, confiné dans son gazonef, n’était là que pour regarder.

— Oui, dit-il. Vous sauriez où il se trouve ?

— Je croyais que la bibliothèque numéro un était son bureau, rétorqua Nuern en choisissant un mets qui émettait une lumière bleu terne, et en faisant tourner le plateau pivotant vers les autres.

— Oui, moi aussi, dit Livilido en regardant Fassin. Pourquoi, il y en a un autre ? À moins que cette partie de la maison se soit détachée et ait sombré ?

Fassin avait visité toutes les sphères bibliothèques. La numéro un avait toujours été le bureau officiel de Valseir, l’endroit où il recevait les chercheurs et autres visiteurs. Toutefois, ce n’était pas son vrai bureau, son antre, son espace privé. Très peu de gens étaient admis dans cet endroit mystérieux. Fassin s’était senti extrêmement flatté lorsque Valseir l’avait invité dans sa retraite aux allures de nid, à l’intérieur d’une portion de Tunnel abandonnée, à laquelle était ancrée sa maison. Toutefois, la précédente visite de Fassin remontait à plusieurs siècles. La bibliothèque numéro un n’avait pas changé depuis la dernière fois. Seuls avaient disparu quelques milliers de cristaux-livres et un coffre cylindrique de stockage à basse température, dans lequel Valseir gardait les ouvrages en papier et en plastique. Quoi qu’il en soit, il était évident que l’endroit n’avait aucun caractère particulier, que le propriétaire ne se l’était pas réellement approprié.

— Je croyais qu’il avait un autre bureau, dit Fassin. N’avait-il pas une maison à… Dans quelle ville était-ce, déjà ? Guldrenk ?

— Ah, oui, bien sûr ! s’exclama Nuern. Ce doit être cela.

— Colonel, ces deux bougres n’ont rien à nous apprendre.

— C’est justement ce que j’étais en train de me dire.

La bibliothèque numéro vingt et un (Cincturia/Nuages/Divers) dissimulait une porte secrète, l’équivalent nasquéronien de l’étagère pivotante. Valseir l’avait montrée à Fassin après que l’humain fut resté chez lui pendant une longue période, lors de sa première visite. Le passage menait d’abord vers le centre de la grappe de bibliothèques sphériques, puis débouchait sur le gaz de la planète. Alors que la quasi-totalité des étagères portaient la mention « Cincturia » et étaient pleines d’ouvrages traitant des peuples qui ne faisaient pas partie de la communauté galactique, celle qui dissimulait le passage secret portait l’inscription « Les Évadés ».

Après le dîner, Fassin fit croire à tout le monde qu’il allait s’enfermer dans la bibliothèque et passer la nuit à compulser des documents. Au lieu de quoi il pénétra les systèmes de la maison et remonta le temps jusqu’à l’accident de Valseir et sa mort présumée. Il fit également quelque chose d’inhabituel, de tout juste légal selon les critères de la Mercatoria et, en règle générale, d’inutile sur Nasqueron : il accéléra, laissa l’ordinateur bridé de son gazonef et son propre système nerveux dépasser leur vitesse de calcul légale. Même ainsi, il mit presque une demi-heure à trouver ce qu’il cherchait : le moment précis, une dizaine de jours après l’accident, où la maison avait enregistré une réinitialisation de ses générateurs et de son système de ventilation. Son altimètre avait également gardé en mémoire une secousse – un léger bond, précurseur d’une longue et lente chute, qui se poursuivait encore.

Il lui fallut ensuite estimer la position actuelle du segment de Tunnel disparu. Il devait se trouver quelque part au-delà de la zone de partage, en dehors de la bande atmosphérique mouvante, dans les Profondeurs semi-liquides. Celles-ci se déplaçaient beaucoup plus lentement que les gaz situés plus haut, les grandes mers turbides et élastiques ne se déplaçant qu’à contrecœur dans le sillage des tourbillons atmosphériques.

Mais ce n’étaient que des estimations. Les Habitants, pour leur part, considéraient que l’atmosphère était statique et que les Profondeurs – sans parler du reste du système, des étoiles et de l’univers tout entier – se déplaçaient. Les points de référence étant eux-mêmes fluctuants, il était extrêmement difficile de retrouver quelque chose dans les Profondeurs. Deux siècles s’étaient écoulés depuis sa dernière visite, et le Tunnel pouvait être n’importe où. Peut-être avait-il coulé hors de portée, ou bien s’était-il disloqué et avait-il dérivé jusqu’à une autre ceinture, qui l’avait entraîné au nord ou bien au sud. Seule la longueur relativement importante de la section qu’il cherchait jouait en la faveur de Fassin. Perdre complètement la trace d’un objet qui faisait quatre-vingts kilomètres de long et plus de quarante mètres de diamètre n’était pas si facile, même sur Nasqueron. Et puis, il comptait sur la perte de flottabilité régulière et facilement calculable du Tunnel.

Un volume similaire à celui de l’artefact – similaire, mais d’une façon dangereusement vague – se trouvait à cinq mille kilomètres de là et se rapprochait régulièrement. En fait, l’objet semblait avoir fait plusieurs fois le tour de la planète depuis son décrochage. D’ici à une dizaine d’heures, il se trouverait presque exactement sous la maison. Il fit quelques calculs. C’était faisable. Il afficha une note sur l’écran de la porte d’entrée de la bibliothèque, demandant à ne pas être dérangé.

Fassin se glissa par l’ouverture secrète une heure environ après être entré dans la sphère. Il laissa le gazonef grandir, élargir sa structure et créer le vide à l’intérieur, lui donna une silhouette quasi sphérique, qui lui permit de se laisser tomber lentement sans créer de turbulences sous la demeure. Progressivement, il se fit plus lourd, diminua au maximum la taille de sa pointe de flèche. Puis il plongea dans les ténèbres, traversa la paroi presque solide du cylindre de gaz à bout de force qui constituait la carcasse d’une ancienne et puissante tempête.

Il ne déclencha les réacteurs que vingt kilomètres plus bas, freina sa chute, puis fonça à l’horizontale sur une trentaine de kilomètres avant de s’élever dans les couches de gaz de plus en plus fines et froides, et de transpercer enfin la canopée des nuages. Fassin accéléra régulièrement, atteignit sa vitesse maximum, puis entra en mode furtif. L’appareil n’avait pas été conçu pour ce genre de manœuvre. Toutefois, au fil des ans, son propriétaire l’avait modifié avec l’aide de Hervil Apsile jusqu’à le rendre aussi silencieux et efficace que possible dans l’atmosphère d’une géante gazeuse (à condition de laisser de côté les engins militaires et de ne pas prendre au sérieux les prétendus vaisseaux invisibles, réacteurs inertiels et autres engins sous-spatiaux dont les Habitants affirmaient maîtriser les techniques).