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— Une flotte de quelle taille ?

— Je ne suis pas sûre.

Dans l’énorme œil de la Tempête, il y avait des centaines de dirigeables pleins de spectateurs et de boutiques, des douzaines de clippers et de navires de soutien, des dizaines d’équipes de journalistes et un vaisseau cérémoniel, un cuirassé baptisé Puisiel, orné d’une multitude de banderoles, de guirlandes de drapeaux anciens, de festons de fleurs-ballons. Juste histoire que personne ne le prenne pour un des vaisseaux engagés dans la compétition d’un autre genre qui se déroulait de l’autre côté de la Tempête.

Les écrans déroulants s’allumèrent, et ils purent regarder des extraits d’une course qui avait eu lieu la veille. Tout autour d’eux, les Habitants sifflaient, criaient, riaient, jetaient de la nourriture, lançaient des paris, jouaient leurs réputations respectives – même si personne ne respecterait sa parole après coup –, s’échangeaient des insultes.

— Des nouvelles de l’extérieur ? demanda Fassin.

— Nos ordres n’ont pas changé. Il y a eu quelques attaques éparses dans tout le système, mais rien de comparable à celles qui ont touché les Voyants. Nous continuons de nous préparer. Les fabricants font des efforts réellement héroïques. La population fait beaucoup de sacrifices, mais le moral est bon. Néanmoins, selon des sources officieuses, la peur gagnerait tout de même du terrain. Il y a eu quelques émeutes. Des scans de l’espace profond ont révélé la présence d’une grande flotte arrivant d’E-5.

— Grande comment ?

— Trop grande.

— Et ces émeutes ?

— Limitées.

Le dirigeable démarra pour faire chauffer ses moteurs. Des cris de joie retentirent parmi les Habitants, qui venaient de réaliser que les choses sérieuses allaient enfin débuter.

— Commandant…, envoya Hatherence sans tenter de couvrir le brouhaha. Nous ne sommes plus à bord du Poaflias, nous sommes seuls, personne ne peut nous entendre, et je dois avouer que j’ai une énorme envie de connaître la raison de notre présence ici. Je ne crois pas que, durant vos recherches, vous vous soyez découvert une subite passion pour les courses de clippers.

— D’après Oazil, Valseir serait en vie.

Le colonel garda le silence pendant quelque temps. Puis il envoya :

— C’est une blague ?

— Oazil est peut-être fou, mythomane, manipulateur. Mais d’après ce qu’il m’a dit, je jurerais qu’il connaît Valseir. En tout cas, il savait exactement quoi me demander pour vérifier si j’étais bien celui que j’affirmais être.

— Je vois. Il n’est donc pas venu ici par hasard.

— D’après moi, il nous attendait. Ou alors quelqu’un d’autre était-il chargé de surveiller la maison, de le tenir au courant de notre – de mon – arrivée.

— Et il vous a dit de venir ici ?

— En effet.

— Et maintenant ?

— On attend Valseir.

De nouveaux cris de joie, comme le Dzunda accélérait et se joignait au flot de navires-tribunes qui se dirigeaient vers la grille de départ, située à deux kilomètres de là. La course ne serait pas longue – une heure tout au plus –, mais les clippers étaient supposés accomplir plusieurs passages à l’intérieur des parois mouvementées de la Tempête. Plus la compétition avancerait, plus les épreuves seraient longues, jusqu’au défi final, qui consistait à faire tout le tour du bol formé par l’œil de la Tempête.

— Donc Valseir savait que vous essayeriez de le joindre et s’était arrangé pour… Hum. Intéressant. Toujours aucune nouvelle ?

— Aucune. Mais au moins, vous savez pourquoi nous sommes ici.

— Vous me préviendrez s’il se passe quelque chose ?

— Oui. Néanmoins, j’aurais peut-être besoin de m’absenter à un certain moment. Votre présence pourrait rendre Valseir, ou un autre, légèrement nerveux.

Le dirigeable prit un peu plus de vitesse et continua d’avancer vers la partie de la grille de départ qui se trouvait au centre de la cuvette. Le vent emporta les ballons et paniers qui n’étaient pas attachés.

— Nerveux ? Vous pensez que tout cela est réellement… sérieux ?

— Et vous, qu’en pensez-vous ?

— Je pense qu’Oazil est le genre de personnage que vous avez décrit tout à l’heure. Toutefois, puisque nous sommes là, autant jouer le jeu. Il n’est cependant pas impossible qu’on nous ait fait venir jusqu’ici afin de nous éloigner de la maison de Valseir et d’une éventuelle découverte importante. Que vous a dit Oazil, exactement ?

Fassin avait gardé un enregistrement de la conversation qu’il avait eue avec le vieil Habitant, loin sous la maison. Il l’envoya à Hatherence.

La flotte de spectateurs passa à côté de la grille de départ à la façon d’une volée d’oiseaux trop gras. Encore des cris de joie. Les clippers étaient tous alignés et attendaient le signal du départ.

— En fait, il ne vous a pas révélé grand-chose, commandant, dit Hatherence. Vous auriez dû me faire écouter cela avant et me laisser décider de la tactique à adopter. Je crois que j’ai été trop indulgente avec vous. Vous avez traversé une épreuve difficile, et j’ai dû en tenir compte. J’ai peut-être bien manqué à mon devoir.

— Je ne vous dénoncerai pas si vous ne dites rien, envoya Fassin, sans humour aucun.

Les clippers – versions plus grandes des engins individuels utilisés par les Habitants – étaient agressifs, anguleux, avec des voiles pointues, une quille imposante. Avec leurs cinquante mètres de longueur – cinquante mètres dans tous les sens –, ils ressemblaient à des aimants hérissés d’armes exotiques en tout genre. Les fanions arboraient des signes distinctifs, des fleurs de couleurs aux tiges argentées, qui scintillaient dans la lumière de la lointaine Ulubis.

Il était impossible de naviguer dans un seul médium. Pour naviguer véritablement, il fallait une quille (ou quelque chose de semblable) dans un médium, et une voile (ou quelque chose de comparable) dans un autre médium. Dans un simple courant de gaz, on se contentait de voler. À la limite de deux flux, à la frontière d’une zone qui se déplaçait dans une direction et d’une ceinture qui s’écoulait dans une autre, il était possible, en théorie, de naviguer, à condition de bâtir un navire suffisamment grand. Les Habitants avaient essayé de construire un vaisseau de cette taille, mais n’étaient pas parvenus à l’empêcher de se disloquer.

À défaut, leurs clippers et leurs engins individuels mettaient à profit le titanesque champ magnétique de la planète, champ généré par la plupart des géantes gazeuses. Les flux magnétiques étaient leur eau, l’endroit où s’enfonçaient leur quille. Avec ces flux qui les tiraient dans une direction, et les bandes atmosphériques ceignant la planète qui les entraînaient dans la direction opposée, la navigation devenait possible. Et lorsque les voiles étaient plongées à l’intérieur d’un système dépressionnaire géant, le jeu pouvait se révéler extrêmement dangereux et amusant.

— Espérons qu’il ne s’agissait pas d’une ruse destinée à nous éloigner de la maison, dit Hatherence. Espérons également que Valseir est toujours en vie et qu’il a l’intention de vous contacter. Malheureusement, rien ne nous permet de le penser. N’est-ce pas ? ajouta-t-elle en se tournant vers Fassin.

— En effet.

Presque toute la flotte de navires-tribunes avait dépassé la grille de départ. Les clippers s’ébranlèrent à l’unisson – à une vitesse surprenante, pour des engins dépourvus de moteurs – puis se dirigèrent vers les nuages sombres et bouillonnants qui constituaient la paroi interne de la Tempête. Ils se bousculèrent pour prendre de l’avance, zigzaguèrent à travers le gaz pour se devancer mutuellement, utilisèrent les vents modérés et l’inertie du médium qui les accueillait pour avancer, tout en chevauchant leurs lignes de forces.