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— On n’a jamais retrouvé le corps, n’est-ce pas ? demanda Hatherence.

— Effectivement, répondit Fassin. Il a été emporté par une rafale très brutale, capable de déchiqueter son appareil. Mais il a pu survivre.

— Le fait est qu’il n’y avait pas d’eau pour le noyer, et que la température n’était ni trop élevée, ni trop basse. À ce propos, comment peut-on être tué par le vent ?

— Le vent peut vous démembrer, par exemple. Ou alors on est entraîné par un tourbillon qui nous fait perdre connaissance, et duquel on ne peut sortir. À moins que, comateux, on ne se laisse couler jusque dans les Profondeurs. Et puis, les Habitants ont besoin de respirer, ce qu’il est impossible de faire lorsque la pression devient trop élevée.

— Hum.

Les clippers se mirent à longer la paroi mouvante, enfonçant leurs longues voiles dans le courant de gaz. Ils accélérèrent brutalement. Malgré leur avance, malgré leurs moteurs rugissants, malgré leur trajectoire plus courte, les vaisseaux des spectateurs commencèrent à perdre du terrain sur les engins de course.

— Et si Valseir avait mis en scène cet accident ? proposa Hatherence.

— C’est possible. Il aurait pu s’arranger pour qu’un ami ou un complice l’attende dans les parages et lui vienne en aide. Ainsi, il aurait eu toutes les chances de s’en sortir.

— Les Habitants font-ils souvent semblant de disparaître ?

— Presque jamais.

— C’est bien ce que je pensais.

Le peloton de clippers avait remonté la moitié du convoi de navires-tribunes. Les cris et les beuglements de plus en plus aigus montaient en puissance, comme la masse des participants et leur suite de dirigeables et de vaisseaux de soutien fendaient cette mer verticale, la déchiraient, la traversaient sans ménagement. Une vaste zone d’ombre inclinée arriva à leur rencontre, comme ils plongeaient dans la partie non éclairée de l’œil de la Tempête. Au-dessus, le point flou d’Ulubis était éclipsé par un disque de gaz tourbillonnant épais de cent kilomètres et large de dix mille.

— Fassin. Vous avez fait des paris ? demanda Y’sul en s’installant à côté d’eux.

Un enfant esclave en tenue de serveur flottait derrière lui. Il attendit que l’adulte se fût assis confortablement avant d’accrocher à son fauteuil un panier plein de drogues en tout genre et de s’en aller.

— Non. Je ne me serais pas permis de mettre votre réputation en danger.

— Oh ! je n’avais pas pensé à cela, dit Y’sul d’un air songeur. Je suppose que je vous fais confiance. Inconsciemment. C’est étrange, non ? ajouta-t-il avant de commencer à fouiller dans l’assortiment de drogues diverses qu’il avait commandées.

— Comment était votre ami ? demanda Hatherence.

— Oh ! de très bonne humeur, répondit l’Habitant sans la regarder. Son père est mort en héros hier. Il devrait hériter de ses points de réputation, dit-il tout en continuant de fouiller. J’aurais pourtant juré avoir emporté un peu de Fièvre Cérébrale…

— Heureux d’apprendre qu’il prend cela aussi bien, dit Fassin.

— Ah ! la voilà ! s’exclama Y’sul en produisant et en examinant une grande capsule orange. Ah oui ! j’allais oublier : j’ai rencontré un Jeune qui disait vous connaître. Il m’a donné cela pour vous…

Y’sul fouilla dans une poche de son manteau et en sortit une feuille-image, qu’il tendit à Fassin.

L’humain s’en saisit avec un des bras manipulateurs de son gazonef et l’examina. Elle représentait des nuages blancs dans un ciel bleu.

— Oui, les couleurs ne sont manifestement pas bonnes, commenta Y’sul. Je n’ai pas pu m’empêcher de le noter.

Fassin était conscient que Hatherence regardait elle aussi le cliché. Du coin de l’œil, il la vit bouger dans son fauteuil sans rien dire.

— Cette personne qui est censée me connaître, vous a-t-elle dit quelque chose ?

— Hein ? fit l’Habitant, occupé à étudier sa capsule orange grosse comme un doigt. Oui, oui. Elle a dit que vous deviez prendre soin de cette image, et que vous pouviez les rejoindre au restaurant de la galerie d’observation arrière. Seul. C’était assez mal élevé de sa part, je dois dire. Mais il était jeune, et on ne peut rien espérer de mieux de ces gens-là.

— Merci, dit Fassin.

— De rien, répondit Y’sul en agitant un membre et en faisant éclater sa pilule géante.

— Si vous permettez, colonel…, envoya Fassin à Hatherence.

— Allez-y. Mais faites attention.

— Si vous voulez bien m’excuser, dit l’humain en se levant.

Y’sul ne l’entendit même pas. Deux des clippers de tête étaient en train de s’affronter. Ils naviguaient dangereusement près l’un de l’autre, se faisaient des queues de poisson, emmêlaient leurs lignes de forces, s’empêchaient mutuellement de profiter du vent. Y’sul flottait très haut au-dessus de sa place, criait et haranguait en compagnie de ceux des spectateurs qui n’étaient pas encore dans leur univers narcotique privé.

L’Habitant – qui était encore plus jeune que ne le laissaient supposer ses vêtements – intercepta Fassin dans le large couloir central du dirigeable, le rattrapa alors qu’il fonçait vers l’arrière du vaisseau. L’humain se tourna légèrement dans la direction de son compagnon inattendu sans cesser d’avancer.

— Voyant Taak ? dit le jeune Habitant.

— Oui.

— Vous voulez bien me suivre, s’il vous plaît ?

Fassin suivit le jeune Habitant non pas jusqu’au restaurant arrière, mais jusqu’à une cabine privée située très loin sous le ballon. Le capitaine du navire était là qui discutait avec un vieillard – un Sage, selon toute probabilité. L’officier se retourna en entendant arriver Fassin. Il s’inclina légèrement pour le saluer, puis s’en fut en compagnie du jeune Habitant, laissant l’humain seul avec le vieillard dans la pièce circulaire aux parois constituées de feuilles de diamant. Quelques écrans diffusaient des images silencieuses de la course. À une extrémité de la cabine flottait un plateau surplombé d’un grand narcodiffuseur, qui emplissait la pièce de volutes parfumées.

— Est-ce bien vous ? demanda Fassin.

— Je suis toujours de ce monde, jeune Taak, répondit la voix familière.

L’Habitant flotta jusqu’à lui. S’il s’agissait bien de Valseir, alors sa carapace s’était assombrie. Il paraissait également moins rabougri, s’était débarrassé de ses décorations et autres amulettes, et portait une sorte de robe à l’allure monastique.

— Vous avez apporté le petit souvenir que j’avais confié à mon messager ?

Fassin produisit l’image et la lui donna. L’Habitant l’examina et fit onduler le manteau de son moyeu pour montrer son contentement.

— Oui, cette image nous ronge, dit-il en la lui rendant. Prenez-en grand soin. Alors, comment était ce vieil Oazil ? Je suppose qu’il vous a trouvé à la maison et que vous n’êtes pas venu ici par hasard.

— Il était bien. Excentrique, mais bien.

L’Habitant sourit de nouveau, avant de se rembrunir.

— Et la maison ? Et mes bibliothèques ?

— Elles s’enfoncent lentement dans les ténèbres. Enfin, ce qu’il en reste.

— Ce qu’il en reste ?

— Oui, il en manquait une partie.

— Ah !… Mon bureau.

— Que lui est-il arrivé ?

— Le Tunnel est devenu trop lourd pour se maintenir à cette altitude. Je l’ai donc fait détacher du reste de ma demeure. Après l’avoir vidé, bien sûr. Il a sombré tout de suite après.