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La cérémonie fut longue, le curé la fit durer une éternité. En entrant dans l’église les parents et amis du marié s’étaient placés tous ensemble d’un côté, les parents et amis de la mariée de l’autre. Tout au long de la messe, le photographe fit un nombre infini de photos – avec flashs et réflecteurs – tandis que son jeune assistant filmait les moments marquants.

Antonio resta tout le temps dévotement assis près de moi avec son costume tout droit sorti de chez le tailleur, confiant à Ada – de très mauvaise humeur parce que, vendeuse dans l’épicerie du marié, elle aurait aspiré à une place bien meilleure – la mission de s’installer au fond près de Melina et de les surveiller, elle et leurs petits frères et sœurs. Une ou deux fois il me susurra quelque chose à l’oreille mais je ne répondis rien. Il devait se contenter de rester près de moi sans manifester aucune intimité particulière, pour éviter les ragots. Je parcourus du regard l’église comble, les gens s’ennuyaient et comme moi passaient leur temps à regarder autour d’eux. Il y avait un intense parfum de fleurs et une odeur d’habits neufs. Gigliola était magnifique, Carmela Peluso aussi. Et les garçons n’étaient pas en reste. Enzo et surtout Pasquale semblaient vouloir prouver que là, devant l’autel avec Lila, ils auraient fait bien meilleure figure que Stefano. Quant à Rino, alors que le maçon et le vendeur de fruits et légumes étaient au fond de l’église comme des sentinelles chargées d’assurer le bon déroulement de la cérémonie, lui, le frère de la mariée, rompant l’ordre des groupes familiaux, était allé se placer près de Pinuccia, dans la partie réservée aux parents du marié, et lui aussi était parfait dans son costume neuf, chaussures Cerullo aux pieds, aussi brillantes que ses cheveux gominés. Quel faste ! À l’évidence, tous ceux qui avaient reçu le faire-part n’avaient pas voulu rater ça et avaient même tenu à s’habiller comme pour sortir dans le grand monde. Et pour autant que je puisse le savoir, et comme personne ne l’ignorait, cela signifiait de fait qu’un bon nombre d’entre eux – et peut-être Antonio le premier, assis à côté de moi – avaient dû aller emprunter de l’argent. Je regardai alors Silvio Solara, gras, en costume sombre, debout près du marié, plein d’or étincelant aux poignets. Je regardai sa femme Manuela qui se tenait près de la mariée, vêtue de rose et toute couverte de bijoux. Le financement de tout ce luxe venait d’eux. Après la mort de Don Achille, c’étaient cet homme rubicond, yeux bleus, très dégarni, et cette femme maigre, long nez et lèvres fines, qui prêtaient de l’argent à tout le quartier (ou, pour être plus précise, c’était Manuela qui gérait les aspects pratiques de cette activité : tout le monde connaissait et redoutait le registre à couverture rouge où elle inscrivait sommes et échéances). De fait, le mariage de Lila avait été une affaire non seulement pour le fleuriste et le photographe, mais surtout pour ce couple-là, qui par ailleurs avait aussi fourni le gâteau et les dragées pour les bonbonnières.

Je remarquai que Lila ne les regarda jamais. Elle ne se tourna jamais non plus vers Stefano, et ne fit que fixer le prêtre. Je me dis que vus comme ça, de dos, ils ne faisaient pas un beau couple. Lila était grande, il était petit. Lila diffusait autour d’elle une énergie que personne ne pouvait ignorer alors que lui, il semblait un gars bien fade. Lila avait l’air extrêmement concentré, comme si elle voulait comprendre en profondeur ce que ce rituel signifiait vraiment, lui de temps à autre se tournait vers sa mère, échangeait des petits rires avec Silvio Solara ou se grattouillait la tête. À un moment donné je fus saisie d’anxiété. Je me dis : et si c’était vrai, si Stefano n’était pas ce qu’il paraissait ? Mais je n’allai pas au bout de cette idée pour deux raisons. D’abord, dans l’émotion générale les deux époux se dirent oui de manière déterminée et limpide : ils échangèrent les alliances, s’embrassèrent, et je dus prendre acte que Lila s’était vraiment mariée. Et puis tout à coup je perdis tout intérêt pour les mariés. Je réalisai que j’avais aperçu tout le monde sauf Alfonso et le cherchai des yeux parmi les parents du marié, parmi ceux de la mariée, avant de le trouver au fond de l’église, presque caché par une colonne. Je lui fis signe, il répondit et se dirigea vers moi. Mais à sa suite surgit, majestueuse, Marisa Sarratore. Et aussitôt après, très maigre, mains dans les poches, ébouriffé et avec la veste et le pantalon froissés qu’il portait au lycée, Nino.

59

Ensuite ce ne fut que confusion, la foule se pressa autour des mariés qui sortaient de l’église au son vibrant de l’orgue, accompagnés des flashs du photographe. Lila et Stefano s’arrêtèrent sur le parvis au milieu des baisers, des accolades, du chaos des voitures et de l’impatience des parents qui devaient attendre alors que d’autres, qui n’étaient pas du même sang – mais qui étaient sans doute des gens plus importants, plus appréciés et plus richement vêtus, ou peut-être parce que les femmes avaient des chapeaux particulièrement extravagants –, montaient tout de suite en voiture et étaient conduits Via Orazio, au restaurant.

Comme il présentait bien, Alfonso ! Je ne l’avais jamais vu en costume noir, chemise blanche et cravate. Sans ses modestes vêtements de lycéen ou son tablier d’épicier, non seulement il faisait plus que ses seize ans mais, pensai-je tout à coup, il semblait physiquement différent de son frère Stefano. Il était désormais plus grand et plus mince, et surtout il était beau comme un danseur espagnol que j’avais vu à la télévision – grands yeux, lèvres charnues et pas encore la moindre trace de barbe. À l’évidence Marisa lui avait déjà mis le grappin dessus et leur relation avait fait son chemin, ils avaient dû se voir sans que j’en sache rien. Alfonso, qui m’était pourtant si dévoué, avait-il été vaincu par les cheveux tout frisottés de Marisa et par son inépuisable baratin qui le dispensait, lui si timide, de combler les blancs de la conversation ? S’étaient-ils mis ensemble ? J’en doutais, il me l’aurait dit. Mais il était clair que les choses étaient bien engagées, au point qu’il l’avait invitée au mariage de son frère. Et Marisa, sans aucun doute pour obtenir la permission de ses parents, avait traîné de force Nino avec elle.

Le voilà donc sur le parvis, le jeune Sarratore, et il avait vraiment l’air déplacé : tenue débraillée, trop grand, trop maigre, cheveux trop longs et décoiffés, mains enfoncées dans les poches du pantalon et l’expression de celui qui ne sait pas où se mettre, regardant les mariés comme tout le monde mais sans nullement s’y intéresser, juste question de poser les yeux quelque part. Cette présence inattendue contribua grandement au désordre émotif de cette journée. Nous nous étions salués à l’église, rien qu’un murmure – salut salut. Ensuite Nino avait rejoint sa sœur et Alfonso, quant à moi Antonio m’avait fermement saisie par le bras et, bien que je me sois tout de suite dégagée, j’avais tout de même fini en compagnie d’Ada, Melina, Pasquale, Carmela et Enzo. À ce moment-là, dans la cohue, tandis que les mariés se glissaient dans une longue voiture blanche avec le photographe et son assistant pour aller faire des photos dans le Parco della Rimembranza, je fus prise d’anxiété à l’idée que la mère d’Antonio puisse reconnaître Nino, qu’elle lise sur son visage quelque trait de Donato. Mais mon inquiétude était infondée. Nunzia, la mère de Lila, entraîna vers une voiture Melina qui avait l’air perdu ainsi qu’Ada et ses frères et sœurs, et ils furent bientôt loin.