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San-Antonio

L'année de la moule

Please do not throw anything down the toilet.

W. Shakespeare
AU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

Je tenais à apporter ma propre, bien que modeste contribution (directe) à la gloire de ce grand homme d’Etat, qui a tant œuvré pour l’Union de la gauche, fut plusieurs fois ministre et qui, luttant avec une énergie farouche contre la crise financière, est parvenu à stabiliser le franc.

Merci, président Raymond Poincaré, c’est à vous que ce livre est dédié.

San-Antonio

NOTES LIMINAIRES

Le poète San-Antonio suça la pointe de son crayon Bic, par inadvertance, ce qui lui dessina un créneau violacé à la bouche.

Il n’y prit pas garde, ou s’il, décida que des langues féminines ne tarderaient pas à effacer ce dommage.

Il écrivit le délicat quatrain (de marchandises) ci-joint :

Tu m’attends à l’établi, Jeune tire joint, Mais jamais, c’est établi, Je ne t’y rejoins.

Il aimait les rimes riches, et même copieuses. Satisfait de l’œuvrette, il la glissa dans une enveloppe, y joignit sa carte et posta le tout à Bertrand Poirot-Delpech à la considération duquel il tenait plus qu’à la prunelle d’Alsace.

Comme il terminait, son téléphone retentit, avec immédiatement des inflexions impitoyables. La sonnerie rageuse avertissait qu’elle n’aurait de cesse qu’on eût décroché, quand bien même il n’y aurait personne dans la pièce.

San-Antonio avança sa belle main un tantisoit velue et chichement manucurée vers le combiné qu’il dégagea prestement de ses fourches (caudines).

Une voix pour rapport de multinationale, laissa tomber :

— Je voudrais parler de toute urgence au commissaire San-Antonio.

— C’est moi, répondit le décrocheur, puisque c’était lui, effectivement, lui au point que personne d’autre au monde n’aurait su l’être mieux, davantage ni plus superbement.

Un soupir de presque soulagement répondit à son affirmation. Le fameux policier pour noces et banquets comprit qu’en se prétendant lui-même, il venait, sinon de faire un heureux, du moins d’apporter l’apaisement dans une âme troublée.

Il ne se doutait pas que la plus terrible aventure de sa prestigieuse carrière commençait.

— Mon nom est Michel Lainfame, commissaire, je ne sais si vous vous souvenez de moi, nous nous sommes connus à l’Hermitage de La Baule, il y a quatre ans.

— Je me souviens parfaitement de vous, réponds-je en mentant de façon extrêmement fieffée, ce qui est de loin la meilleure. Comment allez-vous, monsieur Lainfame ?

— On ne peut plus mal, cher ami. Il m’arrive une chose effroyable et je m’adresse à vous comme l’eau à la pente.

L’image intervenant dans un instant prétendument crucial ne m’en paraît que plus forte. On ne fuit pas un homme capable de la déballer en pleine confusion morale.

— Quand voulez-vous ?

Il ne lui reste pas une broque d’ambages car il me répond spontanément :

— Immédiatement !

Il aurait employé « tout de suite », sans doute aurais-je marchandé ; mais il y a quelque chose de presque comminatoire dans un « immédiatement » proféré avec une telle force.

— Soit. Vous venez à mon bureau ?

— Puis-je pousser l’outrecuidance jusqu’à vous supplier de me rejoindre ?

— Où êtes-vous ?

— Chez Lipp.

— J’arrive.

Son merci est haché par le déclic du bigophone raccroché.

Aussitôt, je me sens un tout petit peu con, pas trop : la moindre. Je suis un officier de police réputé et élevé entièrement au lait Guigoz, selon Félicie dont je n’ai pas à mettre la parole en doute. Mon temps, sans être précieux (pour ce qu’on nous paie à la Rousse ! mais heureusement j’ai mes droits d’auteur) est ce que j’aime le moins à distribuer. Or, voilà qu’il suffit à un quidam dont je n’ai plus souvenance, de m’appeler, pour que j’accoure ! « Où ça va, ça ! » dirait Francisque.

Furieux après moi, je m’installe dans mon veston, lequel attendait mon bon plaisir sur le dossier d’une chaise, et dévale jusqu’à la cour. La flemme de prendre ma tire. Va falloir se garer plus ou moins. Le carrefour Saint-Germain-des-Prés, à midi, merci bien ! Cadeau !

J’avise l’inspecteur Lanlure en train de déhotter au volant d’une chignole de la taule.

— Tu peux me cracher à Saint-Germain-des-Prés, Frisé ?

Il déteste qu’on l’appelle Frisé, peut-être parce qu’il est complètement chauve, non ?

— Je regrette, commissaire, je fonce sur Pantin !

J’ouvre la portière droite et m’installe.

— C’est chouette de ta part, Frisé, déclaré-je comme s’il avait souscrit à ma requête. T’as toujours été serviable avec les potes, c’est sans doute la raison pour laquelle ils t’ont surnommé « Gueule-de-raie », tu ne penses pas ?

Lanlure démarre sec, renfrogné comme une vitrine emplie d’accordéons fermés. Je lui flanque une bourrade amitieuse.

— J’espère que tu ne crois pas un mot de ce que je te dis, Frisé ? Jamais les potes ne t’appellent « Gueule-de-raie ».

Il grince :

— Oh ! moi, de toute façon…

— Non, rassure-toi : ton surnom c’est « Tête-de-nœud ».

On traverse la Saône. Qu’est-ce que je raconte, moi ! Je me crois encore à Lyon ! On traverse la Seine, puis le carrefour Saint-Michel, tout ça. Et cinq minutes plus tard me voici déposé chez Lipp. Michel Lainfame, j’ai beau trifouiller dans ma mémoire, je n’en extirpe qu’une pute nommée Adélaïde de Granlieu, un acteur de télé répondant à l’appellation de Robert Adrien, un marchand de vins en gros portant le nom prédestiné de Lavigne, et un ami d’enfance retrouvé à une station de taxis, que j’avais jadis surnommé « Bite-de-serin », vu qu’il pissait à l’aide d’une chose pas plus conséquente qu’une noix de cajou ; mais alors, de Lainfame point. Faut dire que je n’ai pas la mémoire des blases. Les gens, leurs gueules, leurs étiquettes, je m’en tartine, tu comprends ? Ils me viennent, s’en repartent après avoir lâché un pet ou une connerie et tu voudrais qu’ils me bivouaquent dans le souvenir ? Non, mais de quel droit ?

Chez Lipp, comme toujours, et particulièrement à cette heure-ci, c’est bourré complet. Y en a même qui sont debout près du portemanteau et qu’attendent des places en fustigeant de regards impatients d’aimables personnes dont la nonchalance les met en transe.

Je visionne alentour, cherchant un esseulé, mais dans ce haut lieu de l’esprit, il n’est pas pensable d’avoir une table pour une personne. Une main levée au-dessus des rangées de tronches me sollicite. Elle appartient à un grand bonhomme blafard, fringué de sombre, mais par Smalto. C’est moi qu’il hèle. En allant à lui, je cherche à le replacer dans le merveilleux Hermitage de La Baule, sans y parvenir. J’ai beau l’imaginer bronzé, dans une chemise de lin bleu ciel, le personnage me demeure résolument étranger.

La chose m’étonne d’autant plus que si j’oublie vite, je me rappelle plus vite encore. Je croyais que notre revoyure fournirait le déclic : bide !

— Partons d’ici, me dit-il, j’ai réglé mon Vichy.

On ne se serre pas la louche. Je me sens tout renfrogné, ayant la brusque certitude d’avoir été baisé.