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— Whisky ! laconise-t-il.

— Ça ennuierait pas ton singe que je m’en farcisse une petite lampouille ? J’ai la béarnaise de mon château qui me tarabuste un peu les zophages.

Le secrétaire a un léger haussement d’épaules.

— Faites !

— Merci, mon pote, t’es un gars tout ce qu’il y a de compréhensif !

Là-dessus, le Dodu referme la vitre. Inquiet, je coule des regards pointus vers l’arrière de la Bentley. Je vois le Gros entonner sans façon le goulot d’un grand flacon de cristal. Il biberonne une rasade de soudard et me virgule une œillade béate. Son gros pouce brandi me raconte que le scotch de sir Harry Dezange est de first quality. Comme Béru s’apprête à se faire une deuxième injection, je fronce les sourcils. Alors, l’impertinent goret me tire la langue ; ce que notre mentor surprend dans son rétroviseur. Il doit se dire que le chef de la diplomatie malotrussienne a des manières peu protocolaires. Un qui se renfrogne vilain et qui sent croître son inquiétude, c’est votre bien-aimé San-A., mes toutes belles. Il se dit que, du train où vont les choses, il sera noir pour de bon, son faux ministre, à l’arrivée.

Je prends le parti d’ignorer le Gros, en m’efforçant toutefois d’exprimer la plus complète réprobation avec mon dos, ce qui n’est à la portée que des grands comédiens, des pédérastes et des bossus.

Je regrette d’avoir chiqué les subordonnés obséquieux. J’aurais dû m’asseoir aux côtés du Gravos ; mais pouvais-je me douter que la Bentley comportait un bar aussi bien pourvu ?

Quelques kilomètres pins loin, un chant vigoureux s’échappe du carrosse : « La marche des matelassiers ». Ça ne trompe pas. L’hymne est un thermomètre infaillible qui indique la teneur en alcool du Gravos.

« Cardons avec ardeur « Jusqu’au dernier quart d’heur’ !

mugit l’organe épais.

— Il est joyeux, votre ministre ! murmure ironiquement le ravagé du point culminant.

— C’est un être très simple. Dans les îles Malotrus, la vie n’est pas la même qu’ailleurs. On y est joyeux…

La Bentley quitte la route nationale pour obliquer dans un chemin étroit qui descend mollement en direction du lac. À ma grande surprise, je la vois dépasser toutes les propriétés et s’engager sur un môle de béton à l’extrémité duquel danse un bateau de plaisance.

— Il y a changement de programme ? m’étonné-je.

Le jeune chauve sourit :

— En effet, l’ami de sir Dezange donnait une réception ce soir, mais il nous a proposé d’user de son bateau.

Cette fois, je me dis que ça grince un peu. Pas très catholique, ce rendez-vous sur le lac, non ? Nos « interlocuteurs » se gafferaient-ils de la petite mise en scène exécutée à leur intention ?

Fort heureusement, j’ai mon ami Tu Tues passé dans la ceinture de mon futal, plus un couteau à cran d’arrêt dans ma chaussette, style dague écossaise ! Car, vous ne l’ignorez pas, je ne m’embarque jamais dans une aventure de ce genre sans une forte provision de biscuits. J’ouvre la lourde au Gros.

— Si tu joues au c…, je t’arrache les oreilles ! lui coulé-je à la faveur d’une courbette cérémonieuse.

Il me souffle au visage une haleine tellement chargée d’alcool que si j’avais eu une cigarette au bec à cet instant, on sautait comme deux crêpes.

— Je sus paré pour la manœuvre, mec ! m’affirme l’Excellence.

Il s’approche du chauffeur et murmure en lui glissant une pièce de dix centimes helvétiques dans la main.

— Tiens, petit gars, tu rempliras la boutanche du Vieux, rapport qu’elle a complètement tourné de l’œil pendant le trajet.

Satisfait, il rajuste son nœud de cravate et demande :

— Bon, où ce que s’opère l’usinage avec le vieux rosbif ?

— Si vous voulez bien me suivre, répond le Saurien sans s’émouvoir, mais en se dirigeant toutefois vers la passerelle, comme l’écrirait Alexandre Dumas un jour qu’il n’aurait pas eu le temps de lire sa prose.

Le bateau auquel il a été fait allusion quelques lignes plus haut est un Alaimb-Hombar de 25 mètres grandes ondes sur 4 de large, coque en simili tude, pontage éjectable, gouvernail prédominant à pirouette inversée, ligne de flottaison thermo-statique, stabilisateur à bouchon, baliseur de dérive sur rotules édentées, poupe à crémaillère, moteur pharyngé à arbre fourchu, cellule d’appel bi-convexe, hélice à fissure manchonnée, conducteur de pérennité, fuite d’huile extralucide, eau, gaz, électricité, plancton spontané, cale capillaire, bulletin paroissial attenant, stigmates progressifs, centre de gravité étanche, poche d’air latérale, détecteur d’oursin par rayons infra-rouges et poste d’équipage automatique. Une merveille ! Toutes les commodités ! Le bateau possède une mûrisserie de bananes, un gymnase, trois laveries, un bowling, seize hublots, et une proue allongeable qui peut se transformer en radeau. Il est doté en outre, ce qui est très rare, d’une bénédiction épiscopale et d’une lettre de recommandation du ministre de la marine suisse pour lui éviter de faire naufrage.

Il y a de la lumière à bord et nous percevons des bribes de musique. Je suppose le pont désert, mais comme j’achève de franchir la passerelle, je vois grésiller un gros point rouge, à gauche du bastingage en regardant en direction d’Evian. Un énorme cigare s’avance sur nous, tenu en laisse par sir Dezange.

Il est extrêmement typé, le Britiche. Pantalon rayé, veste noire, cravate gris perle. Il porte un énorme œillet à sa boutonnière et il a une main dans la poche de son veston, avec le pouce qui dépasse.

Je m’empresse dans mon rôle de secrétaire diplomatique.

— Permettez-moi, Excellence, balancé-je au Gros, de vous présenter sir Harry Dezange !

Puis, au vieux rosbif :

— Son Excellence, Monsieur Kabobo Hobibi !

— Mes respects, Excellence, fait Dezange en retirant sa main de sa poche et son cigare de sa bouche.

— Enchanté ! déclare le Gros en lui broyant la louche. Alors on prenait l’air mon sir ? Faites gaffe, les nuits sont frisquettes sur l’eau : à votre âge, si vous auriez pas votre Rasurel, vous risqueriez de vous bloquer les soufflets.

— Bon voyage, Excellence ? demande le flegmatique Anglais.

— Estrêmement bon, rondejambe le Mahousse. Sauf que notre zinc est tombé en rideau entre Caracas et Saint Nom la Bretèche, ce qui nous a obligés de faire une escadre technique dans les alentours de Bornéo, nécessairement ! D’où le retard dont à propos duquel je tiens à s’excuser.

— C’est moi qui m’excuse, murmure Dezange eu ouvrant la porte du rouf, je ne pensais pas devoir vous faire venir en Suisse, mais la police anglaise surveille d’un peu trop près nos activités.

Tiens, voici que, d’emblée, ça devient intéressant, les converses. Il n’a pas l’air de se calfeutrer outre mesure dans les mystères, Harry Dezange.

— Ça m’étonne pas d’elle, assure Bérurier, y a pas plus teigneux que les Anglishes.

Nous prenons place dans de confortables fauteuils de cuir. Le chauffeur, lui, est resté à terre. Sir Dezange plonge son cigare incandescent dans la trape d’un cendrier sur pied.

— C’est-y que vous seriez une petite nature fumeuse, mon cher sir ? s’alarme Béru en récupérant le moignon de cigare. Balancer un clop pareil, c’est pécher ; un barreau de chaise commak, j’en fais mes choux rouges !

Ayant dit, il secoue la cendre de l’opulent mégot et se le plante dans le bec.