— Merci, ma bonne amie, je savais que je pouvais compter sur votre coopération, assure-je. Je vous donne ma parole d’homme que vous n’avez aucun ennui à craindre.
— Complicité de kidnapping ! Aucun ennui à craindre ! glapit Gaston. Et les kidnappés sont des diplomates anglais ! Vous vous foutez du monde ! Jamais je ne marcherai dans une pareille combine, m’entendez-vous ? Jamais, jamais, jamais !
— Gaston ! murmure sa femme, très ennuyée.
Maïs il s’obstine, il devient gonzesse frileuse, le Gaston. Il se cramponne à sa quiétude bourgeoise. Qu’on le laisse crever peinardement, au milieu de ses rosiers. L’air de sa Suisse natale l’a régénéré. Loin de Pigalle, il a retrouvé le goût de la vie simple et tranquille. Il ne vent plus d’histoires, plus jamais ! Il est redevenu farouchement neutre, Gaston, voilà !
Je sens que c’est foutu. J’enrage. Je grogne, je rogne, je vergogne, je cigogne, je suis cogne.
— J’aime pas rappeler mes bienfaits, Gaston, mais laissez-moi vous dire que sans moi, vous seriez en ce moment à la Centrale de Poissy, en train de fabriquer des trucs en matière plastique.
— C’est vous qui le dites, j’étais innocent et j’aurais prouvé mon innocence !
Voilà où nous en sommes, mes chéries. Ce que ça m’écœure ! Les gens que vous avez dépannés finissent toujours par nier vos bontés. Ou par prétendre qu’elles n’ont servi à rien. Ah ! bonté céleste, heureusement qu’il existe les gonzesses. Elles, au moins, ont la reconnaissance du ventre !
— Très bien, Gaston, je vous remercie, soignez-vous bien et soyez heureux, rouscaille-je en me dirigeant vers la Bentley.
Que vais-je faire de mes pèlerins, maintenant ? Faut que je trouve une solution de rechange et que je la trouve vite car il est plus de midi. Dans trois plombes notre coucou décollera.
— Tu permets un instant ? me lâche le Mastar en se dirigeant vers Burny.
— Oh ! laisse, Gros, misérablé-je.
Mais il ne se laisse pas stopper.
— J’ai dit juste un instant, s’emporte le mammouth.
Il touche le bras de Gaston.
— M’sieur Gaston, si vous permettriez, je voudrais vous toucher un mot en particulier.
Il a un beau sourire engageant, Béru. Sa physionomie reflète la bonhomie la plus cordiale, la mansuétude la plus obstinée. L’autre s’y laisse prendre. Béru le biche familièrement par une aile, et les deux personnages disparaissent dans l’odorant labyrinthe de la roseraie.
— Faut excuser mon mari, monsieur le commissaire, pleurniche Mathilde. Depuis son infarctus, la mort de sa mère et tout, il est devenu tatillon. C’est comme qui dirait un jeune vieillard.
— Bien sûr, murmuré-je sinistrement. C’est l’évidence même.
Elle essuie une giclée de larmes.
— Je suis navrée qu’on vous refuse ce service, hoquète-t-elle.
— Et moi plus encore que vous me le refusiez !
Je la laisse évacuer sa honte en fumant une cigarette. Les momifiés de la contrebasse commencent à s’agiter dans leurs étuis. Je perçois des grattements, des geignements. Un vrai concert… de lamentations.
Le Gros tardant, je file deux petits coups de klaxon impatientés. Qu’est-ce qu’il branle, Béru ?
Tout à coup, les rosiers qui se dressent en bordure de l’allée s’escamotent et tombent. Le Gros apparaît, une faux dans les mains, il vient de tracer une étrange voie à travers la roseraie de Gaston. Derrière lui, Burny trépigne. Comme il est bath, Béru, dans ce geste de faucheur, aussi auguste que celui du semeur. Un peu rouge, en sueur, le bitos rejeté en arrière, les manches de la chemise retroussées. Il s’arrête au bout de l’andain et prend appui sur le manche de la faux.
Mort de rage et de chagrin, Gaston lui saute sur le poil, le houspille en glapissant des « Misérable ! Je vais appeler la police ».
Lors, Béru rejette sa faux, s’essuie le front et déclare :
— Ça, mon pote, c’est la première sanction.
Après quoi, il désigne sa montre à bracelet métallique.
— Tu vois c’te tocante, hein, fesse de rat ? C’est une Difor, donc elle est costaude. Eh bien ! je te diforme ma Difor sur le museau si tu t’obstines à jouer les ingrats. Et c’est pas tout, mon mec. J’ai plein de copains qui demandent qu’à me faire plaisir. Je leur tutoie ton pedigree dans le tuyau de l’oreille, et, aussi vrai que c’est plein de glace au pôle Nord, tu ne passeras jamais plus une nuit de repos, Gaston. Quand on veut foutre la m… dans la vie d’un gars, il a beau s’entortiller de flics et se barricader dans son réfrigérateur, ça n’empêche rien, souviens-en toi !
Il file encore un petit coup de faux polisson dans une somptueuse touffe de polygonus graducus veinés.
— Qu’est-ce tu décides ? fait Béru en se crachant dans les mains.
— Bon, d’accord, je garderai vos types, mais je vous préviens, si jamais ça se gâte, je dis qu’on me les a confiés !
— Ça se gâtera pas, Gaston, promet le Gros.
Burny est merveilleusement outillé pour héberger deux kidnappés. Juste à l’arrière de la fermette, il y a un cuveau avec encore son pressoir. C’est dans ce presse-raisin désaffecté que nous allongeons nos patients.
— Maintenant, gentlemen, leur dis-je, vous allez vous tenir tranquille pendant quelque temps. Lorsque nous aurons mené à bien notre mission, vous serez délivrés.
Ces Anglais, ils sont ce qu’ils sont — et principalement anglais — mais faut reconnaître que, question self-contrôle, ils ne craignent personne. Saucissonnés sur la froide pierre d’un pressoir, ils conservent un flegme édifiant. Sir Dezange serait dans son club, à London, qu’il n’arborerait pas une nonchalance plus badine.
— Well, fait-il, quelque chose me dit que nous nous retrouverons un jour prochain, mon cher.
— Ce sera toujours avec le plus grand plaisir, sir. Profitez de ces quelques jours de claustration pour vous relaxer. Dans l’univers trépidant où nous nous mouvons, il est nécessaire de dételer par moments.
Là-dessus, nous allons déguster le repas préparé par dame Burny. Un qui n’y fait guère honneur, c’est son époux. Une bouille pour Toussaint pluvieuse, il arbore. Il pense à ses rosiers fauchés, aux menaces planant sur son cœur fragile.
Avant de partir, Béru le biche par les revers et lui lance, le nez contre le nez, les yeux dans les yeux :
— J’oubliais, pépère, une précision importante : veille bien à ce qu’on retrouve ces messieurs à notre retour, hein ?
— Et si vous ne reveniez pas ? objecte le malheureux rentier.
— En ce cas, pouffe le Gros, dans un an et un jour, ils seraient à toi ! La loi, c’est la loi, mon pote !
Les bagages de sir Harry Dezange et de son secrétaire se trouvent à la consigne de l’aéroport, suivant mes indications. J’ai dans la poche les papiers du sir et ses titres de transport. Vous pouvez pas savoir comme ma photo fait mieux que la sienne sur son passeport. Et la manière dont je l’ai rajeuni de vingt ans, le cher Harry, en changeant un seul chiffre à sa date de naissance.
Le haut-parleur annonce le prochain départ de notre vol. Je me dis que tout baigne dans l’huile. À cet instant, une nuée de ravissantes filles se précipitent sur nous. Elles cernent le Gros et lui font un tas de mamours en s’exclamant dans des langues différentes.
— Qu’est-ce que c’est, Gros ? m’inquiété-je, bien que je devine la réponse.
— Les gonzesses d’hier, répond Son Excellence. Sacré tonnerre de nom de foutre, elles font donc partie du voyage !
Je questionne l’une des jeunes filles, une belle Anglaise blonde à rêver, avec des yeux verts comme le printemps.