— En effet.
— Je suppose, Majesté, poursuis-je, en ayant le sentiment de marcher soit dans un marécage, soit sur des braises ardentes, soit encore dans un tas de m…, et peut-être même sur et dans les trois réunis ; je suppose que, depuis les derniers pourparlers vous avez fait le tour de la question ? Puis-je vous demander, Majesté, d’exprimer vos ultimes exigences ?
Bien tourné, non ? M. Couvre-moi de murs vils n’aurait pas dit mieux.
— Parlez, devin Nikola ! ordonne la reine à son fondé de pouvoirs.
Le dabuche écarte sa longue barbe comme on écarte un rideau et dégage une amulette nouée à son cou, il nous la montre théâtralement. Ça représente des espèces de gros haricots secs noués par un fil.
— Après que ma gracieuse souveraine m’ait demandé d’interroger le dieu Atouberzingue, le dieu Kontpassurmoa, la déesse Mirosca ainsi que Honorus Heskarpi, le recteur-sorcier de la faculté, il a décidé ce qui suit.
Il replanque son amulette (de la régie d’état-bas) sous sa barbe et sort de sa poche un rouleau de faf-à-train qu’il se met à dérouler en lisant les énormes caractères qui s’y trouvent tracés à l’encre d’échine.
— Le gouvernement malotrusien consent à céder à la Grande-Bretagne l’île de Tanfédonpa, située en bas et à droite de l’archipel, à 45 degrés de l’Atoll à brûler eux à deux jours de pirogue Eve and Rude de l’îlot Treize-Or, et ce, poursuit le bêlant, pour une durée de cent douze ans, quatre mois, six jours, neuf heures et onze minutes à compter de la signature des accords.
— En v’là une drôle de durée ! s’exclame Bérurier.
Le vieillard con descend à s’expliquer.
— La restitution de l’île coïncidera ainsi avec les fêtes du cent-cinquantenaire de notre souveraine.
Béru se livre à un fulgurant calcul mental, ce qui vaut mieux, comme disait Brassens, de l’Académie Française, que d’en délivrer un de sa vessie.
— Qu’apprends-je, ma chère jesté, s’égosille le galantin, vous n’avez pas encore 38 ans ! Mais alors votre hommage et ce thé est comme qui dirait moins vioque qu’elle en a l’air. D’accord, trente-huit carats, c’est plus la rosée de printemps, mais c’est pas non plus la brume d’automne. Si je me permettrais de causer en camarade à votre mage lesté, je lui dirais qu’elle est pile à l’intersection de la belle amour vache et du feu au derche.
Kelhobaba trémousse du fion entre ses deux éléphants d’ivoire. On a beau être reine, peser une tonne et s’empiler des mentons sur la poitrine, on n’en est pas moins femme, hein ? Reine ou concierge, une dame est toujours sensible aux compliments. Et ceux de Béru sont si merveilleusement tournés !
Elle virgule au Mastar un regard de vache qui regarde passer le dernier train d’une ligne secondaire qui va être remplacée par un service d’autocars.
— Je ne savais pas les Anglais aussi galants, murmure-t-elle.
La louange (qui implique une critique) va droit à l’orgueil (et au slip) de Bérurier.
— Je suis anglais par accident seulement, ma belle jesté. Papa était un pêcheur normand, invente ce fin poète. Il voulait conduire m’man à la clinique en barque, mais il s’est perdu dans le brouillard et a traversé la Manche inadvertancement. V’là pourquoi j’ai né à Boston au lieu de naître à Boulogne-Billancourt-sur-Mer. La fanalité, quoi !
— Donc vous êtes d’origine française ? conclut la reine qui ne chôme pas des cellules.
— En somme, si on voudrait conclure, oui ! fait le Gravos. C’est ce qui vous esplique mon tempérament bouillaveur, ma Majesté. C’est mon héritier, qu’est trop chargé et qui cause dans mes tuyaux. Moi, quand je vois une femme, je pense à son culte, c’est physique.
L’aigre toux du vieillard nous ramené aux affaires d’État. Il est plus que pas content du Gravos, le devin Nikola. Le baratin du Dodu à sa souveraine lui semble être un crime de b… — majesté.
— Je continue ! annonce-t-il en poursuivant le déroulement de son papier-hygiéno-diplomatique.
À l’achèvement de cette période, la Grande-Bretagne devra quitter l’île de Tanfédonpa sans rien enlever des installations qu’elle y aura aménagées, car à cette époque, le gouvernement malotrusien sera en possession de la bombe atomique et se servira de l’île pour y poursuivre ses propres expériences…
Un rire copieux de Béru l’interrompt.
— Oui ? demande le vieux crabe.
— Mon pauvre pépère, va, vous vous berlurez drôlement, affirme le Mastar, dans cent douze piges, votre archipel ressemblera aux crassiers de Denain. Et si j’aurais un conseil à vous donner, pépère, ça serait de pas jeter votre rouleau de papelard torcheur après lecture ; dès que les espériences commenceront, vous allez drôlement piocher dans le stock, je vous le prédis sans avoir besoin que je devinsse devin !
Le vieillard s’approche de moi et m’attire à l’écart.
— Votre compagnon aurait-il perdu la raison ? me demande-t-il. On a l’impression qu’il souhaite rompre les accords !
Je baisse le ton et lui murmure :
— À vous je peux bien le dire, ô grand devin de qualité supérieure, il a pour mission de tester les réactions de la couronne, il prêche le faux pour se convaincre du vrai.
— Il n’y a rien à redouter, fait le devin d’appellation contrôlée, vous savez bien que je vous suis tout acquis, sir ?
Sa voix n’est plus qu’un imperceptible murmure :
— À ce propos, dit-il, j’espère que vous avez fait le nécessaire en ce qui me concerne ?
Cette question m’a-brûle-pourpointé l’entendement. Je pige tout. Le vieux se fait graisser pour iniluencer la reine Kelbobaba. C’est lui qui est sûrement à l’origine de la rupture des pourparlers avec la France ! Il a dû faire du rentre-dedans à notre envoyé, lequel n’a pas pigé son appel du panard, cette pomme ! J’en frémis d’aise. Le voilà bien, l’élément qui va me servir à renverser la situation. Je prends une mine désolée.
— Je suis navré, cher monsieur, mais je crains fort que vous n’ayez une grosse déception de ce côté-là.
Il en postillonne d’excitation :
— Quoi ! fait le devin du postillone.
— Après examen de vos exigences, ces messieurs des fonds secrets ont décidé qu’ils ne pouvaient rien faire pour vous, monsieur Nikola.
Il aime pas, le vieux teigneux. Mais alors pas du tout. Il doit avoir de sévères exigences pour pousser une bouille aussi consternée.
— Prenez garde, grince-t-il, vous méconnaissez mon pouvoir !
Je lui virgule un petit sourire insultant (comme on disait jadis au Maroc).
Et, à haute et intelligente voix, je claironne :
— Si vous voulez bien poursuivre votre lecture, ô devin blanc, nous en serions ravis.
Nous nous rapprochons du trône et c’est pour découvrir une scène extrêmement troublante. Pendant que nous appartions, le vioque et moi, Béru s’est mis à faire du gringue à Kelbobaba. Il est tout près d’elle et lui chuchote des trucs en la matant dans le jaune des yeux. C’est attendrissant, ce flirt Béruro-monarchique. La reine est vachement troublée, ça se voit à la manière qu’elle tire ses stores et se tripote la bagouze royale (un énorme diamant éclairé de l’intérieur et serti de minuscules ballons de rugby en émeraude d’un rouge extraordinairement bleu).
Le devin continue de dévider son papier qui serpente sur les marches du trône. Il sucre de rage, le sacripant, et sa voix fait la béchamel :