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— Bast, clémenté-je, les affaires étrangères sont les affaires étrangères. L’essentiel est que tout cela finisse bien pour nos os, n’est-ce pas ?

— Il ne nous reste plus qu’un point litigieux à trancher, fait Dezange de sa belle voix paresseuse en lissant les phalanges de sa main gauche.

Je le vois radiner, le sir, avec sa nonchalance et sa vue basse.

— Croyez-vous ? demandé-je.

— Voyons, my friend, l’affaire du Traité n’a toujours pas été réglée.

Il allume un cigare et poursuit :

— Malgré la dette de reconnaissance que j’ai envers vous, il me faut vous prévenir que je vais tout mettre en œuvre pour faire prévaloir la thèse britannique.

— … ?

Et d’ajouter, en riant à travers la fumaga bleue de son havane :

— Vous l’avez dit : « Les affaires étrangères sont les affaires étrangères ».

— Vous venez de perdre un solide atout en la personne du devin Nikola que vous aviez soudoyé…

— Bast, il m’en reste d’autres.

— On peut savoir ?

— La reine Kelbobaba n’est qu’une souveraine d’opérette. Si Sa Majesté Élisabeth II l’invite à lui rendre une visite officielle et qu’elle la lui promette triomphale, pensez-vous que Kelbobaba résistera à un tel argument ?

Je fais la grimace car, effectivement, le coup est rude.

— Reste à savoir, si votre reine…

— Mais je sais, sourit Dezange, et je suis autorisé à formuler l’invitation en dernier argument.

Ça me plaît pas, ce machin-là, mes frères. Mais alors, pas du tout.

— Après cette révolution avortée, continue le Talleyrand d’Outre-Manche, la monarchie malotrusienne va avoir besoin d’être consolidée. L’opération prestige, my dear, croyez-moi, il n’y a rien de tel. Kelbobaba cédera, d’abord parce que ça lui fera plaisir, ensuite parce qu’il y va de son trône !

— Je pourrais la faire inviter par notre Président, objecté-je.

— Hmmm, murmure le Diable goitreux, sans vouloir diminuer le prestige de votre grand homme, permettez-moi de vous faire remarquer qu’une Citroën ne vaut pas un carrosse et qu’il a reçu déjà tellement de dignitaires noirs que la chose manquerait de panache.

La carne ! Je commence à regretter d’être intervenu à temps pour lui sauver la mise. S’être donné tout ce mal pour se faire coiffer au poteau, avouez qu’il y a de quoi grincer des chailles !

Je dois arborer une moue de circonstance, car l’œil de Dezange frise.

— Allons, cher collègue, me dit-il, il faut savoir perdre avec le même brio que vous apportez à gagner.

Il a raison. Je lui rends son aimable sourire.

— Au fait, sir, comment avez-vous échappé à l’honorable gentleman suisse auquel je vous avais confié ?

Il hausse les épaules.

— Mon ami, ne prenez jamais pour complice un monsieur qui gobe une petite pilule toutes les cinq minutes. Lorsque vous avez été parti, il m’a suffi de lui affirmer que l’Intelligence Service serait chez lui avant vingt-quatre heures pour qu’il nous reconduise lui-même à Genève en se confondant en excuses…

Là-dessus, les portes s’ouvrent à deux battants. Le héraut annonce :

— Sa Puissante et Gracieuse Majesté, la Reine !

Nous nous levons.

Kelbobaba revient de ses appartements, flanquée de toute sa cohorte de lécheurs et pourlécheurs. Bérurier marche noblement à son côté, le front ondulé comme le toit d’une cabane à outils. Tiens, au fait, où était-il passé, le bougre ? Captivé par ma conversation avec Dezange, je ne m’étais pas gaffé de son absence.

Elle prend le bras du Gros pour gravir les marches de son trône rafistolé. Je remarque que leurs doigts sont emmêlés. Dites donc ! Est-ce que le gars Béru n’aurait pas aidé (à sa façon) la reine à se remettre de ses émotions ? Comme s’il devinait ma pensée, Alexandre-Benoît se retourne et me virgule un clin d’œil.

Au lieu de s’asseoir, la souveraine lève les bras en V.

— Vive la reine ! Vive la monarchie ! crie l’assistance.

Kelbobaba impose silence. Sa voix fluette retentit.

— Écoutez, vous tous, commence-t-elle, après m’être longuement recueillie…

Le Gros considère la pointe de ses groles d’un œil modeste. Un léger sourire satisfait donne de l’apaisement à son rude visage.

— Après avoir consulté le dieu Reféme le…

— Présent, gouaille Béru.

— Le dieu Cequélébate, poursuit la reine…

— C’est lui ! ajoute Béru en levant le bras.

— Et le dieu Tanhalonkomsa, termine Kelbobaba.

— C’est toujours lui, insère Béru.

— J’ai décidé ce qui suit, continue la grosse dame. À compter d’aujourd’hui, la monarchie est abolie aux îles Malotrus. Moi, votre reine, j’abdique afin que la nation malotrusienne poursuive plus librement sa marche triomphale vers le progrès.

C’est la stupeur ! Le silence ! L’hébétude !

Je me remets tant bien que mal pour filer un coup de coude à Dezange.

— Dites donc, vieux, familiarisé-je, j’ai idée que votre opération « consolidation du trône » est annulée !

Kelbobaba continue.

— À dater de cet instant, poursuit la citoyenne Kelbobaba (n’étant plus reine elle a droit à cette promotion), je deviens présidente de la nouvelle république. Ce faisant, j’ai les mêmes droits que mes sujets et je pourrais même me remarier s’il m’en prenait la fantaisie.

Ah ! petit monstre ! Ah ! sacré Béru !

— Une nouvelle constitution sera établie, à l’élaboration de laquelle le peuple participera par voie de référendum. En attendant, je nomme ministre des Affaires étrangères M. Alexandre-Benoît Bérurier, ici présent, dont le courage et la clairvoyance ont évité à notre bien-aimé pays de sombrer dans le chaos et l’anarchie.

— Et toc ! me fait le Gros. Une extraordinaire acclamation jaillit de toutes les poitrines :

— Vive la République ! Vive la Présidente ! Vive le ministre !

Des estafettes partent au galop pour annoncer au peuple la grande nouvelle. On se congratule.

Rapidement, je m’approche du Gros.

— Ça consiste en quoi, ton petit tour ? je lui demande.

Il bat des paupières.

— C’te femme, depuis des années qu’elle faisait roue libre du fouinozoff, les émotions édentes, j’ai eu qu’à me baisser pour lui ramasser la vertu. Tu penses bien que lorsque je lui eus fait ma grande séance parisienne : la cabriole d’Asnières, le mistifrisé de Pantin, la vipère lubrique du Kremlin-Bicêtre, le triple élan d’Aubervilliers, le ramoneur de la Bastille, l’arrosé du Petit-Clamart, l’inondé de la Butte, le Mimi de Pinson ; en continuant par mes célèbres tableaux vivants, style « Pose ta chique sur le radiateur », « Y a ton lacet qui se délasse » ou « Si t’aimes plus ça, n’en dégoûte pas les autres », elle était sous ma coupole, la majestueuse Majesté. Sa dynastie faisait des couacs, mon pote ! Sans compter que ça l’épouvantait, l’idée qu’on suce qu’elle venait de s’espédier chez Montgolfier. Le foutre m’a pris, et je lui dis tout de gauche : écoute, Germaine…

— Germaine ? m’étouné-je.

— C’est son deuxième prénom, je le trouve plus à ma portée. Donc, je lui dis : écoute, Germaine, avec ta royauté de mes choses, t’auras jamais que des zizanies, t’en as eu un exemple assez carabiné t’t’ à l’heure. Tu vas me virer ton trône à la gomme, ta majesté grassouillette, tes esclaves et tout le bigntz et te foutre en république à responsabilité limitée, que de cette façon, en prenant les devants, tu feinteras tous les pas contents. Si Louis XVI en aurait fait autant, il serait encore vivant, bien peinard à tirer le faisan à Rambouillet, au lieu de chercher sa tronche à quatre pattes.