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6

— Enfin, dit l’avocat en se levant pour partir, pourquoi, réellement, aviez-vous ce revolver sur vous ?

— Je vous l’ai dit… dit Claude. Il le dit encore une fois.

— C’était pour mon directeur, M. Saknussem, Arne Saknussem…

— Mais il prétend que non, dit l’avocat, vous le savez bien.

— Mais, c’est vrai, dit Claude Léon.

— Je sais bien, dit l’avocat, mais trouvez autre chose ; vous avez eu le temps, à la fin !..

Irrité, il marcha vers la porte.

— Je vous laisse, dit-il. Il n’y a plus qu’à attendre. Je tâcherai de faire de mon mieux ; vous ne m’y aidez guère !..

— Ce n’est pas mon métier, dit Claude Léon.

Il le détestait presque autant que le cycliste et que l’agent qui lui avait cassé un doigt au commissariat. De nouveau, il avait chaud dans les mains et les jambes.

— Au revoir, dit l’avocat, et il sortit.

Claude ne répondit pas et s’assit sur son lit. Le gardien referma la porte.

Le gardien posa la lettre sur le lit. Claude dormait à moitié. Il reconnut la casquette et se dressa.

— Je voudrais… dit-il.

— Quoi ? répondit le gardien.

— De la ficelle. Une pelote. Claude se frottait la tête.

— C’est défendu, dit le gardien.

— Ce n’est pas pour me pendre, dit Claude. J’ai mes bretelles, ce serait déjà fait.

Le gardien pesa cet argument.

— Pour deux cents francs, dit-il, je peux vous en avoir dix ou douze mètres. Pas plus. Et je risque !..

— Oui, dit Claude. Vous les demanderez à mon avocat. Apportez.

Le gardien fouilla dans sa poche.

— Je l’ai là, dit-il.

Il lui tendit un petit rouleau de ficelle assez solide.

— Merci, dit Claude.

— Qu’est-ce que vous voulez en faire ? demanda le gardien. Pas de bêtises, au moins ?

— Me pendre, dit Claude, et il rit.

— Ah ! Ah !.. dit le gardien en déployant sa gorge comme un drapeau, c’est idiot, vous aviez vos bretelles.

— Elles sont trop neuves, dit Claude. Ça les abîmerait.

Le gardien le regarda avec admiration.

— Vous en avez une santé, vous, dit-il. Vous devez être journaliste.

— Non, dit Claude. Merci.

Le gardien se dirigea vers la porte.

— Alors, pour l’argent, voyez l’avocat, dit Claude.

— Oui, dit le gardien. Mais c’est sûr, hein ?

Claude hocha la tête pour faire oui, et la serrure claqua doucement.

7

Mise en double et tressée, elle avait à peu près deux mètres. C’était juste. En montant sur le lit, il arriverait à la nouer autour du barreau. Pour régler la longueur, cela serait délicat, car il ne faudrait pas que ses pieds touchent terre.

Il l’essaya à la traction. Elle tenait. Il monta sur le lit, s’accrocha au mur et atteignit le barreau. Il attacha la corde péniblement. Puis il passa sa tête dans la boucle et se lança dans le vide. Il reçut un coup derrière la tête et la corde cassa. Il tomba sur ses pieds, furieux.

— Ce gardien est un salaud, dit-il à voix haute.

Le gardien ouvrit la porte à ce moment.

— Votre ficelle, c’est de la saloperie, dit Claude Léon.

– Ça m’est égal, dit le gardien. L’avocat me l’a payée. Aujourd’hui, j’ai du sucre à dix francs le morceau, si vous en voulez.

— Non, dit Claude, je ne vous demanderai plus rien.

— Vous y reviendrez, dit le gardien. Attendez seulement deux ou trois mois ; et j’exagère, vous n’y penserez même plus dans huit jours.

— Probablement, dit Claude. Ça n’empêche pas que votre ficelle, c’était de la saloperie.

Il attendit que le gardien s’en aille, et se décida alors à retirer ses bretelles. Elles étaient toutes neuves, en cuir et caoutchouc tressés. Elles représentaient les économies de deux semaines. Un mètre soixante à peu près ; il regrimpa sur le lit et assujettit solidement le bout au pied du barreau. Puis, il fit un nœud à l’autre bout et passa sa tête. Il se lança une seconde fois ; les bretelles s’allongèrent à fond, et il atterrit mollement sous la fenêtre. Alors le barreau se descella et lui arriva sur la tête comme la foudre. Il vit trois étoiles et il dit :

— Martell !..

Et son dos descendit le long du mur. Il se retrouva assis par terre. Son crâne enflait terriblement avec une musique atroce, et les bretelles n’avaient rien.

8

L’abbé Petitjean caracolait dans les couloirs de la prison suivi de près par le gardien. Ils jouaient à la pouillette. En approchant de la cellule de Claude Léon, l’abbé glissa sur une crotte de chat à neuf queues, et fit un tour complet dans l’atmosphère. Sa soutane gracieusement déployée autour de ses jambes robustes, le fit ressembler si fort à la Loïe Fuller que le gardien le dépassa, plein de respect et en se découvrant par politesse. Puis, l’abbé retomba par terre avec un bruit étalé et le gardien lui bondit à cheval sur le dos ; l’abbé fit pouce.

— Je vous ai eu, dit le gardien. Vous payez la tournée.

L’abbé Petitjean acquiesça de mauvaise grâce.

— Pas de blagues, dit le gardien. Signez un papier.

— Je ne peux pas le signer à plat ventre, dit l’abbé.

— Bon, je vous lâche… dit le gardien.

Sitôt relevé, l’abbé poussa un grand éclat de rire et se précipita droit devant lui. Il s’y trouvait un mur assez solide et le gardien n’eut pas de mal à le rattraper.

— Vous êtes un faux frère, lui dit-il. Signez un papier.

— Transigeons, dit l’abbé. Quinze jours d’indulgence ?

— Des clopinettes, dit le gardien.

— Oh, ça va… dit l’abbé. Je signe.

Le gardien détacha une formule toute remplie de son carnet à souches et donna son crayon à Petitjean qui s’exécuta, puis s’approcha de la porte de Claude Léon. La clé s’engagea dans la serrure qui prit parti pour elle et s’ouvrit.

Assis sur le lit, Claude Léon méditait. Un rayon de soleil entrait par le vide qu’avait laissé le barreau de la fenêtre en se descellant, faisait un petit tour et se perdait dans la tinette.

— Bonjour, mon père, dit Claude Léon en voyant entrer l’abbé.

— Bonjour, mon petit Claude.

— Ma mère va bien ? demanda Claude Léon.

— Mais certainement, dit Petitjean.

— J’ai été touché par la grâce, dit Claude.

Il se passa la main sur l’occiput.

— Tâtez, ajouta-t-il.

L’abbé tâta.

— Fichtre… dit-il, elle n’y a pas été de main morte…

— Loué soit le Seigneur, dit Claude Léon. Je voudrais me confesser. Je veux me présenter devant mon Créateur garni d’une âme nette.

— Comme si elle avait été lavée avec Persil !.. dirent-ils d’une même voix suivant le rite catholique, et ils firent un signe de croix des plus classiques.

— Mais il n’est pas encore question de vous estrapadouiller, dit l’abbé.

— J’ai tué un homme, dit Claude. Qui plus est, un cycliste.

— J’ai des nouvelles, dit l’abbé. J’ai vu votre avocat. Le cycliste était conformiste.

— J’ai quand même tué un homme, dit Claude.

— Mais Saknussem a accepté de témoigner en votre faveur.

— J’ai pas envie, dit Claude.

— Mon fils, dit l’abbé, vous ne pouvez pas ne pas tenir compte du fait que ce cycliste était un ennemi de notre Sainte Mère l’Église cornue et apostillonique…