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— Les Olympiens ? demanda Jack.

— Oui.

— Si je vous demande ça, c’est uniquement parce qu’ils ont été placés sous protection maximale il y a environ un mois et que c’est moi qui ai mis tout l’appareil en place. C’est rare, pour des trucs uniquement industriels.

— Est-il vraiment impossible qu’il s’agisse d’une défaillance locale ? demandai-je.

Ma voix était tendue, ma dernière lueur d’espoir sur le point de s’éteindre.

— Impossible, répliqua Dandy. Nous aurions eu Point Un aussitôt.

— Dans ce cas, murmurai-je, j’aimerais rejoindre les Olympiens dès que possible.

Dandy et Jack réfléchirent en silence à ce que je venais de dire.

— Vous avez certainement vos raisons, madame, fit le second, mais nous devons veiller à ce que vous soyez disponible pour discuter avec les représentants de l’agresseur. Vous vous manifesterez à eux avant la présidente, pour le cas où ils chercheraient à décapiter Mars. Les services de sécurité partent du principe que les Olympiens seront tués si l’agresseur parvient à les localiser. Ils seront donc évacués de Melas Dorsa le plus tôt possible, et nous ignorons absolument où ils se trouveront.

— J’ai besoin de communiquer avec eux, dans ce cas.

— Personne ne communique avec personne pendant quelques heures, peut-être quelques jours si nos craintes sont fondées.

— Si la situation est si grave, cela veut dire qu’il y a déjà eu des morts.

Jack hocha gravement la tête.

— Oui, madame. Coupures de courant, effondrements de galeries dans les stations les plus fréquentées, pertes d’oxygène, défaillances des recycleurs.

Ma nuque se raidit de rage sous l’armure qui l’engonçait.

— Quand pourrai-je communiquer avec Ti Sandra ?

Dandy allait répondre lorsque son ardoise bourdonna. Des signaux codés se succédèrent sur l’écran.

— C’est Point Un, dit-il. Quelqu’un a pu lancer un mini-satcom. Les choses vont vite. Nous devons vous mettre dans une navette pour vous conduire aux Mille Collines, où vous rencontrerez quelqu’un qui apporte un message de la Terre.

— J’espère que vous aimez l’aventure, madame la vice-présidente, me dit Jack.

— Pas ce genre d’aventure, répliquai-je.

— Moi non plus, madame.

— Quel est votre nom de famille, Jack ?

— Je m’appelle Ivan Ivanovitch Vasilkovsky, madame. Je suis du MA Yamaguchi, dans Australe.

La terreur ne dure qu’un temps avant de faire place au mal au ventre et à l’engourdissement.

Une motrice noir et rouge étincelante réservée à l’entretien nous attendait sur une plaque tournante du dépôt. Nous montâmes dedans par le sas du conducteur. Dandy vérifia aussitôt l’ordinateur de bord et constata qu’il avait été désactivé. Avec l’aide de Jack, il le débrancha pour qu’il ne reparte pas à la mise sous tension. Puis ils réglèrent la motrice sur commande manuelle de secours, activèrent les capteurs de sécurité mais laissèrent toutes les lumières éteintes. Nous quittâmes la plaque tournante. Dandy prit la première garde sur le siège du conducteur.

Je n’avais pas envie d’aller aux Mille Collines, mais leurs arguments étaient irréfutables. Sans ses wagons, en ligne droite, la motrice pouvait monter jusqu’à quatre cents kilomètres à l’heure. Le voyage nous prendrait au moins quinze heures.

Investie d’une autorité pesante, loin de Ti Sandra et dans l’impossibilité de la contacter pendant plusieurs jours peut-être, j’avais le sentiment d’être une enfant perdue. Je demeurais prostrée dans l’espace exigu où se trouvait l’inconfortable couchette qui démentait son nom de « lit de plumes » des siècles précédents{Allusion à la pratique syndicale nommée featherbedding, consistant à imposer la présence, jugée coûteuse et superflue par la compagnie ferroviaire, d’un salarié supplémentaire, par exemple, un pompier, à bord d’une locomotive. (N.d.T.)}.

Jack Vasilkovsky était assis sur un strapontin, l’expression indéchiffrable. Il aurait donné sa vie pour moi s’il en avait eu l’occasion. Il aurait tué.

J’avais déjà réfléchi maintes fois à ces questions, mais jamais avec une telle intensité ni avec un tel sentiment d’urgence. Je n’étais plus moi-même, je n’étais même pas la vice-présidente, j’étais le visage de la République jusqu’à ce que Ti Sandra puisse revenir en toute sécurité sur le devant de la scène.

Dans quelques heures, j’allais avoir à examiner les plans d’urgence établis par nos états-majors de défense et de sécurité. Peu après, que j’aie pu m’entretenir ou non avec Ti Sandra, j’affronterais un représentant de la Terre. Mais qui ? Et porteur de quelles exigences ?

Le minuscule hublot de la cabine laissait voir des morceaux de ciel rose en train de s’assombrir. Puis le rose se transforma en marron foncé piqueté d’étoiles. Vint ensuite un éclat bleu pâle le long de l’horizon, quelque chose que je n’avais jamais vu en direct jusqu’à présent, et la nuit tomba, froide et noire.

La cabine sentait les nanos éventées et la poussière. La motrice fonçait silencieusement en ligne droite. Il y avait peut-être d’autres trains bloqués sur la ligne, leurs ordinateurs tremblants sous les coups des impitoyables évolvons de la Terre. Jack semblait prêt à pulvériser tous les obstacles sur notre chemin, mais je commençais à penser de la même manière qu’eux et je compris qu’ils réquisitionneraient simplement la prochaine motrice en laissant les passagers bloqués se débrouiller tout seuls.

Curieusement, je commençais seulement à me rendre compte que nous étions en train de vivre des moments historiques. Que nous sortions vainqueurs ou non de cette bataille, la dispersion des dirigeants de Mars – présidente, vice-présidente et sans doute gouverneurs de district – passerait dans la légende martienne. Complots, leurres, navettes et trains dans la nuit.

L’ardoise de Jack bourdonna et un nouveau message codé arriva.

— Un autre lancement, dit-il d’une voix rauque. Point Un est toujours opérationnel, mais nos satellites sont détruits à mesure que nous les mettons en place. Ils cherchent vraiment à nous faire peur.

— Quel est le message ? demandai-je en me redressant sur ma couchette.

— J’en ai un de la présidente, destiné à vous seule, ainsi que des renseignements sur nos interlocuteurs des Mille Collines. Cailetet semble fonctionner normalement, de même qu’un certain nombre de MA dissidents mineurs. Mais rien d’autre.

Il transféra le message de Ti Sandra sur mon ardoise. Du texte, avec une seule image.

Très chère Casseia,

C’est toi la négociatrice à présent. La Terre s’adresse à nous à travers la voix sympathique de Cailetet. Tu vas, paraît-il, rencontrer un négociateur désigné par Crown Niger. La Terre a très peur. Quelqu’un d’informé a parlé. Zenger ? Les Olympiens se cachent en lieu sûr. J’ai donné à CF des instructions que je ne peux pas dévoiler ici. Dis ce que bon te semblera pour remettre Mars sur orbite. Mais dans quelques mois, peut-être quelques années, c’est nous qui posséderons les atouts. Tu apprendras ma mort à ton arrivée. Je t’aime et te confie notre enfant. Nous ne communiquerons de nouveau que lorsque nous aurons repris le combat. Il y a des criquets dans le sol.

Le texte était suivi d’une petite photo de Ti Sandra, le visage souriant mais hagard. Je commandai l’effacement du message, et la photo disparut.

Des criquets.

Jack se pencha en avant, effleurant ma main dans sa sollicitude.

— Ça va ? murmura-t-il.

— Que savez-vous sur les criquets ? demandai-je.