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Nous descendîmes sur le quai d’une station profonde, à l’épreuve de tout bombardement. Je montai immédiatement dans un camion blindé qui m’emmena, à travers des galeries nouvellement percées, en direction de l’est, où le capitole était en construction.

Dandy et Jack étaient montés à l’arrière du camion avec leur supérieur, Tarekh Firkazzie. Celui-ci, mince et blond, originaire de Boreum, avait été nommé chef de la sécurité martienne le mois précédent.

Deux femmes m’ôtèrent mon armure réactive et la plièrent soigneusement pour recyclage.

— Vous êtes courageuse d’avoir voyagé avec ça sur le dos pendant un jour entier, madame la vice-présidente, me dit l’une d’elles.

Jack s’approcha alors de moi. Ses dents grinçaient de manière audible. Sa mâchoire inférieure s’avançait comme pour parodier une sorte d’héroïsme mâle. Je vis cependant que son expression, bien qu’absurde, était sincère. Il portait la douleur dans ses traits.

— Madame la vice-présidente, j’ai été désigné – nous avons tiré au sort – pour vous faire part d’une mauvaise nouvelle. Votre fardeau va être encore plus lourd à porter. Ti Sandra et son équipage ont eu un problème avec leur navette. C’est peut-être un accident, mais nous n’en sommes pas certains. Nous n’avons pas confirmation de l’endroit où s’est écrasé l’appareil. Il faudra quelque temps pour le savoir. Les arbeiters de sauvetage branchés sur le système de détresse automatique n’ont décelé aucune présence vivante à l’intérieur de l’épave. Nous amenons un magistrat par les galeries. Vous serez invitée très bientôt à prêter serment en tant que présidente. Dans quelques minutes, peut-être. Je suis navré, croyez-le bien.

L’espace d’un instant, je fus dans l’incapacité de dire si c’était la mort simulée dont Ti Sandra m’avait avertie dans son message ou si l’accident était réel. Je préférais supposer que la première hypothèse était la bonne. En tout état de cause, j’allais devenir présidente de fait.

Je ne ressentais pas la moindre émotion. J’étais devenue une machine au service d’un appareil politique fonctionnant selon ses propres règles, inéluctables et sans âme.

Point Un avait joué son rôle de protecteur de la chaîne de commandement pendant ma fuite avec la motrice. Le président par intérim de la Chambre des Gouverneurs avait été amené d’Amazonis par navette. Celui de la Chambre du Peuple se trouvait déjà aux Mille Collines. Le Congrès intérimaire, surpris en pleine campagne électorale, était disséminé sur toute la planète, à l’exception de trois gouverneurs et de deux candidats représentants. Ils étaient actuellement dans une galerie profonde, gardés par les arbeiters de défense et les humains que Point Un avait pu rassembler.

Point Un contrôlait tous les éléments de liaison disponibles. Le réseau étendu était en panne, mais certains réseaux privés sur optique locale fonctionnaient en bande étroite et mode manuel et portable. Ils nous tenaient informés sur les conditions régnant dans les stations du bassin de Schiaparelli. En fait, les communications existaient, mais représentaient moins de un pour mille de la normale.

Nous ne pouvions toujours pas communiquer avec les Olympiens. Je ne m’attendais pas à recevoir d’autres messages de Ti Sandra avant plusieurs jours, peut-être plus longtemps encore.

Toutes les règles habituelles étaient ignorées, aucun pronostic n’était plus de mise.

Conduits par Dandy Breaker, cinq gardes et deux arbeiters m’escortèrent dans l’étroite galerie de secours qui passait deux cents mètres au-dessous du Congrès, juste au-dessus de la nouvelle tête de puits alimentant les Mille Collines. C’est là que je fis face au groupe de parlementaires hébétés. Durant un bon moment, personne ne parla. Puis ils se rassemblèrent en cercle autour de moi, me serrèrent la main et commencèrent à me poser des questions.

Je levai les bras, écartai un gouverneur qui semblait sur le point de me serrer dans ses bras et articulai aussi clairement que possible, sans crier :

— Nous sommes les seuls à pouvoir agir légalement en tant que gouvernement de la République. Nous devons procéder de manière ordonnée !

Le président de la Chambre des Gouverneurs, Henry Smith d’Amazonis, un petit homme trapu à la barbe courte et aux yeux perçants de porc, utilisa sa voix de stentor pour faire taire l’assemblée.

— De toute évidence, me dit-il en aparté, nous n’avons pas le quorum, mais il s’agit d’une session d’urgence.

J’approuvai.

— Notre service de renseignement, coordonné par les responsables de Point Un, a droit à des remerciements pour le travail remarquable qu’il vient d’accomplir.

— Ils n’ont pas évité cette catastrophe ! s’écria le représentant d’Argyre.

— Leur rôle n’a rien à voir avec la défense militaire ! riposta Henry Smith en levant le poing, le menton en avant dans la posture d’un taureau se préparant à charger.

Le représentant d’Argyre referma la bouche, les yeux agrandis. Ces hommes et ces femmes étaient tous terrorisés.

— Laissez-moi dire ce qu’il y a à dire, insistai-je.

— Et sans interrompre, précisa Henry Smith.

— Il est possible que la présidente soit morte.

Certains parlementaires et même quelques gardes qui n’avaient pas entendu semblèrent se flétrir. Leur visage devint aussi blême que celui d’un enfant sous le coup d’un choc.

— Mon Dieu ! fit Henry Smith.

— Je prêterai serment dans peu de temps, à moins que nous ne puissions établir que Ti Sandra Erzul soit encore en vie. On nous a annoncé que sa navette s’était écrasée et qu’il n’y avait aucun survivant. Je suppose que la destruction de l’appareil est due à un acte de malveillance.

— Mais qui ? Pour l’amour de Dieu, qui s’en prend ainsi à nous ? demanda la représentante Rudia Bly d’Icaria.

— On m’a fait savoir que j’aurai à négocier avec des gens de Cailetet, représentant la Terre. Les Terros semblent avoir décidé que nos penseurs et ordinateurs devaient tous être paralysés par leurs évolvons.

— Mais nous les avons nettoyés ! s’écria quelqu’un. On nous a garanti que…

— Silence ! tonna Henry Smith.

Je demandai à Lieh Walker, la responsable de Point Un et de la Brigade de Surveillance, de nous faire un rapport verbal sur la situation. Ses paroles ne nous apportèrent guère de réconfort. Nous avions des informations sur les conditions régnant dans le bassin de Schiaparelli, et quelques bribes de renseignements sur des endroits aussi éloignés que Milankovic et Promethei Terra, mais c’était à peu près tout. Aucun tableau complet n’était possible.

— Les communications avec les autres localités de Mars sont sévèrement limitées, conclut-elle. Même si nous disposions des données, nous serions dans l’incapacité de les assembler de manière cohérente. Nos interprètes sont en panne. Tout est contaminé à l’exception de nos ardoises et de quelques ordinateurs individuels dont les processeurs ont été fabriqués sur Mars.

— Notre position paraît intenable pour le moment, déclarai-je. Non seulement Mars est paralysée, mais il semble que les Terros aient truffé la planète, au moins en partie, de criquets.

Tous les parlementaires ne comprenaient pas ce terme. Les Martiens, traditionnellement, s’intéressent surtout à ce qui se passe chez eux. Je leur expliquai brièvement ce qu’était un criquet.

— Comment une telle abomination est-elle possible ? demanda l’un d’eux.

Henry Smith me jeta un coup d’œil comme pour quêter mon soutien moral.

— J’ai lu quelques rapports là-dessus, nous dit-il. Il s’agit d’un lit de purin technologique sur lequel personne n’aime s’étendre.