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Il haussa les épaules.

— Ce que la Terre est en train de faire à Mars va détraquer l’équilibre de la Triade, continuai-je d’une voix tremblante. Plus personne ne pourra se sentir en sécurité.

— Épargnez-moi vos sermons, fit Dickinson.

Gretyl s’avança alors.

— Nous comprenons mieux que vous les délicats équilibres de la situation, murmura-t-elle.

— Vous et vos idéaux de jeunesse ! Bon Dieu, Sean ! Tu ne vois pas que tu es dans le camp de Crown Niger ?

Je me forçai à me taire, mais tout mon corps tremblait de rage réprimée. Trois jours !

— La République n’a pas autorité pour enlever des citoyens, déclarai-je.

— La situation, je pense, peut se résumer ainsi, fit Dickinson. La Terre fait passer sa propre sécurité avant tout le reste et ne se fie aucunement aux intentions martiennes. Quatre-vingt-dix-huit pour cent des humains vivent encore sur la planète mère. Sachant ce que je sais de ton gouvernement, je ne vous ferais pas confiance moi non plus.

— Nous n’avons jamais manifesté la moindre hostilité envers la Terre. Tout le contraire, en fait.

— Mars aurait dû conserver son innocence, fit Dickinson. Pas d’État planétaire, pas d’interférences avec les grands. Rien d’autre que la paix et une relative prospérité. Je me suis battu toute ma vie contre l’étatisme. Tous les gouvernements finissent un jour ou l’autre par avoir recours à la force.

— Je suppose que ce ne sont pas les seules conditions ?

Il reprit son ardoise pour la lire.

— Retour à la structure économique des MA durant un minimum de vingt ans. Des moniteurs seront installés par la Terre dans tous les centres de recherche. Il y aura des visites d’inspection régulières dans toutes les installations de Mars, quelles qu’elles soient.

Ils avaient renoncé à nous laisser tranquilles. Ils nous voulaient affaiblis, enfermés dans notre propre passé, déchus de nos nouveaux pouvoirs. Quelqu’un avait fait le calcul que la situation technologique dégénérerait avant que toute négociation pacifique pût être menée à sa fin.

— L’occupation par la Terre, murmurai-je. Incroyable. Qui a pu croire que ce serait viable ?

— Ce n’est pas mon problème, déclara Dickinson.

— Et qu’est-ce que tu y gagnes, personnellement ?

— L’exil, je suppose. Aucun Martien ne tolérera plus ma présence ni celle de Gretyl. Aucun doute que si nous restons ici nous serons morts dans deux ou trois mois. Nous irons sur la Terre.

— Et ça te satisfait ?

— Pour voir la fin de l’État martien, j’accepte avec joie ma mort et celle de Gretyl. Je suis fidèle à mes idéaux. Je n’ai pas changé, moi, Casseia.

— Chaque pays a ses traîtres.

Il haussa les épaules pour écarter cette remarque et battit des paupières.

— Il me faut ta réponse au plus vite, dit-il.

— Quand ?

— Dans moins d’une heure.

— Nous n’avons pas le quorum. Si tu pouvais nous aider à réunir le reste du gouvernement…

— Ne cherche pas à gagner du temps. Nous sommes tous ici pour essayer d’éviter une plus grande catastrophe. Si nous n’y arrivons pas, des mesures plus radicales seront prises.

— Les criquets.

— Je n’en sais absolument rien. En tant que présidente, tu es habilitée par la constitution à négocier des traités avec une puissance étrangère.

— Mais pas à signer une capitulation en temps de guerre.

— Nous ne sommes pas en temps de guerre.

— Et c’est quoi, ça, alors, pour l’amour de Dieu ?

— Déstabilisation rusée et dévastatrice imposée par une puissance infiniment supérieure. Pourquoi mâcher les mots ? Je ne pense pas que tu sois stupide. Nous avons une heure, pas davantage. J’ai cru comprendre que si la Terre ne recevait pas de réponse avant l’expiration de ce délai, le nœud se resserrerait.

Ce n’était pas une négociation, c’était un ultimatum. Mars serait étranglée si je ne disais pas oui à tout. J’avais la tête qui tournait, j’allais défaillir de rage refoulée.

— Tu n’as donc pas de cœur dans la poitrine ? demandai-je à Sean. Tu ne ressens rien en voyant souffrir ainsi ta planète ?

— Ce n’est pas moi qui ai créé cette situation, répliqua-t-il vivement.

— Nous sommes des Martiens honorables, déclara Gretyl.

Pas le choix. Pas d’issue. Vendre à l’ennemi l’avenir de la République et tout ce à quoi nous avions travaillé jusqu’ici. Ce serait moi que l’on accuserait de traîtrise. Une sorte de délire se lova autour de moi avec une insistance séductrice. Meurs mais ne fais pas ça. Je ne pouvais pas les écouter.

Lieh regardait attentivement son ardoise depuis plusieurs minutes. Elle se leva dans la galerie et s’approcha de moi d’une démarche feutrée de crabe, la haine brillant dans ses yeux fixés sur Sean Dickinson. Elle se pencha pour murmurer à mon oreille :

— Madame la présidente, nous avons pu établir le contact avec les Olympiens. Ils disent qu’il ne faut pas brader le fonds de commerce et que vous devez quitter immédiatement cette assemblée pour monter avec moi à la surface. Charles vous fait savoir qu’il doit voir quelqu’un à propos d’un chien effroyable.

Je tournai vers elle des yeux perplexes. Elle se redressa et s’écarta de moi à reculons.

— Il faut que je discute de ça avec les personnes que j’ai rassemblées ici, annonçai-je à Sean.

Il hocha la tête comme s’il commençait à trouver le temps long.

— Tu auras ta réponse, ajoutai-je.

Je quittai la table en faisant signe à Smith et Bly de me suivre. Nous allâmes retrouver Firkazzie et Lieh dans le vestiaire des gouverneurs.

— Que se passe-t-il ? leur demandai-je.

Mes nerfs étaient en loques, toute mon assurance s’était envolée. Lieh laissa parler Firkazzie.

— Nous devons vous conduire à la surface dans les dix minutes qui viennent, déclara-t-il. Il y a une plate-forme d’observation au sommet du bâtiment principal du capitole, mais elle n’est pas encore pressurisée.

— Qui a donné cet ordre ?

— Ce n’est pas un ordre, madame. C’est une demande de Charles Franklin. Il dit que votre présence est indispensable et que c’est extrêmement important.

J’éclatai de rire et fis un effort sur moi-même pour m’arrêter avant que cela ne se transforme en un braiment hystérique.

— Que diable peut-il y avoir de plus important en ce moment que la négociation avec la Terre ?

— Je ne fais que transmettre le message, me dit Lieh.

Elle se raidit et soutint mon regard jusqu’à ce que je me calme.

— Allons-y, dans ce cas, murmurai-je.

— Nous n’avons pas beaucoup de temps, m’avertit Firkazzie. Nous devons mettre nos combinaisons et grimper à travers le chantier.

Dandy, Firkazzie et Lieh m’accompagnèrent. Tous les autres, parlementaires et assistants, restèrent derrière. Ils ne nous auraient servi à rien.

Nous prîmes un ascenseur qui nous conduisit aux niveaux supérieurs, deux étages au-dessus de la surface. J’étais trop hébétée et désorientée pour songer au protocole. Je sentais sur moi le souffle sinistre de la menace qui pesait sur Mars. Je voyais notre planète dévastée par des armées terros surgissant des sables. Je ne pouvais écarter de moi l’idée que cette pollution, cette agression inqualifiable avait déjà causé des morts et devait cesser au plus tôt, faute de quoi… Sean Dickinson m’avait lancé un ultimatum inacceptable. Je n’avais pas le choix. Il fallait accepter. Qui pouvait dire ou faire quoi que ce soit qui changerait cela ?

J’attendis dans une petite pièce obscure et glacée pendant que Dandy et Lieh sortaient des combinaisons, les essayaient et les déclaraient en état. Nous les revêtîmes avec les recycleurs. Les joints s’activèrent. Ma combinaison s’ajusta automatiquement autour de moi.