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Je me sentais bénie des dieux de n’avoir jamais eu cette occasion.

— Tu es certaine de ce que tu veux que je leur dise ? demanda-t-il.

— Oui. Tu diras à Crown Niger et à la Terre que tes accréditations ne sont pas recevables. (Je me tournai vers Dandy.) Quand il aura fini, arrêtez-le. Arrêtez-les tous.

Le gouverneur Henry Smith d’Amazonis paraissait sur le point de s’évanouir.

Sean Dickinson se leva, le visage soudain gris cendre.

— J’espère que tu sais ce que tu fais, me dit-il.

L’espace d’un instant, nous nous dévisageâmes en silence. Sean cligna des yeux, se détourna lentement et murmura :

— Je ne t’ai jamais fait confiance. Depuis le début.

— J’aurais donné ma vie pour toi. Mais j’étais jeune et bête.

J’aimerais faire une pause à présent, prendre le temps de souffler un peu et de repenser mon histoire. Je me souviens avec tant de vivacité de mes émotions d’alors que c’est comme si je me retrouvais là-bas dans cette salle. J’ai écrit les lignes qui précèdent en pleurant comme une petite fille. C’était le moment culminant de ma vie, peut-être parce que ce qui suivit fut trop immensément triste pour posséder une réalité.

À partir de là, les événements tombent dans ma mémoire comme des créatures mortes au fond d’un vieil océan, aplaties, comprimées, totalement irréelles.

Je ne prétends pas ne pas avoir eu ma part de responsabilité. J’étais plus impliquée, et par conséquent plus responsable que la plupart des personnes concernées. Le blâme est tombé droit sur mes épaules et je l’ai assumé.

Phobos apparut dans le ciel de la Terre sur une large orbite elliptique inclinée de trente degrés à l’équateur, avec un périgée de mille kilomètres et un apogée de sept mille kilomètres.

La face brillante du satellite, croissant et décroissant rapidement, changea toute l’équation de la situation comme rien d’autre n’aurait pu le faire. Mars avait les moyens de bombarder la Terre avec des lunes. Dans l’équilibre stratégique de la Triade, nous étions maintenant en mesure de faire pencher la balance du côté que nous désirions.

La Terre ne savait pas que la surface de Phobos abritait les hommes et le matériel indispensables à la mise en œuvre de toute cette puissance. Et son ignorance l’affaiblissait.

Mais ce que la Terre allait bientôt apprendre ou deviner pouvait nous affaiblir à notre tour.

Les évolvons se retirèrent dans les six heures qui suivirent, commandés par les satellites de la Terre en orbite autour de Mars. Ces satellites s’autodétruisirent ensuite, laissant de minuscules traces rouges dans le ciel noir. Nous reçûmes l’assurance qu’il n’y avait pas de criquets dans le sol martien. La confusion et la faiblesse du moment nous poussèrent à accepter ces affirmations. Mars commençait seulement à revivre. Les données circulaient de nouveau dans son corps.

Les réseaux de communication mis sur pied par des amateurs au cours des jours précédents furent recensés, réorganisés et officialisés pour servir éventuellement en d’autres occasions. Nous ne nous laisserions plus prendre en pareille position de vulnérabilité. Dans toutes les stations à travers Mars, les ingénieurs mirent au point des systèmes de flux de données plus simples et plus fiables. Nous retournions cinquante ans en arrière, mais c’était pour nous la garantie de pouvoir respirer, boire de l’eau pure et ne plus jamais connaître l’horreur de la rose du vide dans une galerie éclatée.

Mars se mit à compter ses morts. Chaque atrocité fut diffusée à travers la Triade. La tactique de la Terre avait fait long feu – pour le moment.

Alice I et Alice II faisaient partie des victimes. La moitié de nos penseurs de haut niveau ne purent être réactivés. Leur mémoire fut récupérée et en partie restaurée dans d’autres penseurs, mais leur essence – leur âme de penseur – était perdue à jamais. Je ne me permis pas de pleurer Alice. Il y avait trop de sujets de lamentation. Si je me mettais à pleurer les morts, je ne pourrais plus jamais m’arrêter. Et j’étais toujours sans nouvelles de Ti Sandra et d’Ilya.

Deux jours durant, navettes et trains affluèrent dans la nouvelle capitale, apportant parlementaires et juristes soucieux de voir confirmer l’indépendance de la République et son existence même. Munis de matériels nouveaux, les experts avaient décidé de tout passer au peigne fin et d’extirper la pollution implantée par la Terre.

Pendant deux jours, je coordonnai les opérations en tant que présidente, sachant bien que mon office était provisoire, persuadée – sans en avoir confirmation – que Ti Sandra était en vie quelque part. J’étais inquiète qu’elle ne donne pas encore signe de vie. Cela ne lui ressemblait pas, d’éviter le moindre risque. La politique exigeait son retour, ne fût-ce que pour rassurer les citoyens de Mars.

Je ne dormais pas. J’avais à peine le temps de manger tandis que je me déplaçais de station en station autour d’Arabia Terra, en train ou en navette, ne passant jamais plus de quelques heures d’affilée au même endroit. Nous n’accordions aucune confiance aux assertions de la Terre. Chat échaudé…

Cinq jours après le déplacement de Phobos, je fus invitée à assister au retour du satellite du haut d’une coupole d’observation de Paschel, non loin du bassin de Cassini. Dandy Breaker, Lieh Walker et le gouverneur d’Arabia Terra, Lexis Caer Cameron, accompagné de trois de ses collaborateurs, m’entouraient sous le large dôme de plastique. Nous levâmes nos coupes de champagne en regardant, cette fois-ci, à l’est.

— J’aimerais bien savoir ce que tout cela signifie, nous dit le gouverneur Cameron.

— Moi aussi, déclarai-je.

Lieh, pour une fois, se permit d’exprimer une opinion.

— Cela signifie que nous n’aurons plus jamais à nous incliner devant personne, dit-elle.

Je souris, mais j’étais incapable de partager son optimisme. Notre triomphe, en fait, allait être de courte durée.

— Trente secondes, annonça Lieh.

Nous attendîmes. J’étais à peine capable d’avoir des pensées cohérentes tant j’étais épuisée. J’avais besoin d’un bon bain pour purifier tout mon corps. Je l’aurais même échangé complètement contre un autre.

Phobos apparut, sous la forme d’un croissant qui s’élevait de neuf à dix degrés au-dessus de l’horizon. Après avoir effectué quelques relevés, Lieh nous confirma qu’il était sur la bonne orbite.

Le chien effroyable était rentré à la niche et n’avait pas souffert, apparemment, du voyage.

Je ne bus pas mon champagne. Après avoir remercié le gouverneur, je lui tendis ma coupe et Dandy m’escorta rapidement vers la sortie. Pas le temps de m’attarder.

Lieh établit des connexions avec les nouveaux satcoms et me montra les réactions des LitVids à travers la Triade. Je regardai et écoutai en silence. J’avais dépassé le stade de l’hébétude. J’étais figée dans mon isolement.

Je n’avais pas eu de nouvelles d’Ilya depuis la Suspension – c’était le nom donné par les journalistes de Mars à la guerre éclair.

Dans toute la Triade, un sentiment d’indignation contre la Terre avait explosé, s’était calmé puis avait fait de nouveau explosion sous la forme d’un appel au boycott général de la part de tous les exportateurs de matières premières. Ce qui n’était pas très réaliste. La Terre avait des stocks pour plusieurs années, en vue d’éviter les fluctuations du marché. Mais les répercussions politiques promettaient d’être sérieuses.