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Je levai les yeux vers elle, l’esprit embrumé.

— Ti Sandra est en vie. La nouvelle est confirmée.

— Merci, murmurai-je.

— J’ai un message de la présidente, poursuivit Lieh.

— Elle est blessée, précisa Dandy. Elle est actuellement en convalescence dans un lieu secret.

Je pris mon ardoise et la mis en contact avec celle de Lieh. Ils se retirèrent pour me laisser écouter Ti Sandra. Mes yeux se remplirent de larmes lorsque je vis apparaître son visage. On distinguait vaguement l’équipement hospitalier autour d’elle. Elle ne semblait pas souffrir, mais son regard était perdu dans le vague, et je compris que son système nerveux était sous contrôle nano.

— Ma petite sœur Cassie, commença-t-elle. (Ses lèvres avaient du mal à se décoller, ce qui assourdissait ses paroles. Quelqu’un lui donna à boire. Des gouttes luisantes coulèrent sur son menton.) Je te suis reconnaissante d’avoir porté cet horrible fardeau durant la semaine qui vient de s’écouler. Notre petit subterfuge a failli se transformer en réalité. Nous nous sommes vraiment écrasés avec la navette sur les pentes de Pavonis Mons. J’ai servi de cible à quelqu’un. Paul est mort.

Mes larmes se donnèrent libre cours. Ma poitrine se souleva. J’eus l’impression que mon corps tout entier allait se vider, que mon cœur allait s’arrêter de battre. Je poussai un gémissement sourd.

Dandy entrouvrit la porte pour passer la tête à l’intérieur puis se retira aussitôt.

— J’ai perdu la moitié de mon corps, paraît-il. Ce grand corps que j’aimais tant. Mais je guérirai. Les nouvelles chairs sont en train de se faire. Cependant, aucun penseur n’est là pour superviser. Aucun ordinateur ne contrôle les opérations. Vingt médecins humains se relaient vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Je me fais l’effet d’une gamine gourmande qui s’empiffre alors que les autres manquent… Mais ils ne veulent pas prendre de risques. Ils ne veulent pas que je sois en contact avec quoi que ce soit qui pourrait s’ajouter au mal qui a déjà été fait. Je ne ressens aucun chagrin pour le moment. Ils disent que je n’en ressentirai pas pendant un bon bout de temps.

« C’est moi qui ai dit à Charles et Stephen de faire ce qu’ils ont fait, Cassie, juste après mon accident, avant de perdre totalement connaissance. J’espère que j’avais encore tous mes esprits. Ça a accéléré les choses, n’est-ce pas ? Je leur ai demandé s’ils étaient prêts et ils m’ont assuré que oui. C’était dangereux, mais ils se sentaient capables de le faire. À présent, c’est terminé et tu dois continuer à ma place. Dis-leur que nous leur sommes tous reconnaissants. Mais il reste tant à accomplir.

« Il faudra que tu assures mon intérim pendant quelque temps. Tu es plus qu’une béquille pour moi, Cassie chérie. Tu dois être moi en plus de toi. Je ne sais pas si mes pensées sont aussi claires qu’elles le devraient.

J’avais envie de me recroqueviller sur moi-même, de redevenir une petite fille irresponsable et protégée par les autres. Pis encore, un sentiment de terreur absolue avait pris racine en moi. J’éteignis l’ardoise, coupant Ti Sandra en plein milieu d’une phrase. Je hurlai presque pour faire venir Lieh. Elle se précipita, blême, et se laissa tomber à genoux devant mon fauteuil.

— Trouvez Ilya, commandai-je en lui saisissant la nuque.

— Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir, murmura-t-elle. Nous le cherchons depuis que la circulation des données est rétablie.

— Trouvez-le, je vous en supplie, et prévenez-moi immédiatement !

Elle hocha la tête, exerça une pression sur mon bras et quitta de nouveau la cabine.

Je touchai l’ardoise et Ti Sandra parla de nouveau.

— … qu’il nous reste très peu de temps pour obtenir un consensus. Les élections ne peuvent pas avoir lieu. La République est encore sous la menace, plus que jamais, peut-être. Le Système solaire est fatal. Fatal pour Mars. Tu demanderas à Charles de t’expliquer. Tout est déséquilibré. Nous avons utilisé la peur pour combattre les effets de la terreur. Écoute bien. Nous sommes des brebis, toi et moi. Nous sommes sacrifiables pour la bonne cause.

« Et je ne parle pas de nos vies, ma chérie, mais de nos âmes.

Le centre de recherche de Melas Dorsa avait été abandonné au début de la Suspension. Charles était parti à bord du Mercure avec Stephen Leander. Les autres avaient pris un tracteur avec tout l’équipement qu’ils avaient pu sauver. Des images récentes du site confirmaient le bien-fondé de la décision de maintenir les Olympiens toujours en mouvement. Les restes des galeries, les alentours, la station elle-même avaient été éventrés, labourés comme par des milliers de taupes et d’insectes taraudeurs.

Les criquets. La Terre avait nié en avoir implanté. Nous diffusâmes donc les preuves à travers la Triade. Une nouvelle page dans la guerre des nerfs. Tarekh Firkazzie et Lieh suggérèrent que nous considérions la planète Mars comme à jamais « minée » et que tous les projets futurs tiennent compte d’un éventuel surgissement d’arbeiters de combat cachés dans le sol. Nous ne pourrions jamais nettoyer complètement la planète.

Firkazzie avait tristement examiné les restes du labo de Melas Dorsa et décidé qu’il ne pourrait jamais être remis en état. Il fallait trouver un nouveau site pour construire un labo plus vaste, qui abriterait un effort de recherche encore plus grand.

Du haut de son orbite, Charles suggéra un emplacement. Il s’était souvenu des recherches effectuées par son père dix ans plus tôt, quand il recensait les poches de glace et qu’elles n’étaient pas assez grandes pour alimenter des stations importantes. Une telle poche existait sous Kaibab dans Ophir Planum. C’était le vestige d’un lac peu profond remontant à deux cent cinquante millions d’années martiennes dans le passé. L’endroit était aride et désolé, d’accès difficile. Loin de toutes les autres stations, il constituait un choix improbable et il y avait peu de chances pour que des criquets aient été implantés là.

En vingt-quatre heures exactement, des nanos livrées et activées par un convoi de navettes édifièrent une structure préliminaire solide et modérément confortable constituant un refuge discret à une extrémité du plateau. Quelques douzaines de personnes pouvaient y séjourner en attendant que le site soit agrandi plus tard en vue de faire face à des projets plus vastes.

Charles et Stephen revinrent de Phobos en camouflant le Mercure sous une tempête de poussière soufflant de Sinaï. Quelques hectares de lave compactée et laminée servirent de plate-forme d’atterrissage sommaire.

Ma navette se posa à Kaibab quelques heures après l’arrivée du Mercure. Le terrain était épouvantable, creusé de sillons aux bords coupants et hérissé de coulées de lave à forte concentration de silice, chaque arête tranchante comme un rasoir, chaque creux rempli de rouille violacée et vitreuse. C’étaient des terres vraiment inhospitalières, pires que tous les endroits habités que je connaissais sur Mars.

Précédée par Lieh et Dandy, je quittai le sas de la navette en baissant la tête pour passer sous le joint tubulaire. J’aperçus d’abord Leander et Nehemiah Royce. Puis je tournai la tête et vis Charles. Il se tenait au pied de la rampe. Des nanos chirurgicales grises lui couvraient une partie de la face et du cou. Il me sourit en me tendant la main. Je la secouai avec effusion, des deux mains.

— Ça fait plaisir de te revoir, madame la présidente, me dit-il.

— Je ne suis plus présidente, Dieu merci.

Il haussa les épaules.

— Tu en as les pouvoirs. C’est ce qui compte.

D’un geste, il m’indiqua le chemin.