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Lieh était revenue, le visage rouge, l’air penaud. Elle se tenait à côté de Dandy. Je me levai, fis un signe de tête à Charles, à Leander, à Royce et à Vico-Persoff, et les remerciai pour le thé. Puis je sortis avec mon garde du corps et mon experte en communications.

J’avais besoin d’une couchette Spartiate et d’un minimum de commodités.

Lieh utilisa une clé électronique pour m’ouvrir ma chambre. L’endroit était aussi fruste que j’aurais pu l’imaginer. Propre, neuf et dépouillé. Cela sentait l’amidon et le pain frais.

— Si la présidente est réveillée et suffisamment en forme, j’aimerais lui parler tout de suite, demandai-je.

Lieh semblait troublée. Elle détourna les yeux et secoua la tête. Dandy s’avança dans la chambre, les bras ballants.

— Ce n’est peut-être pas le moment, madame, dit-il. La nouvelle nous est arrivée il y a quelques minutes. On a retrouvé votre mari.

— Il est à Cyane ? m’écriai-je.

— Il a été évacué dans une petite station de Jovis Tholus. Il y est arrivé sain et sauf, à ce que j’ai compris, mais c’était une station toute neuve, à l’architecture dynamique, contrôlée par les penseurs.

— Pourquoi ne pas l’avoir laissé dans son labo à Cyane ?

Je m’assis sur le lit, pensant qu’elle allait me raconter les démêlés d’Ilya avec la sécurité ou avec les systèmes désorganisés de la station. J’espérais une petite comédie technique propre à soulager mon oppression.

— Ça n’a pas été une très bonne idée, admit Dandy, qui semblait avoir du mal à contrôler ses émotions. Il y a eu une explosion dans les quartiers principaux de Jovis. Cela fait plusieurs jours qu’ils creusent et recensent les pertes. Cinq cents morts et trois cents blessés.

— Il est mort, murmura Lieh. On vient de retrouver son corps. Nous ne voulions rien vous dire sans avoir de certitude.

Je n’eus aucune réaction. Il n’y en avait pas d’appropriée et je manquais d’énergie pour le mélodrame. J’étais un abîme où tout s’engouffrait. Une force non pas positive mais négative.

— Voulez-vous que je reste ? me demanda Lieh.

J’étais allongée sur le dos sur ma couchette et je contemplais d’un œil hagard le plafond et les murs bleus des cabinets de commodité.

— S’il vous plaît, murmurai-je.

Elle toucha le bras de Dandy et il sortit en refermant la porte derrière lui. Elle vint s’asseoir sur le lit en s’adossant au mur.

— Ma sœur et ses enfants sont morts à Newton, me dit-elle. Quatre-vingt-dix victimes en tout.

— Désolée, murmurai-je.

— J’étais très proche d’elle, avant d’être recrutée par Point Un. Comme le temps passe… Cette mission semblait si importante.

— Je comprends ce que vous ressentez.

— J’aimais Ilya. Il avait l’air gentil et direct.

— Il l’était.

Cette conversation, qui ressemblait à un rêve, me disait de combien de couches isolantes j’avais enveloppé mes sentiments. Je m’étais attendue à cette nouvelle tout en refusant d’en envisager la possibilité et, les jours passant, la quasi-certitude.

— Parlez-moi de votre sœur, murmurai-je.

— Je ne crois pas être prête à parler d’eux, Casseia.

— Je comprends.

— Le labo n’a pas tellement souffert, en fait. D’après Dandy, c’est à cause de nous qu’il est mort.

— C’est ridicule.

— Il le prend mal.

— Il faut que je parle à Ti Sandra.

— Vous devriez attendre quelques minutes, je pense. Réellement.

— Si je fais autre chose que du travail, je vais basculer de l’autre côté. Il y a trop de choses qui attendent.

Elle lissa la poche de son tailleur gris et posa sa main sur la mienne.

— Reposez-vous un peu, me dit-elle.

— Non, refusai-je.

Elle se leva, tendit son long bras et ses jolis doigts fins vers le mur et ouvrit le port optique de la chambre. Je lui donnai mon ardoise. Elle la connecta. Quelques touches enfoncées, accompagnées de quelques instructions vocales, une série de codes et de vérifications de sécurité, et elle fut en contact avec Point Un aux Mille Collines. La communication était établie.

Je parlai à Ti Sandra dix minutes plus tard. Je ne lui dis rien au sujet d’Ilya.

Nous discutâmes de la situation et des propos que nous avions échangés avec Charles. Toujours enveloppée de nanos chirurgicales, les paupières lourdes, elle murmura d’une voix rauque :

— Nous sommes bien d’accord, Stephen, toi et moi, mais nous ne sommes pas assez. Il y aura nécessairement des conséquences. Et nous ne pouvons pas aller n’importe où les yeux fermés. Qu’est-ce que c’est que cette idée ? Il nous faut des experts. Il faut y réfléchir sérieusement d’abord.

— Les Olympiens constitueront un début. Il faudrait réunir tout le monde dans une semaine au plus. Prendre le risque.

— Point Un fera le nécessaire. Tu es toujours présidente en exercice, Casseia. Comment ça va, ma chérie ?

— Pas très fort, à vrai dire.

— Nous sommes tous en piteux état. Nous avons besoin de changer de décor, n’est-ce pas ?

— C’est exact.

— Occupe-toi de rassembler tous les experts de Mars que tu pourras. Tous ceux qui peuvent nous aider. Tiens-moi au courant. J’essaierai de rester éveillée, Casseia.

Je lui touchai le visage sur l’ardoise en lui disant au revoir. Lieh attendait dans un coin, le visage tourmenté et curieux.

— Pourquoi allons-nous faire ça ? demanda-t-elle.

Je m’allongeai de nouveau sur le lit.

— Vous pourriez me le dire aussi bien vous-même, répliquai-je.

— Parce que, si nous ne le faisons pas, beaucoup de gens vont mourir. Mais combien mourront si nous le faisons ?

— C’est ce dont il faut s’assurer d’abord.

À travers les couches qui m’isolaient, à travers la brume de ma réaction lente, mon rehaussement commença à s’attaquer au problème du déplacement brusque d’une masse comme celle de Mars quittant le Système solaire.

Plus de distances… Des voleurs dans une salle du trésor galactique.

— Il nous faut des aréologues, je pense, me dit-elle.

— Exact. Des ingénieurs en résistance des matériaux pour évaluer chaque station. Des gens à qui nous puissions faire confiance. Nous serons obligés d’abaisser quelque peu nos niveaux de sécurité, bien sûr. De toute manière, cela va se savoir très vite.

— La réunion devra se tenir en personne et à huis clos. Tous les participants seront mis en quarantaine jusqu’à ce que nous ayons bougé.

— Ah ?

J’étais toujours accaparée par mon rehaussement.

— Le plus grand danger, c’est qu’il y ait une fuite vers la Terre. Ils sont capables de prendre des mesures au premier signe de notre part indiquant que nous travaillons sur quelque chose d’extrême.

— C’est vrai, murmurai-je.

Je la laissais réfléchir à ma place, emballer le concept dans du papier cadeau.

— Il va falloir préparer soigneusement l’opération, murmura-t-elle.

— Une vingtaine de spécialistes, pas plus. Et il nous faut un endroit sûr pour nous réunir.

— Il n’y en a pas de plus sûr qu’ici.

— Très bien, dis-je, soudain affolée à l’idée de rester plus longtemps dans cette chambre où j’avais appris la mort d’Ilya. Demandez aux Olympiens ce qu’il leur faut pour construire plusieurs pinceurs de grande taille, et combien de temps ils prévoient.

— Je vous réveille dans huit heures, me dit-elle en sortant.

Je fermai les paupières.

Lorsque la douleur descendit sur moi, je me frottai vigoureusement les yeux jusqu’à ce qu’ils me fassent mal. J’essayais de refouler mes larmes et de rester en possession de mes moyens. Je ne pouvais pas accepter. Je ne pouvais pas croire. Mes complexités d’adulte ne signifiaient rien face au besoin que je ressentais dans mon âme d’enfant. Je voyais sans cesse le visage de ma mère disparue avant que tout commence, perdue pour moi, perdue pour mon père. Je refusais d’assumer le chagrin de mon père, de perdre mon moi intérieur. J’étais incapable de revoir le visage d’Ilya avec clarté, comme une photo. Je pris mon ardoise pour chercher son image. Oui, il y avait celle où il était penché, souriant, sur une cyste mère à Cyane, et celle du jour de notre mariage, où on le voyait guindé dans son costume de cérémonie.