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— Je voudrais que tu me pardonnes, murmurai-je. Je n’ai pas toujours été très gentille avec toi. Tu as fait un magnifique travail.

— Merci, me dit-il.

Son visage s’était illuminé. Il me regardait avec une intensité empreinte d’une douceur infinie. J’avais toujours eu ce pouvoir de lui plaire. Je n’avais jamais eu autant de prise sur Ilya, et c’était peut-être la raison pour laquelle je l’avais aimé.

Je regardai les étoiles scintillantes et cerclées à la périphérie de la grosse lentille aplatie.

— Il faut faire des réservations ? demandai-je.

J’entrai au milieu d’une discussion le lendemain en venant avec Dandy et Lieh inspecter l’état des travaux sur les gros pinceurs. Le laboratoire central avait été achevé la semaine précédente. Le matériel avait été groupé dans une seule salle, et quelques essais préliminaires avaient déjà été effectués sur de petites quantités d’oxygène transformé en antioxygène. La voix de Leander s’éleva au-dessus de la mêlée.

— Personne ne comprend donc contre quoi nous nous battons ?

Mitchell Maspero-Gambacorta et Tamara Kwang s’opposaient à Charles, Leander et Royce. Lorsque Kwang me vit arriver, elle figea ses traits en un masque glacial. Maspero-Gambacorta secoua la tête, grommelant entre ses dents, et s’éloigna pour s’asseoir sur le comptoir bas où étaient fixés les gros extracteurs entropiques. Royce ramassa son ardoise et quelques outils. Il fit mine de partir, mais hésita et resta maladroitement planté là, les bras chargés. Le visage de Leander s’était empourpré d’émotion. Charles, assis les mains sur ses genoux croisés, offrait une image de sérénité quelque peu détachée.

— Un désaccord ? demandai-je.

— Rien qu’on ne puisse résoudre, fit Leander, peut-être avec un peu trop de précipitation.

— Tamara et Mitchell pensent que nous devrions renoncer au secret qui entoure nos recherches, m’expliqua Charles.

— C’est la seule chose sensée à faire, approuva Kwang.

— Rien de tout ce que nous pouvons faire n’est sensé, murmura Maspero-Gambacorta en croisant les bras.

— À qui proposez-vous d’en parler en premier ? demandai-je.

— À la Terre, naturellement, fit Kwang. J’y ai beaucoup d’amis, des gens qui pourraient nous aider à aplanir les difficultés, à résoudre les problèmes politiques et dissiper les malentendus…

— Malentendus ?

— Je ne suis pas une idiote, se défendit Kwang. Je sais dans quelle situation nous nous trouvons, mais si nous pouvions parler, trouver un terrain d’entente… Je me sentirais tellement mieux…

Les mots s’étranglèrent dans sa gorge et elle secoua la tête avec émotion.

— Nous avons discuté mille fois de tout ça, fit Leander.

— C’est un cercle vicieux, murmura Charles.

— Je sais ! s’écria Kwang en levant les poings. Ils peuvent décider de nous exterminer d’abord s’ils croient que nous avons les moyens de les exterminer. Mais ils ne bougeront pas s’ils pensent que nous pouvons agir plus vite qu’eux. Nous ne pouvons pas leur dévoiler ce que nous savons, parce qu’ils sauront que nous pouvons les avoir et que, si nous les mettons au courant, ils sauront comment nous avoir. Tout ça est complètement insensé !

— Je suis d’accord, déclarai-je. La meilleure chose à faire, c’est laisser les choses s’apaiser, refroidir d’elles-mêmes.

— En prenant la fuite ? demanda Maspero-Gambacorta. Ce n’est pas un comportement très adulte.

— Vous avez une meilleure idée ?

— Oui. Et même une douzaine. Mais ni Charles ni Stephen ne sont d’accord.

— Dites-moi ce que c’est. Vous me convaincrez peut-être.

Son visage se tordit de frustration.

— Très bien. Ce ne sont peut-être pas des idées meilleures, ce sont peut-être des vues idéalistes, insensées, dangereuses pour notre sécurité, mais au moins elles nous permettront, si nous les essayons, de dormir un peu mieux la nuit.

— L’objectif n’est pas de dormir mieux, mais de rester en vie et de préserver la liberté de Mars.

— Nous travaillons tous ici d’arrache-pied, me dit Kwang. Ne croyez pas que nos désaccords nous empêchent de faire notre boulot.

— Loin de moi cette idée. Si l’un d’entre vous connaît une meilleure solution, idéaliste, cynique ou autre, qu’il me le fasse savoir.

Royce reprit sa place, les bras toujours croisés, en demandant à la cantonade :

— Bon, c’est fini, maintenant ? On reprend le collier ?

— Encore quatre semaines et nous n’aurons plus de secrets pour personne, déclara Ti Sandra en préambule à notre communication quotidienne suivante.

Toute seule dans mes appartements, entourée des bruits de chantier qui se répercutaient à travers le sol dans les galeries, je scrutais les multiples expressions du visage de Ti Sandra comme j’aurais pu examiner les traits d’une idole dans l’espoir d’y lire un signe.

— Le moment est venu de repérer le terrain, ajouta-t-elle. De conduire Phobos à la destination de notre choix. On va s’apercevoir qu’il manque un satellite, aussi il faudra le faire revenir avant que l’alarme ne soit donnée. L’aller-retour ne devra pas prendre plus de cinq heures.

— Charles et moi avons étudié les détails. Il pense que nous pouvons le faire. Je voudrais aller avec lui.

— Pourquoi ?

— Parce que je refuse d’envoyer Mars à un endroit où je ne suis pas allée d’abord moi-même.

— Point Un va piquer une crise.

— Dans ce cas, on ne leur dira rien.

Elle réfléchit quelques instants, pesant le pour et le contre.

— D’accord. Tu iras avec eux. Je veux quelqu’un là-bas à qui je puisse faire confiance sans réfléchir. En ce qui me concerne, tu es la chair de ma chair.

— Merci.

— Je voudrais également qu’on installe une équipe de secours avec un pinceur sur Deimos. Si vous ne revenez pas, ou si vous revenez trop tard, nous enverrons Deimos dans la Ceinture où nous le planquerons en nous préparant au pire.

L’idée d’utiliser Deimos comme solution de repli – inutile de préciser à quelles fins – me semblait presque normale, pas du tout troublante.

— Est-ce qu’on les prévient que Phobos va disparaître ?

— On leur doit bien ça, il me semble. Mais je ne suis pas sûre qu’ils ne vont pas croire à une attaque.

Je lui parlai des objections incessantes de Wachsler et de l’esprit de fronde grandissant chez les Olympiens ainsi que parmi certains de nos conseillers et collaborateurs les plus proches.

— Je m’y attendais, dit-elle. J’aimerais être à tes côtés pour t’aider à défendre notre point de vue. Mais tu peux y arriver toute seule. Ils t’écouteront.

J’avais l’impression que je n’arrivais pas bien à faire passer l’urgence de la situation à travers le système vid.

— Je ne sais pas si ce sera aussi facile que ça, murmurai-je. Tu te rends compte de ce que nous nous proposons de faire ?

— Ça me fout la trouille, c’est vrai. Ils ont peut-être une telle trouille, eux aussi, qu’ils sont prêts à faire confiance à la Terre.

— Ce serait naturel comme réaction.

— Tout le monde oublie donc si vite ?

— J’espère que non.

— Il y en a qui n’ont pas perdu autant que d’autres, fit Ti Sandra avec une touche d’amertume dans la voix. Continue le combat, Cassie. Continue de les persuader. Maintiens l’enthousiasme de ceux qui croient en toi. Envoie-les partout faire du prosélytisme pour notre compte, si tu peux te passer d’eux.

— Encore une campagne électorale ?

— Ça ne finit jamais.