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— Il y a des moments où je me fais l’effet d’un monstre rien qu’à l’idée d’envisager de telles choses. On ne pourrait pas organiser un référendum ?

— Combien de temps nous reste-t-il ?

— D’après Charles, la Terre a besoin d’un mois, de deux au maximum, avec les indices qu’elle a déjà. Et nous n’éliminons pas la possibilité qu’ils aient des espions parmi nous. Ça pourrait arriver plus tôt que nous ne le pensons. Mon Dieu ! Nous avons si peu de marge…

— Précisément, fit Ti Sandra. Ni toi ni moi ne sommes indispensables. Nous travaillons à sauver les autres et c’est tout. Ne l’oublie pas, ma chérie.

— On a tous tellement besoin de toi ici, murmurai-je d’une voix qui commençait à défaillir. Et il y a si peu de choses qui m’incitent à continuer.

— Je récupère aussi vite que je peux. Tu tiendras le coup. Tu es forte.

Quelques heures avant l’aube, le 23 du Verseau, cinq membres de l’équipe de Préambule, Charles, Stephen, deux astronomes et moi, nous montâmes dans un tracteur pour parcourir le kilomètre de piste nouvellement tracée conduisant de Kaibab au site secret de décollage du Mercure.

J’avais fait la connaissance des astronomes deux heures plus tôt. Ils venaient d’arriver de l’UMS. Le plus âgé des deux, Jackson Hergesheimer, était spécialiste des planètes extrasolaires. Originaire de la Lune, il n’avait aucune affiliation avec les MA. L’UMS l’avait invité à faire partie de sa faculté vingt ans plus tôt. Il était grand, osseux, avec un visage tourmenté et simiesque et des mains larges comme des battoirs.

Son assistante, Galena Cameron, était venue de la Ceinture cinq ans plus tôt pour étudier à l’Université Expérimentale de Tharsis. Sa spécialité était la construction d’observatoires dans l’espace interstellaire. Une grande partie du matériel chargé à bord du Mercure était sous sa responsabilité et consistait en prototypes de capteurs destinés au SGO, le Supraplanar Galactic Observer, prestigieux programme inter-MA dont le lancement avait été reporté neuf fois au cours des cinq dernières années. Hergesheimer ne semblait pas impressionné outre mesure par ce que nous nous apprêtions à faire – je suppose que c’était pour lui une manière de cacher son angoisse –, mais le visage de Cameron avait une roseur inhabituelle, et elle ne cessait d’agiter les mains.

Le revêtement de la plate-forme de décollage apparut comme une série de bosses noires dans le faisceau de nos phares. Le Mercure était sous une simple bâche de la couleur du sol – le meilleur des camouflages. Il n’y avait eu, visiblement, qu’une tentative sommaire de dissimuler ce qui se passait ici. Les observateurs de la Terre, de la Ceinture ou de n’importe quel point intermédiaire auraient fort à faire s’ils voulaient étudier en détail les centaines de plates-formes qui ressemblaient à celle-ci. L’espace orbital martien était toujours ouvert à tous les anciens MA, qui tenaient souvent à conserver leur propre flotte de navettes orbitales. Le départ d’un engin à partir d’un site conçu pour ressembler à une station minière récemment rouverte sur le plateau de Kaibab n’était pas propre, en soi, à attirer l’attention.

Le chauffeur du tracteur, Wanda, une femme trapue et musclée vêtue d’une combinaison thermique de couleur verte, nous regarda par-dessus son épaule en souriant.

— Il faut que vous soyez là-haut dans trente minutes, nous dit-elle. Dès que vous serez en orbite, nous vous donnerons le feu vert par liaison directe. À votre retour, nous utiliserons aussi la liaison directe pour vous dire où vous poser. Nous ne tenons pas à ce que les Terros associent le Mercure à l’opération Préambule.

« Liaison directe » était le nom de code désignant la communication instantanée par pinceur. Nous allions utiliser ce type de liaison pour la première fois, mais uniquement en orbite.

Charles la remercia et lui donna une tape sur l’épaule.

— Wanda conduisait également le tracteur lors de notre première excursion, me dit Charles. On commence à avoir l’habitude.

— Je ne pose pas de questions, murmura Wanda en nous fixant tour à tour de ses yeux bruns, les lèvres froncées dans une moue d’amusement. Je demande juste le plaisir de voir le résultat dans les nouvelles.

— Ce ne sera pas dans les LitVids, cette fois-ci, j’espère, déclara Charles. Et c’est tout ce que vous apprendrez pour aujourd’hui.

— Aaaah ! fit-elle, déçue.

Elle déploya une rampe pressurisée pour relier le tracteur au Mercure. Nous sortîmes tous les six à quatre pattes. Charles et Stephen déchargèrent avec soin le matériel. J’aidai à transporter le penseur LQ et l’interprète. Nous refermâmes les portes étanches.

Dans nos couchettes étroites, côte à côte par deux, nous attendîmes, tendus, que les tuyères nous propulsent. Je n’étais pas montée en orbite depuis mon voyage sur la Terre, une éternité auparavant.

— Il est temps que je t’apprenne certaines choses sur la technique du saut, me dit Charles.

Je me tournai pour regarder Stephen, sur ma gauche. Il hocha la tête avec un sourire qui exhibait ses dents.

— Ce n’est pas tout à fait une partie de plaisir pour les passagers, admit-il.

— Qu’est-ce que vous m’avez caché ?

— Il n’y aura aucune activité électrique pendant plusieurs minutes durant le voyage et quelque temps après. Pas de chauffage, pas de circuits dans nos combinaisons, vous voyez ce que je veux dire. Ça va sentir le renfermé dans la cabine, mais nous avons conçu un nettoyeur mécanique, sans aucune pièce électrique, et ça devrait résoudre une grande partie des difficultés pendant dix à quinze minutes.

— Pourquoi ce délai ?

— Nous l’ignorons, me dit Charles. Tu vas te sentir un peu nauséeuse, également. Ça passera, mais tes neurones vont te sembler figés pendant quelques minutes. Comme une panne de courant, si tu veux, à cette exception près que tu te rendras compte de tout ce qui se passera. Notre organisme n’aime pas trop ça. Pour le reste – et ce sont des inconvénients mineurs, crois-moi –, tout se passera comme indiqué.

Je me laissai aller en arrière sur la couchette.

— Pourquoi n’as tu pas parlé de tout ça avant ?

— Nous avions assez de problèmes là-bas comme ça. (Il fit un geste vague en direction du laboratoire.) Que dirait Wachsler si on lui racontait tout ?

— Il piquerait une crise, reconnus-je. Mais qu’est-ce qui va se passer à l’échelle de Mars ? Tous les équipements de vie… Sans mentionner les effets sur le moral des gens… ?

Stephen Leander interrompit cette discussion qui menaçait de se prolonger en disant :

— Ce ne sera peut-être plus un problème dans une semaine ou deux. Nous pensons que cela peut se régler. Mais pour le moment, vous savez à quoi vous attendre.

— C’est tout ce qu’il faut que je sache ?

— Tu ne sentiras pas la moindre secousse, me dit Charles. La meilleure suspension de tout l’univers.

Le pilote humain du Mercure pour la première mission avait été remplacé par un penseur spécialisé de fabrication martienne. Il commença un compte à rebours d’une minute. Avec une série de détonations évoquant une fusillade, l’engin s’éleva sur une colonne de flammes et de vapeur, en nous plaquant sur nos couchettes. Par les hublots et sur les écrans, nous vîmes Mars s’éloigner sous nous. L’engin changea d’orientation pour viser la petite lune gris-noir et nous profitâmes de quelques minutes de calme et d’inaction tandis qu’il nous faisait entrer dans une aube profonde.

Sur sa couchette, Cameron leva la tête autant que le lui permettait son harnais de sécurité et me fit un sourire.