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— C’est eux qui nous ont forcés à agir ainsi, répliquai-je, mais la Terre ne peut pas plus nous faire confiance qu’elle ne ferait confiance à un scorpion sous son lit.

Dandy secoua la tête, accablé.

— Je n’ai jamais vu de scorpion vivant, dit-il.

De nouveaux messages codés arrivèrent sur le réseau présidentiel. D’autres projets existaient en dehors de Préambule. Nous avions simplement misé davantage sur les Olympiens. À présent, les autres suggestions étaient examinées : défense individuelle des stations contre les criquets, mise en commun des ressources et des dispositifs de défense d’une station à l’autre, renforcement des systèmes de détection automatique, etc.

À une demi-heure de Préambule, j’appelai Charles dans son labo. Il m’écouta attentivement, les traits tirés et le visage blême, tandis que je lui décrivais ce qui s’était passé à Lal Qila et lui faisais part du message de la présidente.

— On se moque de nous, me dit-il. Le gouvernement nous traite comme des enfants. Un coup oui, un coup non.

— Ce n’était pas notre intention, me défendis-je. Ti Sandra ne ferait pas appel à vous si…

— Cette fois-ci, il faut que ce soit la bonne. Nous n’avons pas le choix. Ils veulent remettre nos ardoises à zéro. Je ne quitte plus le gros pinceur. Et j’ai formé Tamara pour qu’elle prenne ma place au cas où il m’arriverait quelque chose. La nuit dernière, nous avons transporté de nouveau un pinceur sur Phobos. Stephen en a donné la responsabilité à Danny Pincher. Tout est en place pour la guerre.

La guerre. Le mot résumait tout et donnait à nos préparatifs un aspect horrible et urgent.

— Que va décider la présidente, Casseia ? me demanda Charles.

Je savais ce qu’il pensait. Ayant tenu une fois l’épée de Damoclès entre ses mains, il ne tenait pas à la voir brandie de nouveau.

— Ils ont sûrement trouvé une parade contre Phobos, si nous le renvoyons là-bas, déclarai-je.

— La Fosse à glace…, murmura-t-il. Notre judas a été obturé.

— Qu’est-ce que tu viens de dire ? demandai-je en sursautant.

— Nous ne pouvons plus épier leurs activités. Ils ont dû trouver le moyen d’exercer un contrôle absolu sur l’espace de Pierce. Ils peuvent utiliser la Fosse à glace contre tout ce que nous pourrions leur expédier… si toutefois ils ont maîtrisé le problème.

Stephen Leander se joignit alors à notre conversation.

— Il y a plus de quatre-vingt-dix chances sur cent pour que leurs connaissances dépassent à présent les nôtres, dit-il d’une voix sinistre. Ils sont peut-être capables de nous jeter la Lune.

J’estimais qu’aucune possibilité n’était à écarter.

— Je reste vingt-quatre heures sur vingt-quatre à proximité du gros pinceur, à présent, me dit Charles. Nous pouvons être prêts en moins d’une heure. À toi de lire les signes et de nous donner l’ordre. Si la Terre décide de détruire Mars…, nous ne serons peut-être pas assez rapides pour nous écarter du chemin.

— Charles est un peu évasif, intervint de nouveau Stephen. Je ne voudrais pas me mêler de ce qui ne me regarde pas, mais…

— Ce n’est rien, fit Charles d’une voix tendue. Vas-y.

— Nous nous sommes heurtés à certaines difficultés, insista Stephen. Déplacer un objet de la taille de Mars présente un certain nombre de difficultés particulières. En premier lieu, cela va soumettre Charles ou Tamara ou la personne qui supervisera le penseur LQ à des contraintes énormes.

— Mais supportables, fit Charles.

— Peut-être, admit Stephen, mais il y aura tout de même un prix à payer. Le LQ devient difficile à contrôler quand il doit gérer un si grand nombre de variables. Je sais que Charles est capable d’encaisser, mais il y a un autre petit problème de physique. Notre pinceur risque de faire preuve d’une certaine instabilité lorsqu’il s’agira de déplacer une si grande masse à travers des distances si considérables.

Charles soupira.

— Stephen vient de travailler sur un certain nombre d’anomalies révélées par nos tests, dit-il.

— Quel genre d’instabilité ? demandai-je.

— L’échantillon mésoscopique au zéro absolu assume sa propre identité. Il s’agit d’une sorte de perversion du problème des flux de données. Tous ces descripteurs canalisés dans un si petit volume… Il est possible que cela réduise l’efficacité de l’espace de Pierce.

— Ce n’est pas la première fois que nous rencontrons ce problème, murmura Charles. Nous pouvons le maîtriser.

— Je voulais juste que nos dirigeants soient informés, pour le cas où…

— Tu es sûr que c’est maîtrisable ? demandai-je à Charles. Je suis trop fatiguée pour discuter de physique en ce moment.

— J’en suis sûr, répondit Charles.

— Je le crois aussi, fit Stephen en hésitant.

— Dans ce cas, restez vigilants.

Nous coupâmes la communication et je me laissai aller au creux de mon fauteuil. J’avais hâte d’arriver à destination pour travailler sur du concret au lieu de passer mon temps à tirer des ficelles à cent kilomètres d’altitude.

Quelques minutes plus tard, Dandy détacha son harnais et se leva en s’étirant pour aller aux toilettes à l’arrière de la cabine. Il dépassa Meissner et D’Monte, avec qui il échangea quelques brefs commentaires. Plongée dans ma propre rêverie, je sursautai, sur le qui-vive, en entendant une série de raclements ponctués d’exclamations sonores.

— Madame ! appela Dandy à l’arrière.

Je me penchai sur l’accoudoir de mon fauteuil pour regarder dans sa direction. Il se tenait avec deux autres gardes devant la porte des toilettes. Je défis mon harnais et les rejoignis.

— Il y a quelque chose qui ne va pas, me dit-il en montrant du doigt une série de déchirures et de trous dans la cloison du fond.

Toute une section du plancher avait été également retirée de manière inesthétique. Les bords semblaient rongés ou mâchés. Je suivis les doigts de Dandy qui soulignaient les dégâts. Quelque chose avait miné la majeure partie du compartiment arrière de la cabine des passagers.

— Ça n’était pas là il y a quelques minutes, murmura Jacques D’Monte.

Dandy se releva et s’essuya les mains sur le pantalon.

— Allez vous asseoir à l’avant, madame, me dit-il. Sanglez-vous. Kiri, dis au pilote de nous poser à Préambule le plus tôt possible.

Kiri Meissner se précipita vers l’avant en s’excusant de me bousculer au passage. Je me baissais pour m’asseoir lorsque j’entendis un choc sourd et un cri de surprise à l’arrière. Tout un côté du visage en sang, Dandy s’avança vers moi en chancelant et s’écroula dans l’allée centrale. Kiri fit volte-face et se plaça immédiatement entre l’arrière de la navette et moi.

— Restez baissée, grogna-t-elle.

Elle se pencha en avant et sortit son pistolet. Puis elle fléchit les genoux et s’avança ainsi, un pied après l’autre, vers l’arrière. Quelque chose cliqueta et bourdonna. Kiri tressaillit, saisit les bras des sièges voisins de chaque côté de l’allée, tomba sur un genou et roula sur le dos. Une série de trous sanglants dans sa poitrine étaient visibles à travers sa chemise noire. Elle toussa, saisie de convulsions, ses yeux posant une question muette adressée à personne en particulier. Puis elle devint inerte, une écume rose au coin de la bouche.

Jacques recula à mes côtés, enjambant le corps de Kiri, jurant doucement entre ses dents. Il pointa son pistolet vers une forme sombre qui pendait du plafond et de la cloison arrière. De nouveau, le cliquetis et le bourdonnement se firent entendre. Comme au ralenti, il pivota sur des jambes molles et ses doigts laissèrent tomber le pistolet. Il se pencha en avant comme quelqu’un qui va être malade et s’écroula la face la première.