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— Plate ou gazeuse ? me demanda-t-il.

— Plate.

Il inséra son ardoise dans le port du bureau et passa la commande.

— Ils ne sont pas rapides, en général. Il faut compter cinq bonnes minutes, me dit-il. Les arbeiters sont anciens.

— Décrépits, ajoutai-je.

Il me sourit, s’assit sur la chaise et regarda autour de lui.

— C’est tout ce que j’ai pu me payer, murmura-t-il. On ne peut pas dire que ce soit du luxe.

Une seule chaise. Une petite console com, un lit escamotable, avec son couvre-lit mince, un sac à vapeur derrière une porte étroite, un lavabo et des toilettes dans un renfoncement du mur derrière un rideau. Le tout faisait à peine trois mètres sur quatre.

Je me demandai soudain combien de personnes avaient eu l’occasion de faire l’amour dans cette chambre, et dans quelles circonstances.

— Nous pourrions passer des années à essayer de comprendre Sean et Gretyl, me dit Charles. Il ne faudrait pas croire que j’ai oublié ce qui s’est passé.

— Oh, non !

— Ces derniers temps, j’ai beaucoup médité sur des tas d’autres choses. (Il avait prononcé le mot médité sur un ton d’autoparodie, comme pour désamorcer la charge dont il était grevé.) Je n’ai pas le temps de me pencher sur nos erreurs passées.

— Parce que tu penses que nous avons fait des erreurs ? demandai-je innocemment en lissant quelques plis du couvre-lit.

— Oui.

— Lesquelles ? insistai-je.

Je sentais la mauvaise humeur monter de nouveau, mais je n’en laissai rien paraître. Finalement, Charles rapprocha sa chaise et se pencha en avant, les coudes sur les genoux, les mains nouées sous son menton.

— Je pense que nous devrions mieux choisir nos dirigeants, dit-il.

— Tu estimes que Sean était un mauvais chef ?

— Tu l’as toi-même qualifié de monstrueux.

— Les choses ont mal tourné pour nous tous. Si elles s’étaient mieux passées, tout aurait été différent.

— Tu veux dire que si Connor et Dauble ne s’étaient pas pendues, nous aurions pu leur fournir la corde ?

— Quelque chose comme ça.

— Je suppose que c’est ce que Sean et Gretyl essayaient de faire.

— Pas seulement eux mais nous tous, renchéris-je.

— C’est vrai. Mais qu’aurions-nous fait après ? Quel était le véritable objectif de Sean ?

— À long terme ?

— Oui, fit Charles.

Il me révélait en ce moment des capacités que je n’avais pas vues en lui jusque-là. J’étais curieuse de sonder ces nouvelles profondeurs.

— Je pense qu’ils voulaient faire régner l’anarchie, me dit-il.

Je fronçai brusquement les sourcils. Il vit ma réaction, et son expression se figea.

— Mais je ne suis pas vraiment…, commença-t-il.

— Et pourquoi auraient-ils voulu créer l’anarchie, d’après toi ?

— Sean voudrait être un dirigeant. Mais il ne sera jamais porté au pouvoir par un consensus.

— Et pourquoi pas ?

— Il a le même pouvoir d’attraction qu’une image de LitVid, répondit Charles.

Comment ne voyait-il pas à quel point il m’irritait ? Je sentis une nouvelle perversité monter en moi. J’avais envie qu’il m’irrite pour pouvoir lui refuser ce qu’il attendait, c’est-à-dire mes faveurs.

— Une image creuse ?

— Je suis vraiment navré si cela te hérisse, murmura Charles en pétrissant ses mains l’une dans l’autre. Je sais que tu étais attirée par Sean. Cela me met… Ne crois pas que j’aie voulu t’amener ici pour…

Le carillon de la porte retentit. Charles alla ouvrir. Un arbeiter entra avec une bouteille d’Eau minérale Première qualité de la région de Durrey. Charles m’en versa un verre et revint s’asseoir.

— Je n’avais pas vraiment envie de parler politique, me dit-il. Je ne suis pas très doué pour cela.

— Nous sommes venus ici pour discuter de ce qui n’a pas marché, insistai-je. Je suis curieuse de connaître ton point de vue.

— Mais tu ne le partages pas.

— C’est possible, mais ton point de vue m’intéresse quand même.

Charles prit un air encore plus misérable. Il s’affaissait, se tenant sur la défensive, et ses mains se crispaient nerveusement.

— Très bien, dit-il.

Je sentais qu’il abandonnait la partie, assumant que je n’étais plus à sa portée, et cela ne faisait qu’ajouter à mon irritation. Quelle présomption !

— Quelle sorte de dirigeant ferait Sean ? demandai-je.

— Un tyran, murmura Charles. Et pas très bon, en plus. Je ne pense pas qu’il ait ce qu’il faut pour ça. Il n’est pas assez charmeur quand il le faut, et il n’est pas capable de contrôler ses sentiments.

Mon irritation disparut comme par enchantement. C’était une drôle de sensation. J’étais tout à fait d’accord avec Charles. C’était cela, la monstruosité que j’essayais de comprendre.

— Tu es meilleur juge de la nature humaine que tu ne le crois, lui dis-je avec un soupir en me laissant aller en arrière sur le lit.

Il haussa les épaules.

— Mais j’ai lardé, me dit-il.

— Comment ça ?

— Je voudrais te connaître mieux. Je ressens quelque chose de spécial quand je suis avec toi.

Intriguée, j’allais continuer de poser mes questions démoniaques (Que veux-tu dire par là ? Qu’est-ce que tu ressens exactement ?) lorsque Charles se leva.

— Mais tout ça ne sert à rien, me dit-il. Depuis le début, je sais que je ne te plais pas.

Je le regardai avec de grands yeux ronds.

— Tu me trouves lourdaud. Je ne suis pas du tout comme Sean, c’est sur lui que tu as des vues. Et pour couronner le tout, je me mets à le dénigrer.

— Je n’éprouve aucun sentiment pour Sean, lui dis-je, les yeux baissés, offrant ce que j’espérais être l’image d’une probité candide. Certainement pas après ce qu’il a dit, en tout cas.

— Je suis navré, fit Charles.

— Pourquoi t’excuses-tu tout le temps ? Assieds-toi, à la fin.

Aucun de nous n’avait touché à son eau minérale.

Charles s’assit. Il leva son verre.

— Tu te rends compte que cette eau est restée un milliard d’années prisonnière du calcaire ? Toute cette vie ancienne… Voilà ce que j’aimerais faire vraiment. En plus d’obtenir mes crédits en physique et de commencer mes recherches, je veux dire. Monter travailler à la surface, explorer les anciens fonds marins. Sans parler politique. J’ai besoin de quelqu’un pour me tenir compagnie. Je m’étais dit que ça te plairait peut-être.

Il leva les yeux vers moi, balançant sa proposition d’un seul coup, sans reprendre haleine.

— Le MA de Klein possède une vieille cave vinicole à une vingtaine de kilomètres d’ici, reprit-il. Je pourrais emprunter un tracteur pour te montrer les…

— Ils font du vin ? demandai-je, étonnée.

— Ils n’ont pas réussi. Ils se sont reconvertis en station d’eau. Rien de plus qu’un dôme retranché, mais il y a des gisements de fossiles intéressants. De plus, la cuvée abandonnée s’est peut-être améliorée, on pourrait essayer d’y goûter.

— C’est une invitation ?

Je sentis une chaleur soudaine m’envahir, de manière si immédiate et inattendue que les larmes me montèrent aux yeux.

— J’avoue que tu me surprends, Charles, ajoutai-je.

Je me surprenais moi-même. Les yeux baissés, je lui demandai :

— Qu’attends-tu de moi exactement ?