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— Bon, soupirai-je. Puisque tu veux tout savoir, je suis allée avec Charles dans la station de sa famille. C’est quelqu’un de très sympathique.

— Beau garçon, en plus, murmura Diane. Je suis très contente pour toi, Casseia.

Je roulai mon sac.

— Ça te dérangerait que j’écoute mes messages en privé ?

— Tu peux, maintenant, me dit-elle.

Le message de Charles fit bondir mon cœur dans ma poitrine. Il poussait encore un peu fort.

Une heure après son arrivée à Shinktown, il avait appelé pour dire :

Tu as laissé ton ardoise dans mon sac. Je l’envoie à ta station. Je voulais juste te dire que je suis sérieux. Je t’aime et je suis sûr que je ne retrouverai jamais une fille comme toi. Je comprends que tu aies besoin d’un peu de temps, mais je sais que nous pourrions partager nos rêves. Tu me manques déjà affreusement.

Je l’impressionnais encore plus que je ne m’impressionnais moi-même. Je m’assis au bord du lit, apeurée, ne sachant plus que penser.

Je demeurai éveillée toute cette nuit-là, excitée par mes souvenirs flottants de Charles. Tout avait été si déroutant et si merveilleux… Mais je savais une chose. J’étais trop jeune pour me marier. Celles qui signaient un contrat à mon âge avaient déjà planifié leur avenir depuis la deuxième année. Elles savaient ce qu’elles voulaient et comment l’obtenir.

Si je disais à Charles que je ne voulais pas me marier maintenant, il répondrait avec un petit sourire : « Rien ne presse, tu peux prendre tout le temps que tu voudras. » Mais ce n’était pas cela que je voulais entendre. La vérité était que je n’étais pas encore prête à faire la jonction entre ma vie intérieure et le monde extérieur. Que se passerait-il si Charles se révélait ne pas être le parti idéal pour moi ? Pourquoi choisirais-je quelque chose de moins bien que ce qu’il pouvait y avoir de meilleur ?

Je secouai amèrement la tête. Je me sentais tellement égoïste… J’avais même l’impression de trahir. Charles me donnait tout. Comment pouvais-je refuser ?

Comment pouvais-je entretenir de telles pensées et prétendre encore, même intérieurement, que je l’aimais ?

Je lui répondis par un message de texte. Je ne faisais pas confiance à ma voix.

J’ai passé de merveilleux moments au Très Haut Médoc. Je les chérirai toujours comme un trésor. Je ne peux pas parler de contrat pour le moment parce que je me sens beaucoup moins sûre de moi que tu sembles l’être. Je voudrais qu’on se revoie le plus tôt possible. J’aimerais fréquenter tes amis et qu’on fasse des tas de choses ensemble avant de songer à un engagement. Ne trouves-tu pas cela raisonnable ?

Et je signai : Je t’embrasse, Casseia Majumdar.

J’avais employé mille fois cette expression dans des messages à des amis ou même à des parents éloignés. Ce n’était pas comme si j’avais mis : Je t’aime. Charles allait se vexer. Bien qu’il m’en coûtât, je ne changeai cependant pas la formulation.

J’expédiai le message. Je laissai également un mot d’adieu à Diane, qui était à Durrey pour réviser tranquillement.

Je pris le train pour Solis Nord. Je penchai la tête contre le double hublot pour contempler la nuit martienne. Phobos était comme le disque voilé d’un projecteur au-dessus des collines noires à l’est de Durrey.

J’ai peur, me disais-je. Je ne pourrai jamais redevenir ce que j’ai été. Je ne pourrai jamais être pour quelqu’un d’autre ce que j’ai été pour Charles. Quelque chose a pris fin et j’ai très peur.

J’avais à traverser Claritas Fossæ puis Jiddah Planum pour arriver à Ylla, le cœur du secteur où résidait ma famille. J’embrassai mes parents et mon frère avec enthousiasme, faisant des efforts désespérés pour avoir l’air sûre de moi, tout va très bien, je suis exactement la même que d’habitude. Mais j’ai un amant à présent, maman, papa, je suis sa maîtresse, et c’était formidable… C’est-à-dire qu’il est formidable, et je crois que je l’aime, mais tout va trop vite pour moi, et j’aimerais pouvoir vous en parler, oui, j’aimerais…

Charles ne me répondit que trois jours après.

Peut-être avait-il sondé les profondeurs de ma personnalité et décidé qu’il avait commis une grave erreur. Peut-être avait-il percé à jour mon immaturité et mon manque de sincérité intrinsèques, et décidé de me ranger, finalement, dans la catégorie des douces de Shinktown.

Mon ardoise arriva par arbeiter postal. Mais j’en avais déjà commandé une autre, n’osant pas faire confiance à ma chambre pour enregistrer mes messages. J’étais totalement incapable de me concentrer sur mes révisions pour le prochain octant. Mes nerfs étaient dans un état lamentable.

J’avais horreur de l’attente et de l’incertitude. Je m’étais crue capable de tenir les commandes, mais elles m’avaient totalement échappé et c’était mon tour de gigoter au bout de la ligne comme un poisson ferré. Mon irritation se transforma en tristesse engourdie. Mais je ne l’appelai pas la première.

Au bout de trois jours, alors que je me déshabillais pour me glisser dans un lit très solitaire, je reçus son appel en direct.

Je passai une robe de chambre et pris la communication de mon lit. Son image me parvenait claire comme du cristal. Il avait l’air épuisé et la mine dévastée. Son teint était blafard.

— Désolé de n’avoir pu te contacter avant, me dit-il. J’aimerais te voir en personne. C’est un vrai cauchemar, ici.

— Que se passe-t-il ?

— Notre MA vient de perdre tous ses contrats avec la Terre. Il a fallu que j’aille d’urgence dans la vallée de McAuliff pour assister à une réunion de famille. C’est de là que je t’appelle. Mon Dieu, je suis navré. Je ne sais pas ce que tu as dû penser.

— Je vais bien. Je n’ai rien entendu sur les réseaux.

— Ce n’est pas encore public. N’en parle surtout à personne, Casseia. Je pense qu’ils nous vident parce que notre agence lunaire lance une importante opération prochine à Lagrange. La Terre n’apprécie pas du tout ça. Ou plutôt la Grande Alliance Est-Ouest, en fait. Mais c’est comme si c’était toute la Terre.

La GAEO (prononcer Géo) était l’union économique de l’Asie, de l’Amérique du Nord, de l’Inde, du Pakistan, des Philippines et d’une partie de la Malaisie. Plusieurs MA, y compris Majumdar, avaient déjà eu des ennuis avec elle.

— C’est si grave que ça ?

— Nous ne pouvons plus expédier de marchandises à la Terre. Nous n’avons plus le droit d’échanger des données informatiques avec les nations signataires de la GAEO.

— Dans quelle mesure cela vous touche-t-il ?

— Nous prévoyons un déficit pour les cinq années terrestres à venir. Ma bourse est fichue. J’avais espéré être sélectionné en cinquième année de physique dans le programme de coopération transmartienne, mais si les caisses de Klein sont vides je ne pourrai plus payer ma part et je n’entrerai même pas en cinquième année.

— Merde. Je sais ce que ça représente pour toi.

— Ça remet tout en question, Casseia. Ce que tu disais… Qu’il te faudrait prendre le temps de réfléchir… (Sa voix était tremblante, il avait du mal à la contrôler.) Je ne peux plus envisager de contrat avec toi, Casseia. Je n’ai aucune chance d’avoir ma bourse.

— Ne t’inquiète pas, murmurai-je.