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— Je me sens complètement idiot. Tout allait si bien. On aurait pu…

— Mais oui, soufflai-je.

J’avais mal pour lui.

— Je suis désolé.

— Il ne faut pas.

— Je t’aime tant.

— Oui.

— J’ai besoin de te voir. Dès que j’aurai terminé ici… Il y a d’importantes décisions de famille à prendre, des restructurations au niveau de la direction du MA, des…

— Je sais. C’est très grave.

— Je veux qu’on se revoie. À Durrey, à la rentrée, ou bien à Ylla. Où tu voudras. Je ne veux rien précipiter. Mais… j’ai besoin de te revoir.

— Moi aussi, j’aimerais qu’on se voie.

Il me répéta qu’il m’aimait. Nous échangeâmes des au revoir maladroits. Son image s’estompa. Je pris une profonde inspiration et allai chercher un verre d’eau.

Charles avait des ennuis. Cela m’enlevait un poids et me laissait avec un sentiment de soulagement coupable. Je savais qu’il fallait que je me confie d’urgence à quelqu’un, mais ni mon père ni ma mère ne faisaient l’affaire.

J’appelai Diane.

Elle répondit sans la vid, mais la connecta aussitôt. Elle portait une robe de chambre bleue tout effilochée, qu’elle chérissait depuis qu’elle était petite. Elle avait emplâtré ses cheveux dans une gangue de Vivid, un traitement couleur de vase auquel elle était devenue accro. Cela ondulait lentement sur son crâne.

— Je sais, je sais, je suis affreuse, me dit-elle. Quoi de neuf ?

Je lui expliquai la situation dans laquelle se trouvait Charles. Je lui racontai comment il m’avait demandé de me lier à lui par contrat, et comment c’était désormais impossible. Je lui exposai ma confusion passée et présente.

Elle se laissa retomber sur son lit avec un sifflement.

— Il va vite en besogne, celui-là, hein ? demanda-t-elle en plissant les paupières.

La communication à distance ne vaut pas le contact direct, particulièrement quand il s’agit de vider son cœur, mais Diane avait la manière pour abolir les distances.

— Tu lui as dit de ralentir un peu, j’espère.

— Je ne crois pas qu’il en soit capable. Il a l’air tellement amoureux.

— Ou bien c’est un conte de fées, ou il a un sacré tempérament. Et toi, qu’est-ce que tu ressens dans tout ça ?

— Il est tellement sincère et… adorable. Je me sens coupable de ne pas baisser mes barrières et le laisser venir.

— C’est ton premier. C’est déjà adorable en soi. Mais tu n’as pas encore dit à tante Diane ce que tu ressentais pour lui. Tu l’aimes ?

— J’ai peur de lui faire du mal.

— Ah !… Je voulais dire : Hum…

— Tu parles comme si tu avais une grande expérience, murmurai-je, vexée, en nouant et dénouant mes doigts.

— J’aimerais bien, Casseia. Cesse de t’agiter comme ça. Relaxe-toi. Tu me donnes le tournis.

Je m’assis.

— Bon, tu es allée avec lui au Très Haut Médoc. Il ne voulait pas juste tirer un coup. Tu as dû voir quelque chose de spécial en lui, quand même. Est-ce que tu l’aimes, oui ou non ?

— Oui.

— Mais tu ne veux pas te lier par contrat.

— Pas tout de suite.

— Un jour ?

Je secouai la tête, ni oui ni non.

— Ne me dis pas que je suis une idiote de laisser passer cette occasion, parce qu’il est beau et gentil. Je le sais déjà.

— D’accord, Casseia. J’admets être un peu jalouse. Il est intelligent, en plus. Et je suppose qu’il a été à la hauteur.

— Plus qu’à la hauteur ! m’écriai-je.

— Bon. Il est d’accord pour attendre. Pourquoi n’attends-tu pas ?

Je serrai les lèvres en la regardant dans les yeux.

— Et si je décide que je ne veux pas de contrat ? Tu ne penses pas que ce serait injuste ? Qu’il aurait perdu son temps avec moi ?

— Écoute, Casseia, il ne faudrait pas qu’un Terro t’entende parler comme ça. Nous autres les Martiens, nous sommes toujours trop sérieux pour ces questions-là, à les entendre. L’amour n’est jamais perdu. Mais tu veux peut-être le laisser tomber pour en essayer un autre ?

— Non ! m’exclamai-je d’une voix rageuse.

— Tu es libre, ne l’oublie pas. Personne ne peut te forcer à faire quoi que ce soit.

Parler avec elle m’enfonçait encore davantage.

— Tout ça me déprime vraiment, lui dis-je. Il faut que je te quitte.

— Surtout pas maintenant ! Qu’est-ce qui accroche tant ?

— Si je l’aime, je ne devrais pas avoir des idées pareilles. Je devrais être en un seul morceau au lieu de trois. Je devrais rayonner de bonheur.

— Tu n’as que dix ans, Casseia. Un amour, si jeune, ne peut être parfait.

— Il compte en années terrestres, me lamentai-je.

— Ah ! Enfin un défaut ! Quelles sont ses autres tares ?

— Il est trop intelligent. Je ne comprends rien à son travail.

— Suis un cours de recyclage. Il n’aurait pas besoin de toi comme laborantine ou arbeiter femelle ?

— Quand je suis loin de lui, je ne sais plus ce que je ressens.

Elle fit la grimace.

— Bon. Je crois qu’on est en train de tourner en rond. Il y a quelqu’un qui t’attend dans une galerie latérale ?

— Personne, Diane.

— Tu sais très bien comment les hommes réagissent devant toi. Tu as du charme. Charles n’est pas le seul mâle en rut sur la planète Mars. Tu peux te permettre de décompresser un peu. Que sais-tu de lui au juste ? Que sa famille n’est pas riche, que son MA a des ennuis avec la Terre… Il voudrait être physicien et tout comprendre. Il est mignon comme tout, et bon grimpeur à la surface. Bon Dieu, Casseia, si tu le vides, je crois que je vais t’assommer !

Je secouai mollement la tête.

— Il faut que je te quitte, Diane.

— Désolée. Je ne t’ai pas été d’un grand secours.

— Ne t’inquiète pas.

— Tu l’aimes, Casseia ? me redemanda-t-elle, l’œil brillant.

— Non !

J’appuyai, furieuse, sur la touche de fin de communication, mais je ratai mon coup.

— Reste encore un peu, ma chérie, me dit-elle. Tu ne l’aimes pas du tout ?

— Je ne peux pas. Pas maintenant. Pas à cent pour cent, en tout cas.

— Tu es sûre ?

Je hochai la tête.

— Tu crois que tu pourrais l’aimer un jour ?

Je tournai vers elle un regard vide de toute expression.

— Il est très persuasif, murmurai-je.

— À cent pour cent ?

— Sans doute pas. Non, je ne crois pas.

— Sois charitable, dans ce cas. Dis-lui honnêtement ce qu’il en est.

— D’accord.

Elle me contempla durant quelques instants puis leva son ardoise.

— Tu me connais, dit-elle. Toujours un peu fouineuse. J’ai quelque chose qui pourrait t’intéresser, si tu veux.

— Qu’est-ce que c’est ? demandai-je.

— Charles est peut-être bon grimpeur à la surface et performant au lit, mais il a d’autres projets, Casseia. Tu ne t’es pas renseignée sur ton copain ?

— Non.

— Je m’efforce toujours d’en savoir le plus possible sur les garçons que je fréquente. Les hommes ont l’esprit tellement tortueux.

Je me demandais ce qu’elle allait me balancer maintenant. Mes épaules se raidirent. Qu’il était inscrit au parti étatiste, peut-être, ou qu’il nous avait espionnés pour le compte de Caroline Connor sous les dômes retranchés.

— Ça ne porte aucunement ombrage à son charme, mais ton brave Charles a vraiment envie de devenir physicien, Casseia. Il a posé sa candidature pour servir de sujet de recherche sur les techniques de rehaussement.

— Et alors ? Ça se fait couramment. Même à Majumdar, rien ne l’interdit.