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— Je sais. Et sur la Terre, tout le monde le fait. Mais Charles est volontaire pour être connecté à un penseur en Logique Quantique.

Je demeurai un bon moment sans réponse.

— Où as-tu appris ça ?

— Les dossiers sont publics. Département de la recherche appliquée à orientation médicale, UMS. Il a déposé sa demande au début de l’été dernier, avant les événements des dômes.

Quelque chose s’affaissa en moi.

— Seigneur Dieu, murmurai-je.

— Tu sais, on n’a pas beaucoup d’informations sur ce genre de connexion.

— Mais on ne peut même pas adresser la parole à un penseur LQ !

— Je ne voulais pas te mouiller la poussière, Casseia, mais j’ai pensé que tu voudrais savoir.

— Oh…

— Quand as-tu l’intention de revenir ?

Je grommelai une réponse et coupai la communication. J’avais de la mousse synthétique dans la tête. Je ne savais pas s’il fallait me mettre en colère ou pleurer.

Sur Mars, nous avions échappé à la plupart des ferments du rehaussement, des transfos et du nanomorphisme devenus si courants sur la Terre. Nous étions habitués au rehaussement minimal, à la correction génétique et à la thérapie des troubles mentaux majeurs, mais la plupart des Martiens esquivaient les possibilités extrêmes. Certaines n’étaient pas disponibles en dehors de la Terre. D’autres ne correspondaient pas à notre esprit de pionniers pragmatiques. Je pense que le consensus culturel voulait que Mars laisse la Terre et, dans une moindre mesure, la Lune expérimenter avec les traitements radicaux. Mars assisterait passivement à la révolution durant une décennie ou deux, en attendant les premiers résultats.

Si ce que Diane avait appris était vrai – et je ne voyais pas de raison d’en douter –, Charles était prêt à passer de l’autre côté sans faire ni une ni deux.

Ce qui, jusqu’ici, aurait pu ressembler à de l’ambivalence juvénile confinait maintenant à la panique. Comment pouvais-je espérer entretenir avec Charles une relation plus ou moins normale s’il passait la plus grande partie de sa vie intellectuelle à écouter les aberrations de la Logique Quantique ? Pourquoi, d’abord, avait-il demandé une telle chose ?

La réponse était claire. Pour devenir un meilleur physicien. La Logique Quantique reflétait la manière dont l’univers fonctionnait en profondeur. La logique humaine – ainsi que la logique neurale mathématique de la plupart des penseurs – fonctionnait mieux sur la face glissante de la réalité.

Ce que je connaissais déjà de ces questions-là, je le tirais de mes souvenirs d’école et des LitVids de masse, où les héros physiquement et mentalement rehaussés dominaient dans les programmes terros destinés à la jeunesse. En réalité, je ne comprenais pas grand-chose à la Logique Quantique ou aux penseurs LQ.

Une dernière question me poursuivit à travers tout le reste de la journée, à travers le dîner avec mes parents et mon frère, à travers la soirée du MA, le bal organisé plus tard et, finalement, dans mon lit sans sommeil. Pourquoi ne m’en a-t-il jamais parlé ?

Il ne m’avait pas tout donné, finalement.

Le lendemain matin de bonne heure, ma mère et moi planifiâmes mon éducation pour les quelques années à venir. Je n’étais pas tellement d’humeur, mais je ne pouvais me dérober et m’efforçai de faire bonne figure. Mon père et Stan étaient partis assister à un débat regroupant tous les MA à propos de la gestion de nos intérêts financiers en dehors de Mars. Notre branche de la famille, traditionnellement, servait le MA de Majumdar en dirigeant ses interventions sur les marchés financiers de la Triade. Stan suivait la filière. Je m’intéressais toujours à la gestion et à la politique, et plus encore depuis que j’étais restée quelques mois sans fréquenter ces cours. Les événements de l’UMS et les moments que j’avais passés auprès de Charles ne faisaient que confirmer ma résolution.

Ma mère était une femme patiente. Trop patiente, même, me disais-je parfois, mais je lui étais reconnaissante, en l’occurrence, de me manifester sa sympathie. Elle n’avait jamais aimé la politique. Ma grand-mère avait quitté la Lune en guise de protestation quand la constitution avait été refondue. Sa fille avait hérité d’un individualisme farouche qui était typiquement lunaire.

Ma mère et moi, nous savions ce que je devais à la famille. Nous savions que, dans un an ou deux, il faudrait que je me rende utile au MA ou que je signe un contrat de transfert pour servir un autre MA. Les études politiques, pour le moment, ne semblaient pas servir à grand-chose.

Si je tenais à étudier la théorie de gouvernement et la gespol à grande échelle, cependant, elle me donnerait son accord, après avoir formulé calmement quelques arguments de protestation polie.

Cela prit environ cinq minutes. Je l’écoutai stoïquement énoncer les difficultés politiques auxquelles se heurtait une gestion économique centrée sur les MA. Elle m’expliqua que les contributions les meilleures et les plus durables à la vie des MA pouvaient se faire dans le cadre de chaque MA ou au sein du Conseil, en tant que membre élu, et que même cela représentait plutôt une corvée qu’un privilège.

Point par point, elle fit passer son message. C’était une version abrégée mais sincère du cri lunaire de ma grand-mère : « À bas la politique ! », et je fus forcée de répondre :

— C’est la seule chose qui m’intéresse, maman. Il faut bien que quelqu’un en étudie le fonctionnement. Les MA sont obligés d’avoir des relations les uns avec les autres et avec la Triade. C’est une question de bon sens.

Elle pencha la tête de côté et me lança ce que mon père appelait son regard énigmatique. Ce n’était pas la première fois que je voyais ce regard, et j’avais toujours été incapable de le décrire. Il était chargé d’amour, de souffrance et d’attente patiente, je peux le dire maintenant après des dizaines d’années de réflexion, mais cela ne lui rend toujours pas justice. En l’occurrence, il pouvait signifier quelque chose comme : « Je sais, et c’est la troisième plus vieille profession du monde, mais je n’aimerais pas que ma fille l’embrasse. »

— Tu ne changeras pas d’avis, n’est-ce pas ? me dit-elle.

— Je ne crois pas.

— Dans ce cas, essayons de bien le faire.

Nous nous installâmes dans la salle à manger pour passer en revue les prospectus qui défilaient autour de nous, ornés d’images et de textes alléchants, remplis de symboles et d’extraits de programmes variés rivalisant pour nous attirer à l’intérieur. Ma mère secoua la tête en soupirant.

— Tout ça ne me paraît pas formidable, me dit-elle. C’est du bas de gamme.

— Il y en a qui ont l’air intéressants.

— Tu es vraiment décidée ?

— Oui.

— Dans ce cas, la théorie politique martienne ne sera pas suffisante. C’est du gravier comparé au granit terrestre.

— Mais les cours terros sont hors de prix…

— Et probablement partiaux en faveur de l’histoire et des mœurs terriennes, malheureusement, mais c’est ce qu’il y a de mieux pour ce que tu veux faire.

— Je ne veux pas demander quelque chose que personne n’a eu dans la famille.

— Pourquoi pas ? me demanda-t-elle d’une voix enjouée, saisissant la chance qui lui était offerte de se montrer perverse.

— Ce n’est pas bien.

— Personne, dans notre branche de Majumdar, n’a jamais étudié la gespol. L’économie, la finance, oui, mais jamais la politique à grande échelle.

— Je suis anormale.

Elle secoua la tête.

— Tu es la fille de ta mère, aucun doute là-dessus. Si tu es vraiment décidée, j’arrangerai tout.