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Je ne l’avais jamais rencontré. Je me sentais plus qu’un peu nerveuse.

Helen Dougal vint me chercher au dépôt. Nous prîmes un taxi pour franchir les galeries de circulation. Helen était une belle fille de vingt années martiennes qui ne paraissait pas beaucoup plus âgée que moi.

Carter abritait une population de dix mille membres des MA, à laquelle s’ajoutaient plusieurs centaines de candidats à la citoyenneté, pour la plupart des Terros qui avaient dû émigrer à cause de la législation sur les éloïs. C’était une grande ville, administrée cependant avec beaucoup d’efficacité. Les galeries et les terriers étaient spacieux et bien conçus. L’urbanisation n’était ni saturée ni erratique, comme à Shinktown. Elle n’était pas non plus agressive comme à Durrey. Toutefois, on ne s’y sentait pas aussi à l’aise qu’à Ylla. La présence de nombreux Terros – dont un certain nombre de transformés exotiques – lui donnait parfois un caractère très peu martien.

Helen bourra mon ardoise de données sur les sujets qui allaient être discutés et sur le programme de cette visite de deux jours.

— Vous étudierez ça plus tard, me dit-elle. Pour le moment, tout ce que veut Bithras, c’est faire la connaissance de sa nouvelle assistante.

— Je comprends.

Je ne décelais pas la moindre trace d’envie dans l’expression d’Helen Dougal. Je me demandais pourquoi il ne l’emmenait pas à ma place, et si elle avait l’impression que je marchais sur ses plates-bandes. Comme j’étais un peu plus jeune qu’elle d’aspect – j’avais nettement l’avantage de l’âge –, tout était possible, à en croire ce que j’avais entendu dire.

Je dus prendre un air tout à coup distant, car elle me sourit patiemment en disant :

— Vous êtes une stagiaire. Vous n’avez rien à craindre de moi, pas plus que moi de vous.

Et de Bithras ?

— Et croyez-moi, ajouta-t-elle, une bonne partie de ce que vous avez entendu dire sur notre syndic, c’est de la pure poussière.

— Ah ?

— Les représentants et élus des familles tiennent une réunion cet après-midi à quinze heures. Auparavant, vous et moi, nous déjeunerons avec Bithras. Allen Pak-Lee est encore à Borealis. Il doit arriver après-demain.

Le déjeuner eut lieu dans une salle à manger des bureaux principaux de Bithras. Je m’attendais à un luxe modéré, mais le cadre était d’un confort Spartiate. Nourriture nano en boîte, peu appétissante, et thé tout préparé, servi dans des carafes cabossées et des tasses élimées, sur une table qui devait avoir du métal de pionniers dans sa composition.

Bithras entra, son ardoise à la main, grommelant et jurant dans un langage que je pris tout d’abord pour de l’hindi. Plus tard, je devais apprendre que c’était du panjabi. Il s’assit péremptoirement derrière la table. (Il n’est pas facile, sur Mars, de se laisser tomber lourdement dans un fauteuil, mais il fit de son mieux.) L’ardoise glissa de quelques centimètres devant lui et il s’excusa dans un anglais parfait au débit rapide.

Il était d’un noir presque violet, avec des yeux au regard intense et des traits harmonieux un peu bouffis avec l’âge. Sa tête était surmontée d’une courte brosse de cheveux noirs, sans le moindre blanc. Ses bras et ses jambes, particulièrement épais et musclés pour un Martien, soulignaient la petitesse de son corps. Il portait une chemise de coton blanc et un short de tennis. Cette activité en salle était son sport préféré.

— C’est trop de pressions ! Trop de pressions ! dit-il en secouant la tête avec une grimace de frustration.

Puis il leva vers moi des yeux pétillants comme ceux d’un jeune garçon et me fit un large sourire.

— On fait enfin connaissance ! Ma nièce, assistante et stagiaire ?

Je me levai et inclinai la tête. Il fit de même. Puis il tendit la main, par-dessus la table, pour serrer la mienne. Ses yeux s’attardèrent sur ma poitrine, dont on ne pouvait pas dire qu’elle invitait les regards sous l’ample épaisseur de mon survêtement.

— Vous m’êtes chaudement recommandée, Casseia, me dit-il. Je fonde en vous de très grands espoirs.

Je rougis. Il hocha la tête avec effusion.

— J’avais pensé que nous aurions le temps de déjeuner, mais tant pis. Nous allons nous mettre au travail immédiatement. Où sont les représentants légaux ?

La porte s’ouvrit. Six des administrateurs et élus les plus en vue du MA de Majumdar entrèrent. J’en connaissais quatre pour les avoir rencontrés à diverses manifestations mondaines au fil des années. Il y avait trois hommes et trois femmes, également en short et en chemise de tennis, la serviette drapée autour du cou, comme s’ils avaient tous joué avec Bithras.

Je n’avais jamais vu autant de gens importants rassemblés dans une petite salle. C’était mon premier avant-goût du centre du pouvoir.

Bithras salua chacun d’un signe de tête. Il n’y eut pas de présentations. J’étais là pour mon profit et non le leur.

— Nous pouvons commencer, déclara-t-il. Nous sommes une planète malheureuse. Nous ne satisfaisons pas la Terre. C’est triste, mais notre évolution, en fait, est trop lente à tout point de vue. Personne ne s’accorde sur la manière de remettre le bonhomme sur pied. Il y a plus d’un an que le gouvernement étatiste a abdiqué, mais nous n’avons réussi qu’à rafistoler le Conseil et à tenir des assemblées intérimaires. L’économie est en déclin, notre situation est pire qu’avant le départ de Dauble. Le commerce en a souffert. Nous n’avons pas un organisme unique pour coordonner les échanges. La Terre doit traiter séparément avec chaque MA et négocier avec des gouverneurs de district parfois trop zélés. Nous avons peur de coopérer pour défendre nos intérêts mutuels. Nous redoutons le piège de l’étatisme, de sorte que (il noua ses mains l’une dans l’autre) nous nous faisons beaucoup de mal. Il est indispensable que nous mettions un terme à nos chamailleries sur la question de savoir qui était d’accord avec Dauble et qui ne l’était pas. Nous devons cesser de punir les sympathisants de la Lune et de la Terre en les chassant du Conseil. Comme vous le savez, j’ai rencontré, ces derniers mois, les syndics des vingt plus grands MA de Mars. Ensemble, nous avons jeté les bases d’un projet d’unification martienne bâti autour du Conseil. Je pars pour la Terre avec des propositions concrètes. Ce sont elles que je présente ce soir au Conseil pour qu’elles soient débattues. Vous les avez étudiées. Elles sont directes, méchantes et pleines d’embûches. Je vous donne une dernière chance de les critiquer d’un point de vue égocentrique. Apprenez-moi des choses que je ne sais pas.

— Ces propositions empiètent sur le droit des MA à contrôler leur propre commerce, déclara Hettie Bishop, représentante générale. Je sais que nous sommes obligés de nous organiser, mais il ne faut pas retomber dans un fichu étatisme.

— Je répète que j’aimerais plutôt entendre des choses que je ne sais pas déjà.

— Cela donne aux gouverneurs de district plus de pouvoir qu’ils n’en ont jamais eu, fit remarquer Nils Bodrum, d’Argyre. Ils sont amoureux de leurs fonctions et de leurs territoires. Certains voient en Mars un paradis naturel à préserver. Nous avons perdu six prêts de la Triade parce que nous n’étions pas en mesure de garantir une réponse rapide aux demandes de ressources. Nous sommes étranglés par la bureaucratie conservatrice.

Bithras sourit.

— Venez-en au fait, Nils.