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— Exact.

— Est-il possible d’être totalement à l’aise quand on se côtoie si longtemps ?

— Il le faut bien, surtout quand on est les seuls lapins rouges parmi les Terros.

Il hocha vigoureusement la tête.

— Parmi des étrangers bizarres et tout-puissants. Cela va causer des tensions bien plus fortes que celles que je ressens en lisant ces messages. Nous sommes en pleine guerre des nerfs, Casseia… nous avons bien le droit de soulager – mutuellement – nos tensions induites par la guerre.

— Je voudrais lire ces messages.

— Cela m’ennuierait d’avoir à chercher le réconfort auprès d’une femme de la Terre.

— Je ne suis pas sûre que le moment…

Il écarta ma protestation d’un petit mouvement de tête.

— Supposons que je me donne à fond dans une liaison temporaire, car elle ne pourra que l’être, et que je m’aperçoive que cette femme de la Terre n’accepte d’avoir des relations sexuelles avec moi que dans les sims ?

Il me regarda avec effarement.

La colère montait lentement en moi, mais je me souvenais du conseil de ma mère : agir avec humour et intelligence. Je ne me sentais ni intelligente ni d’humeur à plaisanter, mais je ne me laissai pas totalement gagner par l’indignation.

— J’aime bien résoudre les difficultés et prendre des dispositions très tôt, continua Bithras.

Il avança la main pour me caresser le bras, puis remonta rapidement à mon épaule, qu’il lâcha pour passer un doigt léger sur le tissu quelques centimètres à peine au-dessus de mon sein.

— Vous signifiez beaucoup plus… pour moi, murmura-t-il.

— Étant de la même famille ?

— Ce n’est pas un obstacle.

— Ah ! Un arrangement de convenance.

— Bien plus que ça. Nous nous concentrerons mieux sur le travail, une fois cette question réglée.

— Une relation puissante.

— Très certainement.

Délicatement, j’écartai son bras.

— Ce que vous voulez dire, c’est que nous devons fonder une famille sans attendre, murmurai-je avec enjouement.

Il mit la tête en arrière, perplexe.

— Une famille ?

— Notre devoir est de faire tout plein de petits lapins rouges, pour contrebalancer les milliards de la Terre. Simple question de patriotisme, n’est-ce pas ?

— Casseia ! Vous vous méprenez délibérément ! Je n’ai jamais…

— Il n’entrait pas dans mes projets de procréer si tôt, l’interrompis-je, mais si c’est par patriotisme, c’est autre chose.

Humour ou pas humour, je m’efforçais de rester stoïque. Je portai la main à mon front en ajoutant :

— Dans la crise actuelle, Bithras, tout ce que l’on peut demander à une lapine rouge, c’est qu’elle se couche sur le dos et qu’elle ne pense plus qu’à Mars.

Il fit une grimace écœurée.

— Ce n’est pas du tout drôle, Casseia. Je parlais des difficultés que nous rencontrons dans notre vie privée.

— Il faudra que je mette à jour mes nanos médicales. La duochimie n’est pas la même chez les femmes enceintes.

— Vous vous méprenez complètement sur mes intentions.

Il tendit de nouveau le bras, posa la main sur mon épaule et la fit glisser vers le haut de mon sein sans me quitter des yeux, cherchant à me convaincre que ce n’était pas ce que je croyais.

— Je ne vous plais pas ? demanda-t-il.

Je haussai les sourcils en écartant de nouveau sa main.

— Vous devriez parler à mon père. Il comprend mieux que moi les impératifs familiaux et la haute stratégie politique, surtout en matière d’alliances et… de progéniture.

Bithras laissa retomber ses épaules et agita mollement la main.

— Je vais transférer les documents dans votre ardoise, dit-il. Alice les a déjà.

Il secoua la tête avec une tristesse non feinte et peut-être un regret. Je ne ressentais, pour ma part, ni culpabilité ni apitoiement pour lui.

Je quittai sa cabine l’esprit léger, la tête chavirant un peu. Une femme avertie en vaut deux. Lorsque je fus dans ma cabine, mon humeur légère fit place à la colère. Assise sur mon lit, je donnai des coups de poing si fort sur le matelas que mon derrière se souleva de plusieurs centimètres. Je m’allongeai sur le dos et me mis à compter à l’envers, les yeux fermés, les dents serrées. Il ne se contrôle pas plus qu’un bébé dans ses couches, me disait une voix intérieure calme et froide, la partie de moi-même qui continuait à penser clairement quand j’étais à bout de nerfs.

— Il n’a pas plus de technique qu’un excavateur, murmurai-je tout haut. Il est nul.

Je me rassis en me frottant les yeux et pris une longue inspiration.

Les communications vids ou vocales entre le Tuamotu et Mars étaient trop chères pour qu’on en abuse. Je me contentais d’envoyer des messages de texte, collectivement adressés à ma mère, mon père et Stan. Mais la dernière lettre que j’expédiai, au début du huitième mois de voyage, avant le ralentissement précédant la mise en orbite terrestre, s’adressait uniquement à ma mère.

Chère maman,

J’ai survécu jusqu’à présent, et j’ai bien aimé la plus grande partie du voyage, mais je crains que les messages que j’ai envoyés jusqu’à présent n’aient pas été complètement sincères. L’éloignement par rapport à Mars, les conversations avec les Terros, le fait de regarder travailler Bithras, tout cela me fait prendre de plus en plus conscience du décalage qui existe entre les Terros et nous. Les Martiens sont aveuglés par leurs traditions et leur conservatisme. Ils sont handicapés par leur naïveté. Pauvre Bithras ! Il est passé à l’abordage, comme tu l’avais prédit, une seule fois jusqu’à présent, Dieu merci, en se montrant balourd, direct et sans souplesse. Un homme si érudit, si large d’esprit, si important ! Une amie me disait un jour que les Martiens n’éduquent pas leurs enfants dans les domaines les plus importants de la vie : l’art de courtiser, de se faire des relations, d’aimer. Ils comptent sur la découverte individuelle, sur la méthode des essais et des erreurs, surtout des erreurs. S’il vivait sur la Terre, Bithras serait bon pour une thérapie sociale. Il passerait du temps dans les sims, aurait l’esprit plus clair et améliorerait ses talents. Pourquoi notre sens de l’individualité nous empêche-t-il de corriger nos faiblesses ?

Je passe pas mal de temps en compagnie d’une jeune Terrienne. Elle est vive et a beaucoup d’esprit. Comparée à moi, elle a mille ans. Pourtant, elle n’est âgée, en réalité, que de dix-sept années terrestres. Pour son dix-huitième anniversaire, j’ai l’intention de faire une sim avec elle et d’explorer la bonne vieille Terre à travers ses fantasmes. J’ignore au juste ce que c’est qu’une sim, mais j’ai peur que cela ne me mette mal à l’aise. Pour elle, ce ne sera qu’une formalité, mais j’en suis terrorisée d’avance. Terrorisée. Tu seras peut-être choquée en lisant ces lignes. Mais je m’attends à être tout aussi choquée en le faisant. Je me suis toujours crue, jusqu’à présent, stable et imperturbable, mais je me rends compte que mon innocence – mon ignorance – est tout simplement effrayante.

Alice m’avait déjà suggéré d’essayer. J’espère que cela légitimise la chose dans une certaine mesure à tes yeux. Sinon…, comme dit Orianna, mon amie, je ne suis plus une côtelette.

Je codai le message avant de l’envoyer. Avant que maman ait pu répondre, le jour du dix-huitième anniversaire d’Orianna, deux jours avant notre transfert sur une navette qui nous conduirait sur la Terre, nous plongeâmes dans sa sim de contrebande.