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— Amen, fit quelqu’un derrière moi.

Sean avait l’air remonté à bloc. Les muscles de son visage ressortaient nettement dans l’ovale de peau non étanche autour de ses yeux, son nez et sa bouche.

— Allons-y, nous dit-il.

Par groupes de cinq, nous ôtâmes nos vêtements pour les plier soigneusement ou les laisser tomber simplement par terre. Les premiers étudiants pénétrèrent dans le sas, le mirent en marche et grimpèrent à l’échelle. Lorsque ce fut mon tour, avec cinq autres, je retins ma respiration pour me protéger du tourbillon de poussière ocre et mis mon masque en place avec son recycleur. Cela sentait la crotte de chien. Le masque adhéra à la peau étanche avec un bruit de baiser mouillé. J’entendis le bourdonnement des pompes qui vidaient l’air. La peau étanche se gonfla tandis que les pressions s’équilibraient. Les mouvements devinrent plus difficiles.

Mes compagnons de sas commencèrent à grimper. Lorsque mon tour arriva, je saisis les barreaux de l’échelle et me hissai dans le puits au-dessus du tourbillon ocre. D’un coup de talon, je franchis le bord du puits et me retrouvai sur la plaine rocheuse, sous le soleil du matin. Il dominait la crête d’une chaîne de collines qui s’étendaient à l’est, entourées d’un halo rosé. Je clignai des yeux, peu habituée à cette clarté.

Nous allions devoir franchir ces collines pour arriver jusqu’à l’UMS. Nous avions mis une demi-heure rien que pour arriver à la surface.

Nous nous arrêtâmes à quelques mètres du dôme retranché pour attendre que Gretyl nous rejoigne. En quelques minutes, nous nous étions tous recouverts de poussière. Il allait falloir nous destater pendant une demi-heure quand tout serait fini.

Gretyl émergea du trou. Sa voix décodée se fit entendre, légèrement étouffée, à mon oreille droite.

— Rassemblons-nous derrière le groupe de Sean.

Nous pouvions respirer, nous pouvions nous parler. Jusqu’à présent, tout marchait bien.

— On y va, fit Sean.

Les équipes commencèrent à s’éloigner du dôme retranché. Quelques étudiants agitèrent la main. J’aperçus Charles qui s’éloignait vers les collines avec son groupe, un peu plus au sud par rapport à nous. Je me demandais ce qui m’attirait chez lui. La peau étanche ne dissimulait pas grand-chose. Il avait le cul le plus mignon qui soit, malgré une légère cellulite.

Je me mordis la lèvre pour maîtriser mes pensées.

Tu es un lapin rouge, me morigénai-je. Tu montes à la surface pour la première fois depuis deux ans, sans moniteur ni instructeur chargé de vérifier ton équipement et de s’assurer que tu retourneras intacte à ta maman. Concentre-toi un peu sur ce que tu fais, bon Dieu !

— En avant, fit Gretyl.

La colonne se mit en marche. C’était une matinée martienne typique et printanière par - 20 °C. Le vent s’était calmé, on ne le sentait presque plus. L’air était clair sur deux cents kilomètres. Des milliers d’étoiles piquetaient le ciel au zénith comme de minuscules diamants. L’horizon était rose comme l’intérieur d’un coquillage.

Toutes mes pensées s’alignèrent. L’instant avait quelque chose de magique. J’avais le sentiment de posséder une connaissance totalement réaliste de notre situation… et de nos chances de survie.

La surface de Mars était habituellement d’un froid mortel. Si près de l’équateur, cependant, les températures étaient relativement douces et descendaient rarement au-dessous de -60 °C. Une tempête normale pouvait s’accompagner de vents de 400 km/h qui chassaient devant eux des nuages de fine poussière et de sables mous assez hauts et étendus pour être vus de la Terre. Plus rarement, une recrudescence d’activité des courants-jets pouvait créer une ligne de hautes pressions sur des milliers de kilomètres, visible en orbite sous la forme d’un long serpent noir. Cela produisait des nuages capables de couvrir rapidement la presque totalité de la planète. Mais l’atmosphère des hauteurs de Sinaï Planum, à cinq millibars, était trop raréfiée pour qu’on s’en soucie la plupart du temps. En général, les vents se faisaient à peine sentir.

Mes pieds bottés martelaient lourdement le sable en croûte et les cailloux. Le sol martien, lorsqu’il n’est pas remué durant quelques mois, forme un fin revêtement dont les grains s’agglomèrent mécaniquement en une sorte de ciment qui rappelle le givre par sa consistance. J’entendais faiblement les crissements des pas des autres, que l’atmosphère très mince m’apportait comme s’ils étaient à des dizaines de mètres de moi.

— Ne nous éloignons pas les uns des autres, nous dit Gretyl.

Je passai devant un bloc arrondi par un glacier et plus gros que notre dôme retranché principal. Les anciennes coulées de glace avaient sculpté le basalte de sa croûte en lui donnant la forme d’un gnome rond aux bras écartés sur le sol et à la tête plate reposant au creux de son coude dans une attitude de sommeil – probablement feint.

Je ne sais pas pourquoi, mais les lapins rouges n’étaient jamais superstitieux en ce qui concernait la surface. Sans doute était-elle trop rouge, orange et marron pour cela, trop morte aussi pour parler à nos instincts morbides.

— S’ils sont assez malins pour anticiper nos mouvements, ils ont peut-être mis des sentinelles de ce côté pour surveiller les abords de l’université, nous dit Sean à la radio.

— Ou bien s’ils sont assez tarés, ajouta Gretyl.

Je commençais à aimer cette fille. Malgré sa voix déplaisante et son visage ingrat de harpie, elle semblait avoir un point de vue équilibré. Je me demandais pourquoi elle avait gardé ce visage. C’était peut-être un truc de famille, dont elle se sentait fière à cause de ses origines, comme les traits transmis par la famille royale britannique, avec la garantie du gouvernement. Le long nez du roi Henry d’Angleterre.

Merde.

Finie la concentration.

Je décidai que cela n’avait pas d’importance. Peut-être n’était-il pas très bon de se concentrer sur la concentration.

Le soleil était maintenant au-dessus de la crête, d’une blancheur froide à peine teintée de rose. Autour de lui tourbillonnaient de fines nuées opalines. Plus haut, des nuages de glace et de silicates zébraient un jour de plus en plus orangé. Les zones d’ombre autour des rochers commençaient à se remplir, ce qui rendait chaque pas un peu plus facile. Il arrivait que des trous formés par le vent se cachent derrière les blocs, attendant traîtreusement un pied imprudent.

Le groupe de Gretyl s’était déployé. J’étais en avant, à quelques pas sur sa droite.

— Sentinelle ! annonça Garlin Smith sur ma propre droite en levant le bras.

Nous avions suivi ensemble les cours de psycho de masse. Il était grand et taciturne, le Martien typique aux yeux des Terros ignorants.

Suivant la direction de son doigt, à l’est, nous aperçûmes une silhouette isolée qui se tenait sur une éminence à deux cents mètres de là. Elle était armée d’un fusil.

— Une arme ! fit Gretyl entre ses dents. Je n’arrive pas à y croire !

La sentinelle portait une combinaison étanche de modèle professionnel, du type utilisé par les aréologues, les inspecteurs agricoles et la police. Elle leva la main pour toucher son casque. Apparemment, elle ne nous avait pas encore vus, mais elle recevait nos signaux brouillés.

— Continuez d’avancer, nous dit Gretyl. Nous n’avons pas fait tout ce chemin pour nous laisser effrayer par une sentinelle isolée.

— À condition que c’en soit une, intervint Sean, qui écoutait notre bavardage. Il ne faut pas se fier aux apparences.

— Je ne vois pas ce que cela pourrait être d’autre, fit Gretyl.

— D’accord, déclara Sean sans insister.