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La silhouette nous repéra environ quatre minutes après avoir été aperçue par nous. Une centaine de mètres nous séparaient. À cette distance, elle ressemblait à un homme.

Ma respiration s’accéléra. J’essayai de la ralentir.

— Rapport, demanda Sean.

— Sentinelle armée, sexe masculin, en combinaison spatiale. Il nous a vus, mais n’a pas encore réagi, déclara aussitôt Gretyl.

Nous continuâmes tout droit. Nous allions passer à cinquante mètres de lui.

La tête casquée pivota pour suivre notre avance. L’homme leva un bras.

— Qu’est-ce que vous foutez là, vous autres ? nous demanda-t-il d’une voix rude. Vous avez vos papiers ?

— Nous sommes des étudiants de l’UMS, répondit Gretyl en continuant d’avancer à la même allure.

— Que faites-vous à la surface ?

— Des relevés. Qu’est-ce que vous croyez ? répliqua Gretyl. (Mais nous n’avions aucun appareillage avec nous.) Et vous, qu’est-ce que vous faites là-haut ?

— Ne vous fichez pas de moi. Vous savez très bien qu’il y a des problèmes. Dites-moi de quelle section vous êtes et… Vous communiquez en code ?

— Non, fit Gretyl.

Nous nous étions encore rapprochés de vingt mètres. Il commença à descendre de son éminence pour mieux nous voir.

— Qu’est-ce que vous portez sur le dos ?

— Des combinaisons rouges, répondit Gretyl.

— Merde, ce sont des peaux étanches ! C’est interdit par la loi de porter ces trucs-là, sauf en cas d’urgence ! Combien êtes-vous ?

— Quarante-cinq, mentit Gretyl.

— Mes ordres sont d’empêcher tout intrus de franchir les limites de l’université. Je suis obligé de vous demander vos papiers. Il vous faut un laissez-passer, même pour avoir le droit d’être là-haut.

— C’est un fusil ? demanda Gretyl en feignant la surprise.

— Hé ! venez par ici, vous tous !

— Pourquoi vous faut-il un fusil ?

— Pour empêcher les intrus d’entrer. Arrêtez tous !

— Nous sommes de la section d’aréologie. Nous ne pouvons pas rester ici plus de quelques heures. Vous n’avez pas reçu l’autorisation du professeur Sunder ?

— Je n’ai rien reçu du tout. Arrêtez-vous immédiatement, merde !

— Écoutez, mon vieux, qui est-ce qui vous donne vos ordres ?

— L’UMS est une propriété à accès protégé. Vous feriez mieux de me montrer vos cartes d’étudiant.

— Va te faire voir, lui dit Gretyl.

La sentinelle leva le canon de son fusil. C’était une arme automatique à fléchettes, au long canon très fin. Je n’arrivais plus à faire la différence entre ma peur et mon indignation. Dauble et Connor étaient devenues folles. Aucun étudiant sur Mars n’avait été tué par la police depuis cinquante ans que la colonie existait. Ces gens-là n’avaient donc jamais entendu parler de Tian Anmen ou de Kent State ?

— Sers-t’en, lui dit-elle. Tu auras ta photo partout dans la Triade pour avoir tiré sur des étudiants en aréologie venus travailler à la surface. Bon pour ta carrière, ça. Nos familles vont t’adorer. Quel genre de boulot tu vas chercher après ça, mon lapin ?

Nos récepteurs s’emplirent de bruits aigus. La sentinelle était en train d’émettre un message codé. La réponse, sous forme d’autres bruits aigus, ne tarda pas à arriver.

L’homme abaissa le canon de son fusil et nous suivit.

— Êtes-vous armés ? nous demanda-t-il.

— Où est-ce que des étudiants pourraient se procurer des armes ? demanda Gretyl. Qui t’a ordonné de nous faire peur ?

— Écoutez, c’est sérieux. J’ai besoin de voir vos cartes.

— Nous avons percé son code, fit la voix de Sean à ce moment-là. Ils lui demandent de vous empêcher de passer par tous les moyens.

— Parfait, déclara Gretyl.

— À qui parlez-vous ? demanda la sentinelle. Cessez de communiquer en code.

— Peut-être qu’ils ne te disent pas tout, mon lapin, le taquina Gretyl.

Son audace, son talent pour gagner du temps et semer la confusion me sidéraient. Peut-être Sean et elle, avec quelques autres, avaient-ils reçu une formation spéciale. Cela me donnait envie d’en savoir plus sur la révolution.

Le mot m’était venu à l’esprit comme une claque non annoncée dans le dos. C’était bien une petite révolution que nous étions en train de vivre.

— Seigneur Jésus ! m’exclamai-je.

Mais mon émetteur était coupé.

— Qu’est-ce qu’il fait, maintenant ? demanda la voix de Sean.

— Il nous suit, lui dit Gretyl. Il n’a pas l’air de vouloir tirer.

— Pas avec des fléchettes, je pense, commenta Sean. Je vois d’ici les grands titres !

Malgré moi, j’eus la vision de ce que cela donnerait :

DES ÉTUDIANTS MIS EN PIÈCES PAR DES PROJECTILES À HAUTE PÉNÉTRATION

De nouveaux bruits aigus se firent entendre en accéléré à nos oreilles. On aurait dit des insectes en colère.

Nous grimpâmes sur un nouveau monticule, le garde toujours sur nos talons, et aperçûmes les superstructures basses de l’UMS. Les bâtiments souterrains de l’université s’étendaient au nord-est sur un kilomètre environ. Un demi-étage émergeait et dix étaient dessous. Les locaux administratifs étaient les plus proches de la surface et de la gare. Les guides du train étaient suspendus à de fines perches et formaient une courbe légère au-dessus d’un autre monticule pour faire la jonction avec la gare.

Les équipes de Sean devaient s’y trouver à présent.

D’autres gardes en combinaison pressurisée sortirent des bâtiments de l’UMS. Ils étaient armés.

— Très bien, fit une voix féminine bourrue. Dites ce que vous avez à dire et disparaissez en vitesse ou je vous fais tous arrêter.

Gretyl s’avança. Elle ressemblait à un petit diable rouge à la tête masquée de noir.

— Nous voulons être reçus par la chancelière de l’université. Nous représentons les étudiants qui ont été illégalement vidés et dont les contrats ont été arbitrairement rompus. Nous exigeons…

— Pour qui vous prenez-vous ? Pour des lardeurs de merde ?

La voix de cette femme me faisait peur. Elle semblait outrée, sur le point d’accomplir quelque chose d’irréparable. J’étais incapable de dire laquelle c’était parmi les silhouettes en combinaison, si toutefois elle était montée.

— Vous êtes sur une propriété régionale, continua-t-elle. Quand on est un foutu rétro, on doit savoir ce que ça veut dire !

— Je n’ai pas l’intention de discuter avec vous, déclara Gretyl. Nous exigeons de rencontrer…

— C’est à elle que vous parlez, pauvre débile ignorante ! Je suis ici ! (La silhouette la plus en avant leva le bras et secoua son poing ganté.) Et je ne suis pas d’humeur à négocier avec des rétros qui n’ont aucun droit d’être ici !

— Nous sommes venus vous remettre une pétition, lui dit Gretyl en prenant un cylindre de métal dans sa ceinture pour le lui tendre.

L’un des gardes voulut s’avancer pour le prendre, mais Connor lui saisit le coude et le secoua une fois, fermement. Il recula pour reprendre sa place, les bras croisés.

— Politique de confrontation, fit Connor d’une voix aussi éraillée qu’un vieux rasoir. Agitation publique et résistance passive. On se croirait sur la Terre. La politique ne fonctionne pas de la même façon ici. J’ai pour mission de protéger cette université et d’y maintenir l’ordre.

— Vous refusez de nous rencontrer pour discuter de nos revendications ?

— Nous sommes en train de nous rencontrer en ce moment. Personne ne peut rien exiger d’une autorité légale en dehors des voies habituelles. Qui est derrière vous ?