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Je regardai par-dessus mon épaule, me méprenant sur ses mots.

— Il n’y a aucune conspiration, fit Gretyl.

— Mensonges, ma chère. Purs mensonges.

— De par la loi contractuelle martienne, nous avons le droit de demander à être reçus par vous pour discuter des raisons de notre vidage et de la rupture de nos contrats.

— La loi étatique a pris le pas sur celle des MA le mois dernier.

— C’est inexact. Renseignez-vous auprès de vos conseillers juridiques, et ils vous diront…

Je rentrai la tête dans les épaules. Ces pinaillages étaient en train de nous faire perdre du temps et…

— Vous avez une minute pour rebrousser chemin et regagner l’endroit d’où vous venez, ou je vous fais tous arrêter, répliqua Connor. Les instances juridiques trancheront. Vos familles savent-elles où vous êtes ? Et vos avocats ? Sont-ils au courant ? Vous approuvent-ils ?

Gretyl se hérissa.

— Je ne peux pas croire que vous soyez aussi têtue. Pour la dernière fois, j’exige que…

— C’est bien. Arrêtez-les. J’en prends la responsabilité. Statut 251, règlement de district Syria-Sinaï.

Quelques étudiants échangèrent nerveusement des questions.

— Silence ! s’écria Gretyl. C’est votre dernier mot ? demanda-t-elle à Connor.

— Pauvres rongeurs débiles, fit la chancelière en pivotant pour regagner le sas.

Elle se comportait de manière encore plus brutale qu’on ne nous l’avait laissé entendre aux réunions préliminaires. Elle était suprêmement assurée, inflexible, prête à provoquer un incident. Les gardes s’avancèrent. Tournant la tête, j’aperçus trois autres silhouettes en combinaison qui s’avançaient également vers nous. Il ne nous restait plus qu’à nous soumettre.

Gretyl fit un pas de côté pour s’éloigner du premier garde. Un autre s’avança sur sa droite et se glissa entre elle et moi. Elle recula. Nous étions vingt et il y avait dix gardes.

— Laissez-vous arrêter, fit Gretyl. Laissez-les faire.

Mais pourquoi résistait-elle, dans ce cas ?

Un garde me saisit le bras et appliqua un lien gluant contre la peau étanche de mon poignet.

— Vous avez de la chance qu’on vous emmène, dit-il. Vous n’auriez pas pu rester une heure de plus dans ce truc-là.

Deux gardes s’occupèrent exclusivement de Gretyl. Ils s’avancèrent vers elle avec leurs liens gluants à la main. Elle recula, leva un bras comme pour les saluer et toucha son masque.

Le temps parut se solidifier.

Gretyl se tourna vers nous. Son regard était apeuré. Je sentis mon cœur se serrer. Ne fais pas de bêtise rien que pour impressionner Sean ! avais-je envie de lui crier.

— Racontez-leur ce que vous avez vu ici, nous dit Gretyl. La liberté triomphera !

Ses doigts se glissèrent sous la couture du masque. Un garde lui saisit le bras, mais il n’avait pas été assez rapide.

Gretyl arracha son masque et fit un bond de côté, en l’envoyant voler d’un geste large. Son visage au long nez brilla d’un éclat pâle et étroit sous le ciel rose. Elle ferma les paupières et serra les lèvres instinctivement. Ses bras se tendirent, les doigts serrés, comme si elle faisait de la corde raide et avait peur de perdre l’équilibre.

En même temps, j’entendis de petits cognements et sentis vibrer le sol.

Connor n’avait pas encore eu le temps de pénétrer dans le sas émergé.

— Portez-la à l’intérieur ! Portez-la à l’intérieur ! glapit-elle en écartant les gardes qui l’entouraient.

Ils demeurèrent figés comme des statues durant un temps qui me parut durer des minutes, puis se saisirent de Gretyl et la traînèrent aussi vite que possible vers le sas. Je vis son visage rosir tandis que les vaisseaux de surface éclataient et que le plasma se mettait à bouillonner. C’était la rose du vide.

Gretyl ouvrit les yeux et porta une main à son menton. Elle força sa mâchoire à s’ouvrir. L’air de ses poumons jaillit, formant un nuage de condensation figée dans l’air immobile.

— Ils ont fait sauter la voie ! cria alors quelqu’un.

— Faites-la rentrer !

Gretyl levait vers le ciel des yeux couverts de givre.

Le garde qui se tenait devant moi tira en avant le lien gluant et je tombai dans la poussière. Un instant, il sembla vouloir me donner un coup de pied. Redressant la tête, j’aperçus ses petits yeux sinistres derrière la visière du casque. Il avait la bouche ouverte et les traits tombants. Il se figea et cligna des yeux, attendant de nouveaux ordres.

Je tournai la tête pour voir comment étaient traités mes compagnons. Plusieurs gisaient dans la poussière. Les gardes, systématiquement, faisaient tomber tout le monde, en nous maintenant à terre de leur pied botté pesant sur notre dos. Lorsque plus personne parmi nous ne fut debout, la porte du sas se rouvrit et quelqu’un sortit, mais ce n’était pas Connor.

— Ils sont en état d’arrestation, fit une voix d’homme à la radio. Faites-les rentrer. Enlevez-leur ce truc qu’ils ont sur le dos et mettez-les dans un dortoir. Épouillez-les.

Il n’y a jamais eu de poux sur Mars.

Après le sas, ils nous séparèrent promptement. Les gardes prirent cinq d’entre nous et nous poussèrent dans un couloir glacé qui menait aux anciens dortoirs, rarement utilisés à présent. Les nouveaux étaient équipés de plus de confort. Mais ceux-ci étaient maintenus en bon état en vue d’une éventuelle urgence ou d’un futur afflux d’étudiants.

— Vous pouvez retirer ces peaux tout seuls ? nous demanda la plus grande des trois gardes. Elle ôta son casque à la lumière diffuse de la galerie, les lèvres tombantes, le regard malheureux.

— Qu’est-ce qu’il voulait dire par « épouiller » ? demanda un autre garde, jeune et bien bâti, au physique et à l’accent de la Caraïbe.

Ils venaient tous d’arriver sur la planète. Ce n’était pas un hasard. Le nouvel État Unifié de Mars leur servirait de tuteur, de MA et de famille.

— Vous n’avez pas le droit de nous détenir ainsi, protestai-je. Qu’est devenue Gretyl ?

Mes quatre camarades se tournèrent à leur tour vers les gardes, pointant des doigts accusateurs et réclamant bruyamment le respect de leurs droits, la liberté, un avocat, la possibilité de communiquer avec leur famille.

Cela devint une rébellion ouverte, jusqu’à ce que le troisième garde sorte une fléchette de son paquetage. C’était le plus petit des trois. Il était maigre et sec, avec des cheveux bruns coupés court et des traits angéliques. Ses yeux se plissèrent froidement. C’est un sympathisant étatiste, me dis-je. Les autres n’étaient que des mercenaires.

— Fermez-la immédiatement ! ordonna-t-il.

— Vous avez blessé Gretyl ! m’écriai-je. Nous voulons savoir ce qu’elle est devenue !

— Le sabotage est une trahison. Nous pourrions vous abattre en invoquant la légitime défense.

Il leva son arme. Nous reculâmes tous, y compris les deux autres gardes.

— Ce ne serait pas une très bonne idée, lui dis-je.

— Pas pour vous, c’est certain.

Avec un sourire glacé, il nous poussa dans le couloir puis nous fit entrer dans une chambre double au mobilier réduit à sa plus simple expression. Il nous fit aussitôt occuper le lit étroit et les chaises, en un nouveau geste mesquin de défiance inutile.

— Vous allez rester ici un certain temps, autant vous mettre tout de suite à l’aise, nous dit-il.

Je n’aimais pas la façon dont il brandissait son arme, et je ne tenais pas à le provoquer davantage. Nous nous débarrassâmes de nos peaux étanches, en les déchirant. Ce fut un soulagement pour nous. Le Caribéen recueillit les lambeaux pour les mettre dans des sacs en plastique. Il flottait assez de poussière dans l’air pour nous faire éternuer.