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— Espèce de sale con ! cracha Khouri. Espèce de sale con égoïste, obsédé !

— Félicitations, fit Sylveste. Vous connaissez des mots de trois syllabes, maintenant. Mais avant, ça ne vous ennuierait pas de pointer ce vilain article de quincaillerie ailleurs que sous mon nez ?

— Avec plaisir, dit-elle, sans abaisser l’arme d’un millimètre. J’ai une autre région anatomique en tête.

— Ça t’ennuierait de m’expliquer ce qui se passe ? demanda Hegazi.

— Le Voleur de Soleil a dû prendre le contrôle des systèmes de communication du vaisseau, répondit Volyova. C’est la seule explication… Je ne vois pas comment, autrement, l’ordre de contrevenir à l’interruption des transmissions aurait pu être émis. Or c’est impossible, poursuivit-elle en secouant la tête. Nous savons qu’il est prisonnier dans le poste de tir. Et il n’y a pas de lien matériel entre l’artillerie et les communications.

— Il doit y en avoir un maintenant, répondit Khouri.

— Mais ça voudrait dire… commença Volyova en ouvrant de grands yeux.

Dans la pénombre de la passerelle, des croissants blancs apparurent autour de ses prunelles.

— Il n’y a pas de barrières logiques entre les communications et le reste du vaisseau. Si le Voleur de Soleil en est vraiment là, alors nous ne sommes plus à l’abri de rien, résuma Khouri.

Personne ne parla pendant très longtemps ; comme si tout le monde – et même Sylveste – avait besoin de temps pour se faire à la gravité de la situation. Khouri essaya vainement de déchiffrer son expression. Pour lui, tout cela n’était qu’un fantasme paranoïaque échappé de son subconscient à elle, fantasme qui avait, d’une façon ou d’une autre, contaminé Volyova et plus récemment Pascale.

Peut-être une part de lui-même refusait-elle encore de croire, contre toute évidence.

Maintenant… quelle évidence ? En dehors du signal réinitialisé – avec tout ce que ça impliquait –, rien ne suggérait que le Voleur de Soleil était allé plus loin que le poste de tir. D’un autre côté, s’il l’avait fait…

Volyova rompit le silence :

— Oh, le svinoï ! fit-elle en braquant son arme sur Hegazi. Salaud ! C’est toi qui es derrière ça, hein ? Sajaki est hors des limites de l’épure, et Sylveste n’a pas les compétences, alors ça ne peut être que toi !

— Je ne vois pas de quoi tu veux parler.

— C’est toi qui as aidé le Voleur de Soleil, hein ?

— Reprends-toi, triumvira !

Khouri se demanda dans quelle direction elle devait braquer son arme à plasma. Sylveste avait l’air aussi ébranlé que Hegazi ; aussi surpris du soudain éclat de Volyova.

— Non, écoutez, fit Khouri. D’accord, il lèche le derrière de Sajaki depuis que je suis à bord, mais ce n’est pas pour ça qu’il aurait fait une bêtise pareille.

— Merci, répondit Hegazi. Cela dit…

— Oh, tu n’es pas tiré d’affaire, répondit Volyova. Loin de là. Khouri a raison ; ç’aurait été d’une stupidité abyssale. Mais ça ne veut pas dire que tu ne l’as pas fait. Tu avais toutes les compétences nécessaires. Et puis tu es un chimérique, et peut-être que le Voleur de Soleil est aussi en toi. Auquel cas je crains qu’il ne soit trop dangereux de t’avoir dans les pattes. Allez, Khouri, fit-elle avec un mouvement de menton. Collez-le dans un des sas.

— Vous allez me tuer, fit Hegazi alors qu’elle le faisait avancer dans la coursive inondée, le canon du pistolet à plasma dans les reins. C’est ça, hein, vous allez me tuer ? Vous allez m’envoyer dans l’espace.

— Elle veut juste vous mettre hors d’état de nuire, fit Khouri, qui n’était pas précisément d’humeur à tenir une conversation prolongée avec son prisonnier.

— Quoi qu’elle puisse penser, je n’ai rien fait. Désolé de cet aveu, mais je n’en ai pas les compétences. Ça va, vous êtes contente ?

Il commençait vraiment à l’exaspérer, mais elle comprit que le seul moyen de le faire taire était de lui donner la réplique.

— Je ne suis pas sûre que vous l’ayez fait, répondit-elle. Il aurait fallu que vous preniez les dispositions nécessaires avant de savoir que Volyova allait saboter son arme. Et vous n’avez pas pu le faire depuis ; vous n’avez pas quitté la passerelle.

Ils étaient arrivés au sas le plus proche. Un petit sas, juste assez grand pour accueillir un homme en scaphandre. Comme à peu près tout dans cette partie du bâtiment, les commandes de la porte disparaissaient sous la crasse, la rouille et de vieilles couches de champignons. Et pourtant, miraculeusement, elle fonctionnait encore. Elle s’ouvrit dans un ronflement.

— Alors, pourquoi faites-vous ça ? demanda Hegazi alors qu’elle le poussait dans le réduit exigu, à peine éclairé. Pourquoi, puisque vous ne croyez pas que j’aie pu le faire ?

— Parce que je ne vous aime pas, répondit-elle en refermant la porte sur lui.

30

Système Cerbère-Hadès,
héliopause de Delta Pavonis, 2566

Lorsqu’ils furent enfin seuls dans leur cabine, Pascale dit :

— Tu ne peux pas continuer comme ça, Dan. Tu écoutes ce que je te dis ?

Il était vidé. Ils l’étaient tous, mais les pensées se bousculaient dans sa tête, et il n’avait vraiment pas envie de dormir. Et pourtant, si la tête de pont tenait le coup assez longtemps pour qu’il puisse entrer dans Cerbère comme prévu, c’était peut-être la dernière occasion qu’il aurait de prendre un peu de repos d’ici une dizaine d’heures, sinon des jours entiers. Et pour descendre dans les profondeurs du monde non humain, il avait intérêt à être plus en forme et plus réveillé que jamais. Mais Pascale paraissait décidée à tout faire pour l’en empêcher.

— C’est beaucoup trop tard, maintenant, dit-il avec lassitude. Cerbère est au courant de notre présence ; nous nous sommes annoncés ; nous lui avons fait du mal. La planète connaît déjà une partie de notre nature. Mon entrée ne fera guère de différence, si ce n’est que j’en apprendrai beaucoup plus que les robots espions bringuebalants de Volyova.

— Tu ne peux pas savoir ce qui t’attend au fond. Dan.

— Si, je peux. Une réponse à ce qui est arrivé aux Amarantins. Tu ne comprends pas que l’humanité a besoin de cette information ?

Il vit bien qu’elle comprenait, ne serait-ce qu’à un niveau théorique. Mais elle dit :

— Et si c’était le même genre de curiosité qui avait provoqué leur extinction ? Tu as vu ce qui est arrivé au Lorean ?

Il pensa pour la énième fois à Alicia, à sa mort. À son corps, resté dans l’épave du Lorean. Il s’interrogea à nouveau sur ses réticences à l’idée de le récupérer. La façon dont il avait ordonné qu’il plonge dans la planète avec la tête de pont lui faisait une impression particulièrement impersonnelle, glaçante, comme si – l’espace d’un instant – il s’était dédoublé. Ce n’était pas lui qui avait donné cet ordre ; ce n’était même pas Calvin, mais quelque chose qui se cachait derrière eux. Cette pensée le contrariait, et il la réprima sous les soucis conscients, exactement comme on écrase un insecte.

— Eh bien, nous serons fixés, répondit-il. Nous serons enfin fixés. Et même si nous y laissons la vie, on saura ce qui s’est passé. Quelqu’un le saura, sur Resurgam ou dans n’importe quel autre système. Il faut que tu comprennes ça, Pascale, je pense vraiment que le jeu en vaut la chandelle.