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Il décida de remettre le repos à plus tard et prit l’ascenseur ouvert – nous avons un ascenseur ! – jusqu’aux ops. Naomi était assise sur le plancher devant un panneau ouvert et ce qui ressemblait à une centaine de petits éléments et de fils disposés tout autour d’elle selon un agencement précis. Elle examinait quelque chose au fond du compartiment.

— Eh, Naomi, vous devriez vraiment prendre un peu de repos. Sur quoi travaillez-vous ?

Elle désigna l’ensemble d’un geste vague.

— Le transpondeur.

Il s’approcha et s’assit à côté d’elle.

— Dites-moi ce que je peux faire pour vous aider.

Elle lui tendit son terminal de poche. Son petit écran affichait les instructions de Fred pour modifier le signal du transpondeur.

— Tout est prêt. J’ai relié la console au port de données, comme il l’a dit. Le programme de l’ordinateur est modifié pour lancer la neutralisation qu’il a décrite. Il ne reste plus qu’à entrer le nouveau code et les données d’enregistrement du vaisseau. J’ai déjà tapé le nouveau nom. C’est Fred qui l’a choisi ?

— Non, c’est moi.

— Oh. Bon, très bien. Mais…

Elle ne termina pas sa phrase et lui montra une fois encore le compartiment béant devant eux.

— Quel est le problème ? demanda-t-il.

— Jim, ils conçoivent ces systèmes spécialement pour qu’on ne puisse pas les trafiquer. La version civile de celui-ci fond et se transforme en un bloc solide de silicone si elle détecte une tentative de falsification. Qui sait ce que prévoit le dispositif de sécurité de la version militaire ? Est-ce que le réacteur ne va pas nous métamorphoser en supernova ?

Elle se tourna vers lui.

— J’ai opéré les modifications indiquées, et tout est prêt, mais je pense que nous ne devrions pas le faire, dit-elle. Nous ignorons quelles seraient les conséquences d’un échec.

Holden se leva et alla jusqu’à la console de l’ordinateur. Un programme que Naomi avait baptisé Trans01 attendait d’être lancé. Il hésita une seconde, puis appuya sur la touche d’exécution. Le vaisseau ne se vaporisa pas dans l’espace.

— J’en déduis que Fred préfère que nous restions vivants, fit-il.

Naomi se voûta sur elle-même avec un soupir bruyant.

— Voilà, c’est pour ça que jamais je ne pourrai assumer un commandement, dit-elle.

— Vous n’aimez pas prendre une décision difficile quand les infos manquent ?

— C’est plutôt que je ne suis pas une irresponsable suicidaire, répliqua-t-elle en commençant à réassembler les pièces du boîtier du transpondeur.

Holden appuya sur la touche murale du système comm.

— Eh bien, à tout l’équipage : bienvenue à bord du transport gazier Rossinante.

— Est-ce que ce nom veut seulement dire quelque chose ? demanda Naomi quand il eut relâché le bouton.

— Il veut dire qu’il va nous falloir trouver quelques moulins à vent, répondit Holden par-dessus son épaule tout en se dirigeant vers l’ascenseur.

* * *

Les Industries Tycho étaient une des premières grosses compagnies à s’être installées dans la Ceinture. Dans les premiers temps de son expansion, ses ingénieurs et une flotte de vaisseaux avaient capturé une petite comète et l’avaient parquée en orbite stable pour servir de point de ravitaillement en eau, des dizaines d’années avant que des cargos tels que le Canterbury commencent à rapporter de la glace des champs presque illimités situés dans les anneaux de Saturne. L’opération avait constitué une des prouesses techniques les plus ardues et complexes que l’humanité ait jamais accomplies à une telle échelle, du moins jusqu’à l’étape suivante.

Non content d’avoir réussi cet exploit, Tycho avait construit les énormes propulseurs nucléaires dans la roche de Cérès et d’Éros, et avait consacré plus d’une décennie à apprendre à ces astéroïdes à tourner sur eux-mêmes. Ils avaient été recouverts d’un revêtement afin de créer un réseau de cités flottantes au-dessus de Vénus, avant que les droits de développement ne tombent dans un labyrinthe de procès qui atteignait maintenant sa quatre-vingtième année d’existence. On avait parlé un temps d’ascenseurs spatiaux pour Mars et la Terre, mais rien de concret n’avait encore vu le jour. Si vous aviez un projet technique impossible à réaliser dans la Ceinture, et que vous ne pouviez vous offrir les services de cette entreprise, vous engagiez Tycho.

La station Tycho, quartier général de la firme pour la Ceinture, était une immense station en anneau construite autour d’une sphère d’un demi-kilomètre de diamètre, avec une capacité intérieure de stockage et de production dépassant les soixante-cinq millions de mètres cubes. Les deux anneaux habitables en rotation inversée entourant la sphère offraient assez d’espace pour quinze mille travailleurs et leurs familles. Le sommet de la sphère de production était festonné d’une demi-douzaine d’énormes bras articulés de construction qui semblaient capables d’éventrer un cargo lourd. Le bas de la sphère se terminait par une protubérance bulbeuse de cinquante mètres de diamètre abritant un réacteur nucléaire digne d’un vaisseau amiral et un système de propulsion, ce qui faisait de la station la plus grande plate-forme mobile de tout le système solaire. Chaque compartiment composant l’intérieur des anneaux gigantesques était muni d’un dispositif rotatif qui permettait la réorientation afin d’assurer la gravité lorsque les anneaux s’immobilisaient et que la station se dirigeait vers un nouveau lieu de travail.

Bien qu’ayant connaissance de tous ces détails, Holden avait toujours le souffle coupé quand il posait les yeux sur la station. Ce n’était pas tellement la taille de l’ensemble, mais plutôt l’idée que sur quatre générations les gens les plus ingénieux avaient vécu et travaillé ici, aidant l’humanité à atteindre les planètes extérieures presque par la seule force de leur volonté.

— On dirait un gros insecte, dit Amos.

Holden faillit protester, mais la station ressemblait en effet à une sorte d’araignée géante, avec un corps épais et toutes les pattes qui auraient jailli du sommet de sa tête.

— Oubliez la station, et regardez plutôt ce monstre, là.

Le vaisseau qu’elle construisait écrasait la station de sa masse. Les retours ladar dévoilèrent à Holden qu’il dépassait les deux kilomètres de long pour cinq cents mètres de large. Rond et épais, il évoquait un mégot de cigarette géant en acier. Les poutrelles de la structure exposaient les compartiments internes et la machinerie à divers stades de finition, mais les moteurs paraissaient terminés, et la coque avait été assemblée sur la partie avant. Le nom Nauvoo y était inscrit en lettres monstrueuses.

— Alors les Mormons vont voyager dans ce machin jusqu’à Tau Céti, hein ? demanda Amos, qui ponctua sa question d’un long sifflement. Ces salopards sont culottés. Un trajet de quarante ans, et aucune garantie qu’il y ait seulement une planète qui vaille le déplacement.

— Ils semblent très sûrs de leur fait, répondit Holden. Et on n’amasse pas assez d’argent pour construire ce genre de vaisseau en se montrant stupide. Pour ma part, je leur souhaite bonne chance.

— Ils vont atteindre les étoiles, fit Naomi. Comment ne pas leur envier ça ?

— Leurs arrière-petits-enfants atteindront peut-être une étoile s’ils ne meurent pas tous de faim à tourner en orbite autour d’un caillou dont ils ne pourront rien tirer, dit Amos. Je ne vois rien de grandiose dans tout ça, moi.

Il désigna le dispositif comm d’une taille impressionnante qui saillait d’un flanc du Nauvoo.