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Par la suite, il avait suivi les séances obligatoires d’aide psychologique. Il avait pleuré, souffert de cauchemars, de crises de tremblements et de tous ces symptômes que les flics endurent discrètement, sans en parler. Mais même alors, il lui avait semblé que les choses se produisaient à distance, comme s’il s’était enivré et qu’il se regardait vomir. C’était seulement une réaction physique. Elle allait passer.

Le plus important était qu’il avait désormais la réponse à la question : Oui, s’il le fallait, il était capable de prendre une vie.

Et c’était seulement maintenant, alors qu’il parcourait les couloirs d’Éros, qu’il y prenait plaisir. Même quand il avait abattu ce pauvre imbécile, la toute première fois, il avait eu la sensation que c’était là une des tristes nécessités de son travail. Le plaisir de tuer n’était venu qu’après Julie, et c’était en fait moins un plaisir qu’une brève interruption de la souffrance.

Il tenait son arme baissée. Holden se mit à descendre la rampe, et il le suivit, en laissant le Terrien aller le premier. Holden marchait plus vite que lui, du pas athlétique de qui a vécu dans une grande variété de gravités. L’ex-policier avait l’impression qu’il l’avait rendu nerveux, et il le regrettait un peu. Cela n’avait pas été intentionnel, et il avait vraiment besoin d’embarquer sur le vaisseau d’Holden s’il voulait découvrir les secrets de Julie.

Et aussi pour ne pas mourir empoisonné par les radiations dans les quelques heures à venir. Un argument apparemment plus décisif qu’il ne l’était sans doute.

Holden avait atteint le bas de la rampe.

— Il nous faut redescendre, et il y a un tas de gardes entre nous et Naomi qui vont être vraiment étonnés de voir deux types marcher dans la mauvaise direction.

— C’est un problème, approuva Miller.

— Une idée ?

Il fronça les sourcils et considéra le revêtement de sol. Ceux d’Éros étaient différents de ceux de Cérès. En stratifié moucheté de taches dorées.

— Le métro ne sera probablement pas en service, dit-il. Et les rares rames qui circuleront peut-être seront en mode verrouillé et ne s’arrêteront qu’à la station enclose desservant les casinos. Donc ce n’est pas une solution.

— Le réseau des couloirs de la maintenance, encore une fois ?

— Si nous pouvons trouver le chemin entre les différents niveaux. Ça risque d’être un peu délicat, mais ce serait toujours mieux que de se frayer un chemin au milieu de deux douzaines d’abrutis en tenue renforcée. Combien de temps avant que notre amie décolle ?

Holden consulta son terminal. L’alerte à la radioactivité était toujours dans le rouge sombre. Miller se demanda quand le système se réinitialiserait.

— Dans un peu plus de deux heures. Ça ne devrait pas être un problème.

— Voyons ce que nous pouvons trouver, décida l’ex-policier.

Les couloirs proches des abris antiradiations – ces pièges mortels, les incubateurs – avaient été vidés. Ces larges passages destinés à la circulation des anciens matériels de construction qui avaient creusé Éros pour transformer l’astéroïde en habitation humaine baignaient dans une atmosphère irréelle, avec pour seul fond sonore l’écho des pas des deux hommes et le bourdonnement des recycleurs d’air. Miller n’avait pas remarqué à quel moment avait cessé la diffusion des messages d’urgence, mais leur absence ressemblait maintenant à un sinistre présage.

Sur Cérès il aurait su où aller, où menait chaque galerie, comment passer sans anicroche d’un niveau à un autre. Sur Éros, il ne pouvait se fier qu’à des suppositions à peine étayées. Mais c’était déjà ça.

Mais il se rendait compte que leur progression prenait trop longtemps, et pire encore – ils ne l’évoquaient pas, ni l’un ni l’autre ne parlait –, ils progressaient plus lentement que la normale. Ce n’était pas une constatation consciente, mais Miller sentait que leurs corps commençaient à subir les ravages des radiations. Et les choses n’iraient pas en s’améliorant.

— Quelque part dans les parages, il doit y avoir un puits de maintenance, annonça Holden.

— Nous pourrions aussi essayer la station du métro, répondit-il. Les rames se déplacent dans le vide, mais il y a peut-être des galeries de service qui courent parallèlement au tracé de la ligne.

— Vous ne pensez pas qu’ils les auraient condamnées pour faciliter leur grande rafle ?

— Mouais, probable…

— Eh ! Vous deux ! Qu’est-ce que vous foutez ici ?

Miller regarda par-dessus son épaule. Là-bas, deux hommes en tenue antiémeute leur faisaient des signes menaçants. Holden dit quelque chose de peu amène dans un murmure. L’ex-policier plissa les yeux.

Ces types étaient des amateurs, et l’esquisse d’une idée prit forme dans son esprit alors qu’il les regardait approcher. Il aurait été vain de les tuer et de prendre leur équipement. Rien de tel que des traces de brûlure et de sang pour révéler que quelque chose d’anormal était arrivé. Mais…

— Miller… souffla Holden, de l’inquiétude dans la voix.

— Ouais. Je sais.

— J’ai dit : Qu’est-ce que vous foutez ici ? répéta un des deux hommes de la sécurité. La station est bouclée. Tout le monde doit descendre au niveau des casinos ou se réfugier dans les abris antiradiations.

Holden sourit et prit un air inoffensif.

— Nous cherchions seulement un chemin pour… descendre au niveau des casinos. Nous ne sommes pas du coin, et…

Avec la crosse de son fusil, le plus proche des deux gardes lui assena un coup sec dans la cuisse. Le Terrien chancela, et Miller logea une balle dans le cou du garde, juste sous le bas de sa visière, pour aussitôt se retourner vers l’autre qui restait interdit, bouche ouverte.

— Tu es Mikey Ko, pas vrai ?

Le visage de l’homme devint livide, mais il hocha la tête. Avec un grognement, Holden retrouva son équilibre.

— Inspecteur Miller, dit l’ex-policier. Je t’ai serré sur Cérès il y a quatre ans à peu près. Tu t’étais laissé aller dans un bar. Chez Tappan, si je ne me trompe ? Tu avais frappé une fille avec une queue de billard, non ?

— Oh, euh, salut, fit l’homme avec un sourire crispé. Ouais, je me souviens de vous. Comment va, depuis ?

— Il y a eu des hauts et des bas. Tu sais comment c’est. Donne ton flingue au Terrien.

Le regard de Ko alla de Miller à Holden, revint au premier, et l’homme passa une langue rapide sur ses lèvres pendant qu’il évaluait ses chances. L’ex-policier eut un signe négatif de la tête.

— Sois sérieux. Donne-lui ton arme.

— Ouais, bien sûr. Aucun problème.

C’était le genre d’individu qui aurait pu tuer Julie, se dit Miller. Stupide. Sans aucune perspicacité. Né avec un instinct brut pour l’opportunisme, à la place d’une âme. La Julie imaginaire eut une moue de dégoût et de tristesse, et l’ex-flic se demanda si c’était pour le gangster qui tendait maintenant son fusil à Holden ou pour lui. Les deux, peut-être.

— C’est quoi, l’affaire, ici, Mikey ? dit-il.

— Comment ça ?

Le garde jouait la carte de l’incompréhension, comme s’ils se trouvaient en salle d’interrogatoire. Il gagnait du temps. Il reproduisait le scénario éculé du criminel et du flic, comme si tout cela avait encore un sens. Comme si tout n’avait pas changé. Miller fut surpris de sentir sa gorge se serrer. Il ne comprenait pas la signification de cette réaction.