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— Si nous avions assez de gens, dit Holden quand la fusillade cessa, nous pourrions y arriver. Ils ne pourraient pas nous tuer tous.

— C’est pour ça que les faux policiers patrouillent, répliqua Miller. Pour s’assurer que personne n’organise un rassemblement trop important. Ils n’arrêtent pas de remuer la soupe pour éviter les grumeaux.

— Mais s’il y avait une révolte contre eux, je veux dire une vraie révolte d’ampleur…

— Peut-être, admit l’ex-policier.

Quelque chose dans sa poitrine produisait un bruit sec qui n’existait pas une minute auparavant. Il prit une inspiration lente et profonde, et le bruit se fit entendre de nouveau. Il le sentait qui claquait au fond de son poumon gauche.

— Au moins Naomi s’est sauvée, dit Holden.

— Une bonne chose.

— Elle est étonnante. Elle ne mettra jamais Amos et Alex en danger si elle peut l’éviter. Je veux dire : elle est sérieuse. Professionnelle. Forte, vous comprenez ? Enfin, elle est vraiment, vraiment…

— Jolie, aussi, proposa Miller. De beaux cheveux. J’aime bien ses yeux.

— Non, ce n’est pas ce que je voulais dire…

— Vous ne la trouvez pas séduisante ?

— C’est mon officier en second. Elle est… Vous me comprenez…

— Hors catégorie.

Holden soupira.

— Elle s’en est tirée, vous croyez ? demanda-t-il.

— C’est presque certain.

Ils firent silence. Un des blessés du dernier assaut toussa, se releva et se traîna en boitant jusqu’au casino le plus proche. La blessure dans son flanc laissa derrière lui une traînée de sang. Le bhangra fut remplacé par un medley afro pop, avec une voix basse et sensuelle qui chantait dans une langue inconnue de Miller.

— Elle nous aura attendus, dit Holden. Vous ne pensez pas qu’elle nous aura attendus ?

— C’est presque certain, répondit le Miller mort-en-lui-même, sans particulièrement se soucier que ce soit là un mensonge.

Il y réfléchit pourtant un long moment, et se tourna pour regarder le Terrien dans les yeux.

— Eh, juste pour que vous sachiez : je ne suis pas au top de ma forme, en ce moment.

— Compris.

— Bon.

Les lumières orange indiquant la fermeture de la station de métro située à l’autre bout du niveau passèrent au vert. Intéressé, Miller se redressa un peu. Son dos était collant, mais c’était probablement seulement dû à la sueur. D’autres personnes avaient remarqué le changement. Comme un courant dans un réservoir d’eau, l’attention de la foule alentour délaissa les gardes bloquant l’accès au spatioport et se porta sur les portes en acier brossé de la station de métro.

Les panneaux métalliques s’ouvrirent, et les premiers zombies apparurent. Des hommes et des femmes aux yeux vitreux et à la musculature amollie franchirent le seuil en trébuchant. Pendant sa période de formation sur Cérès, Miller avait vu un documentaire consacré aux fièvres hémorragiques. Les mouvements de ces gens correspondaient aux symptômes décrits : apathiques, contraints, manquant de coordination. Comme des chiens atteints de la rage dont le cerveau avait déjà rendu les armes devant la maladie.

Il posa sa main sur l’épaule d’Holden.

— Eh, ça commence.

Un homme d’âge mûr portant la combinaison des services d’urgence alla à la rencontre des nouveaux venus. Il tendait les mains écartées devant lui, comme s’il pouvait les arrêter tous par ce seul geste. Le premier zombie de la meute posa sur lui un regard vide et vomit un jet d’une substance brune poisseuse très familière.

— Regardez, dit Holden.

— J’ai vu.

— Non, regardez !

Partout au niveau des casinos, les témoins lumineux du métro passaient du rouge au vert. Les portes s’ouvraient. Les gens se dirigeaient vers les rames ouvertes, mus par l’espoir insensé d’une fuite possible, et aussi pour s’éloigner des morts et des mortes qui continuaient d’avancer.

— Des zombies qui vomissent, dit Miller.

— Venus des abris antiradiations, ajouta Holden. Cette chose, cet organisme. Il se développe plus vite avec les radiations, n’est-ce pas ? C’est pourquoi cette fille – son nom m’échappe –, cette fille s’est comportée de façon aussi bizarre avec l’éclairage et la combinaison pressurisée.

— Elle s’appelle Julie. Et ouais, ces incubateurs étaient destinés à ça, fit Miller dans un soupir, avant d’envisager de se lever. Eh bien, nous ne mourrons peut-être pas empoisonnés par les radiations, finalement.

— Pourquoi ne pas simplement diffuser cette merde dans l’air ?

— L’anaérobie, vous vous souvenez ? Trop d’oxygène les tue.

L’homme des services d’urgence éclaboussé de vomissures essayait toujours de traiter les zombies vacillants comme si c’étaient des patients ordinaires. La substance brune maculait les vêtements des gens, les murs. Les portes de la rame de métro s’ouvrirent, et Miller vit une demi-douzaine de personnes s’engouffrer dans une voiture repeinte en brun. La foule était devenue indécise, son esprit collectif ayant dépassé le point de rupture devant ce spectacle.

Un policier antiémeute s’avança et se mit à arroser les zombies avec des rafales de son arme. Des plaies entrantes et sortantes que créaient les projectiles jaillirent des filaments noirs, et les morts-vivants s’écroulèrent. Miller ricana avant même de comprendre ce qu’il trouvait comique. Holden le regarda.

— Ils ne savaient pas, dit l’ex-flic. Les mercenaires en tenue d’intervention. Ils vont être retirés de la circulation. De la viande pour la machine, exactement comme nous tous.

Le Terrien laissa échapper un murmure d’approbation. Miller acquiesça, mais quelque chose de vague l’intriguait. Les gangsters venus de Cérès dans leur équipement volé étaient sacrifiés. Cela ne signifiait pas que tout le monde le serait. Il se pencha en avant.

L’arcade donnant sur le spatioport était toujours défendue par des mercenaires en position, l’arme prête. Ils semblaient même plus disciplinés maintenant qu’ils l’étaient auparavant. Miller observa le plus galonné, qui à l’arrière aboyait des ordres dans un micro.

Miller avait cru tout espoir illusoire. Il avait pensé avoir épuisé toutes ses chances, et subitement, elles ressurgissaient.

— Levez-vous, dit-il.

— Hein ?

— Levez-vous. Ils vont se replier.

— Qui ?

Miller désigna les mercenaires.

— Ils savaient. Regardez-les. Ils ne paniquent pas. Ils ne sont pas troublés. Ils attendaient que ça arrive.

— Et vous pensez qu’ils vont se replier ?

— Ils ne vont certainement pas traîner. Levez-vous.

Presque comme s’il s’était donné l’ordre à lui-même, Miller se mit debout en grognant sous l’effort. Ses genoux et sa colonne vertébrale lui faisaient un mal de chien. Le bruit dans son poumon empirait. Son ventre émit un gargouillement doux et complexe qui aurait été inquiétant en d’autres circonstances. Dès qu’il bougea il put prendre la mesure de l’étendue des dégâts corporels. Sa peau n’était pas encore douloureuse mais cela n’allait pas tarder, il le sentait, comme dans l’intervalle entre une brûlure grave et l’apparition des cloques qui en résultent. S’il survivait, il allait souffrir.

S’il survivait, tout allait le faire souffrir.

Son mort-en-lui-même cherchait à se manifester. La sensation de délivrance, de soulagement, de paix ressemblait à quelque chose de précieux qu’il avait perdu. Alors même que son esprit pareil à une machine s’affairant et jacassant continuait de tourner et de tourner encore pour avancer, le centre fragile et meurtri de son âme l’incitait à faire une pause, à se rasseoir, à laisser les problèmes s’éloigner.