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— Merde, je voudrais pouvoir appeler pour savoir si Naomi est encore là, dit-il en regardant l’écran de son terminal qui s’entêtait à afficher la mention clignotante Réseau indisponible.

— Chut, murmura l’ex-policier en se barrant les lèvres de l’index dressé.

Il désigna le couloir derrière eux, et Holden perçut un bruit de pas qui se rapprochaient.

— Les derniers invités à la fête, fit Miller.

Ils se retournèrent tous deux, pointèrent leurs armes et attendirent.

Un groupe de quatre hommes en tenue antiémeute apparut au coin. Ils n’avaient pas dégainé leurs pistolets, et deux d’entre eux avaient ôté leur casque. Apparemment ils n’étaient pas au courant des nouvelles hostilités. Holden pensait que Miller allait faire feu, mais rien ne se passa. Il se tourna vers lui. L’ex-flic le regarda dans les yeux.

— Je ne me suis pas habillé très chaudement, dit-il en s’excusant presque.

Holden mit une seconde à comprendre, mais il lui donna son accord en tirant le premier. Il visa à la tête un des hommes de la mafia sans casque puis continua de presser la détente jusqu’à ce que son arme soit vide. Miller fit feu juste après lui et continua lui aussi tant qu’il lui restait des balles. Quand tout fut fini, les quatre gangsters gisaient au sol, face contre terre. Holden laissa échapper un long souffle qui se termina en soupir et se rassit.

Miller remplaça son chargeur et alla examiner leurs victimes. Il les toucha de la pointe de son pied. Holden ne prit pas la peine de recharger. Il en avait assez des fusillades. Il glissa le pistolet vide dans sa poche et se leva pour rejoindre l’ex-flic. Il se baissa et entreprit de déboucler les attaches du gilet pare-balles le moins endommagé. L’air perplexe, Miller le regarda faire sans l’aider.

— Nous allons tenter notre chance à la course, dit le Terrien. Si nous portons ça, nous réussirons peut-être.

Il ravala le goût de vomi et de sang qui montait dans sa gorge.

— Peut-être, oui, dit Miller.

À son tour il mit un genou au sol et ôta son gilet à un autre cadavre.

Holden passa celui qu’il venait de s’approprier, et tout ce temps il s’efforça de croire que la traînée rose dans la partie dorsale n’était absolument pas une partie de la cervelle de l’homme. Ses doigts étaient gourds, et il eut les plus grandes difficultés à défaire les attaches. Il envisagea de prendre aussi les jambières, mais il y renonça très vite. Il courrait plus vite sans elles. Miller avait fini d’ajuster son gilet pare-balles, et il ramassa un des casques intacts. Holden en trouva un avec une simple trace de balle et le coiffa. L’intérieur était légèrement graisseux, et il fut heureux d’avoir perdu tout odorat. Son propriétaire précédent ne devait pas prendre de bain très souvent.

Miller tripota le côté de son casque un moment et finit par établir la liaison radio. Sa voix résonna en écho dans les haut-parleurs intégrés du casque un quart de seconde après qu’il eut dit :

— Eh, nous arrivons dans le couloir ! Ne tirez pas ! Nous venons vous rejoindre !

Il étouffa le micro avec le pouce et ajouta, à l’attention d’Holden uniquement :

— Bon, peut-être qu’au moins un des deux camps ne nous arrosera pas.

Ils repartirent vers l’intersection et s’arrêtèrent à dix mètres d’elle. Holden compta “trois, deux, un” et s’élança de toute la vitesse dont il était capable. Mais sa course était d’une lenteur décourageante, et il avait l’impression que ses jambes étaient gainées de plomb. Comme s’il courait dans l’eau. Comme s’il était dans un cauchemar. Il entendait Miller juste derrière lui, ses chaussures qui claquaient sur le béton et son souffle court.

Puis il n’y eut plus que le tonnerre de la fusillade. Il était incapable de dire si le subterfuge de Miller avait fonctionné, ni d’où venaient les tirs, mais ceux-ci étaient constants et assourdissants, et ils avaient commencé dès son apparition dans l’intersection. À trois mètres de l’autre côté, il baissa la tête et bondit en avant. Dans la gravité moindre d’Éros, il parut voler, et il était presque à couvert quand une rafale le cueillit en plein gilet, à hauteur des côtes, et le rejeta contre le mur du couloir avec une violence qui aurait pu lui briser la colonne vertébrale. Il se traîna à l’abri sur le reste de la distance tandis que les balles continuaient de ricocher autour de ses jambes. L’une d’elles lui transperça la partie charnue du mollet.

Miller trébucha sur lui, roula au sol hors de l’intersection et s’immobilisa. Holden rampa jusqu’à lui.

— Toujours en vie ?

— Ouais, fit l’ex-inspecteur hors d’haleine. J’ai pris une balle. Mon bras est cassé. On bouge.

Le Terrien se remit debout, et sa jambe gauche lui donna l’impression d’être la proie des flammes quand le muscle de son mollet se contracta autour de la blessure béante. Il aida Miller à se relever et s’appuya sur lui tandis qu’ils se traînaient tant bien que mal en direction de l’ascenseur. Le bras gauche de son compagnon pendait mollement à son côté, et du sang coulait sur sa main et gouttait sur le sol.

Il enfonça la touche d’appel, et ils se soutinrent mutuellement en attendant la cabine. Il commença à chantonner le thème de Misko et Marisko, et après quelques secondes Miller l’imita.

Une fois dans la cabine, le Terrien choisit le bouton correspondant au point d’accostage du Rossinante, puis il guetta le moment où l’ascenseur s’ouvrirait sur le panneau nu et gris d’un sas sans vaisseau derrière. Alors il aurait enfin le droit de s’allonger sur le sol et de mourir. Il était impatient qu’arrive cet instant, quand son épuisement prendrait fin dans un soulagement qui l’aurait étonné s’il avait encore été capable d’étonnement. Miller le lâcha, colla son dos contre la paroi de la cabine et glissa au sol, en laissant sur le métal luisant une traînée de sang. Il s’avachit sur le plancher et ferma les yeux. On aurait presque pu croire qu’il dormait. Holden vit sa poitrine se soulever et s’abaisser au rythme d’une respiration heurtée qui peu à peu s’apaisa et se fit plus légère.

Le Terrien l’enviait, mais il devait contempler le panneau fermé de ce sas avant de pouvoir s’étendre sur le sol à son tour. Il commençait à éprouver un ressentiment diffus envers l’ascenseur qui prenait si longtemps pour arriver à destination.

La cabine s’immobilisa et ses portes coulissèrent, accompagnées d’un tintement joyeux.

Amos se tenait dans le sas, face à lui, un fusil d’assaut dans chaque main et deux cartouchières à chargeurs passées sur les épaules. Du regard il détailla Holden de haut en bas, n’accorda qu’une seconde à Miller et reporta son attention sur le Terrien.

— Bordel, chef, vous avez une vraie tronche de cadavre.

32

Miller

Miller retrouva ses esprits peu à peu, et non sans plusieurs ratés. Dans ses rêves, il assemblait un puzzle dont les pièces changeaient constamment de forme, et chaque fois qu’il était sur le point de le terminer le rêve recommençait. La première chose à s’imposer à lui avec certitude fut la douleur au creux de ses reins, la lourdeur de ses bras et de ses jambes, puis la nausée. Plus il se rapprochait de la conscience, plus il essayait de différer son réveil. Des doigts imaginaires s’efforçaient de compléter le puzzle, et avant qu’il ait placé toutes les pièces ses yeux s’ouvrirent.

Il était incapable de bouger la tête. Quelque chose était enfoncé dans son cou : un épais faisceau de tubes noirs qui sortaient de lui et dépassaient les limites de son champ de vision. Il tenta de lever les bras, de repousser cette chose envahissante, vampirique, mais il était impuissant.