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— C’était la technicienne en communications. Celle qui était…

— Bâtie comme un frigo ? Avec un visage de bulldog en bas âge ?

— Je me souviens d’elle.

— Elle était dingue de vous. Elle a pleuré toutes les nuits pendant cette mission. Elle n’a pas joué parce qu’elle aimait le poker. Elle voulait seulement respirer un peu le même air que vous, et tout le monde le savait. Même vous. Et toute cette nuit-là, je vous ai observés, tous les deux, et pas une fois vous ne l’avez encouragée. Vous ne lui avez donné aucune raison de penser qu’elle avait la moindre chance avec vous. Et vous l’avez quand même traitée avec respect. Et pour la première fois, je me suis prise à penser que vous étiez peut-être quelqu’un de bien, et pour la première fois j’ai eu envie d’être celle qui partagerait votre couchette à la fin du quart.

— À cause de Trask ?

— À cause de ça, et parce que vous avez un cul superbe, monsieur. Le fait est que nous avons travaillé côte à côte pendant plus de quatre années. Et je serais allée vers vous n’importe quand, si vous me l’aviez proposé.

— Je ne savais pas, fit-il d’une voix rauque.

— Vous n’avez pas posé la question. Vous aviez toujours des vues sur quelqu’un d’autre. Et, pour être franche, je pense que les Ceinturiennes vous dégoûtaient, tout simplement. Jusqu’au Cant… Jusqu’à ce qu’il n’y ait plus que nous cinq. Là, j’ai remarqué que vous me regardiez. Je sais très précisément ce que ce genre de regards veut dire, parce que je l’ai pratiqué pendant quatre ans sans succès. Mais je n’ai attiré votre attention que lorsque je me suis trouvée être la seule femme à bord. Et ce n’est pas suffisant pour moi.

— Je ne sais pas…

— Non, monsieur, vous ne savez pas. C’est exactement ce que je vous explique. Je vous ai vu séduire quantité de femmes, et je connais votre technique. Vous faites une fixation sur une femme, elle commence à vous exciter. Alors vous vous persuadez qu’il existe une sorte de lien spécial entre vous deux, et quand vous en arrivez à le croire, en général elle pense aussi que c’est vrai. Ensuite vous couchez ensemble pendant quelque temps, et le lien s’effiloche peu à peu. L’un de vous commence à parler de professionnalisme, de limites à ne pas dépasser, et se met à s’inquiéter de ce que le reste de l’équipage va penser, et l’affaire se termine comme ça, sans esclandre. Une fois que c’est fini, la femme vous apprécie toujours. Elles ont toutes réagi de cette manière. Vous vous débrouillez tellement bien qu’elles n’ont même pas envie de vous détester pour ce que vous leur avez fait.

— Ce n’est pas vrai.

— C’est vrai. Et jusqu’à ce que vous compreniez que vous n’êtes pas obligé de tomber amoureux de toutes les femmes que vous voulez culbuter, je ne veux pas savoir si vous êtes amoureux de moi ou si vous voulez juste me sauter. Et je ne coucherai pas avec vous tant que vous n’aurez pas trouvé laquelle de ces deux réponses est la bonne. Et les probabilités ne penchent pas en faveur de l’amour.

— Je voulais juste…

Elle l’interrompit aussitôt :

— Si vous voulez coucher avec moi, soyez honnête. Prouvez-moi que vous me respectez assez pour l’être. D’accord ?

Miller toussa. Ce n’était pas intentionnel, il n’avait même pas été conscient que cela allait se produire. Son ventre se contracta, sa gorge se serra et il fut pris d’une toux grasse. Dès qu’elle eut commencé il ne put l’arrêter. Il se redressa un peu dans son lit, les yeux larmoyant sous l’effort. Holden était étendu sur le sien, et Naomi était assise sur le suivant, souriante, comme s’il n’y avait rien eu à entendre. Les moniteurs d’Holden montraient un rythme cardiaque et une pression artérielle en élévation. Miller espérait seulement que ce pauvre imbécile n’avait pas eu une érection alors que la sonde était toujours dans son pénis.

— Salut, inspecteur, dit Naomi. Comment vous sentez-vous ?

— Salut. J’ai connu pire, affirma-t-il avant d’ajouter, un moment plus tard : Non. Je n’ai pas connu pire. Mais ça va. C’était vraiment grave ?

— Vous étiez morts, tous les deux, répondit-elle. Sérieusement, nous avons dû annuler vos filtres de triage plus d’une fois. Le système d’expertise ne cessait de vous déclarer en phase terminale et de vous bourrer de morphine.

Elle avait parlé d’un ton léger, mais il la croyait. Il essaya de se mettre en position assise. Son corps lui paraissait toujours terriblement pesant, mais il ne savait pas si c’était à cause de sa faiblesse ou de la poussée du vaisseau. Mâchoires crispées, Holden se tenait tranquille. Miller feignit de ne rien remarquer.

— Estimations à long terme ?

— Vous devrez tous les deux subir des examens de dépistage du cancer chaque mois jusqu’à la fin de votre vie. Le capitaine a un implant là où sa thyroïde se trouvait, puisque sa glande était quasiment cuite. Nous avons dû vous ôter près de quarante centimètres d’intestins qui n’arrêtaient pas de saigner. Vous allez avoir des contusions pour le moindre choc, et si vous désirez des enfants j’espère que vous avez mis un peu de sperme en sûreté dans une banque quelque part, parce que tous vos petits soldats ont deux têtes, désormais.

Miller rit, et ses moniteurs clignotèrent en mode d’alerte avant de revenir à la normale.

— À vous entendre, on croirait que vous avez suivi une formation d’infirmière, dit-il.

— Non. Je suis ingénieur. Mais j’ai lu les tirages papier chaque jour, donc j’ai assimilé une partie du jargon. J’aimerais tant que Shed soit encore là…, dit-elle, et la tristesse revint dans sa voix.

C’était la deuxième fois que quelqu’un mentionnait Shed. Il y avait quelque chose là, mais Miller laissa tomber le sujet.

— Je vais perdre mes cheveux ? demanda-t-il.

— Peut-être. Le système vous a injecté un tas de drogues censées éviter ce désagrément, mais si les follicules meurent, les cheveux meurent.

— Une chance que j’aie toujours mon chapeau. Et pour Éros ?

Le ton faussement enjoué de la jeune femme lui fit défaut, et ce fut Holden qui répondit, en se tournant sur son lit pour regarder Miller :

— La station est morte. Je pense que nous avons été le dernier vaisseau à la quitter. Personne ne répond aux appels, et tous les systèmes automatiques se sont mis en blocage de quarantaine.

— Une opération de secours ? demanda Miller.

Il se remit à tousser. Sa gorge était toujours douloureuse.

— Ça n’arrivera pas, dit Naomi. Il y avait un million et demi de personnes sur Éros. Personne ne possède les ressources suffisantes pour mettre sur pied une opération d’une telle ampleur.

— Après tout, il y a une guerre en train, fit Holden.

* * *

Le système du vaisseau baissait l’éclairage pour la nuit. Miller était étendu sur son lit. Le système d’expertise avait fait passer son traitement dans une nouvelle phase, et depuis trois heures l’ancien inspecteur oscillait entre des poussées de fièvre intenses et des frissons qui le faisaient claquer des dents. Il avait mal aux ongles des doigts et des orteils, ainsi qu’aux dents. Le sommeil n’était pas envisageable, aussi gisait-il dans la pénombre, en essayant de se ressaisir.

Il se demandait ce que ses anciens équipiers auraient pensé de son comportement sur Éros. Havelock. Muss. Il s’efforça de les imaginer à sa place. Il avait tué des gens, et sans sourciller. La station s’était transformée en champ de mort, et quand les personnes dépositaires de l’autorité voulaient vous voir mort, la loi ne s’appliquait plus. Et certains des imbéciles ayant péri là-bas étaient ceux qui avaient tué Julie.