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Il avait donc tué par vengeance. Était-il arrivé aussi bas ? Cette pensée l’attristait. Il essaya d’imaginer Julie assise auprès de lui comme Naomi l’avait été à côté d’Holden. Ce fut comme si elle guettait son invitation. Julie Mao, qu’il n’avait jamais réellement connue. Elle leva une main en guise de salut.

— Eh, fit Holden, et Julie disparut. Vous êtes réveillé ?

— Ouais. Je n’arrive pas à dormir.

— Moi non plus.

Ils restèrent silencieux un moment. Le système d’expertise bourdonnait. Le bras gauche de Miller le démangeait sous le plâtre, tandis que les tissus subissaient une nouvelle phase de repousse forcée.

— Vous allez bien ? demanda-t-il.

— Pourquoi je n’irais pas bien ? rétorqua sèchement le Terrien.

— Vous avez tué ce type. À la station. Vous l’avez abattu. Je sais bien que vous aviez déjà tiré sur des gens avant ça. À l’hôtel. Mais là, vous lui avez tiré en plein visage.

— Ouais. Je l’ai fait.

— Vous supportez ?

— Bien sûr, répondit Holden, un peu trop vite.

Les recycleurs d’air émettaient un bruit de fond continu, et le bracelet de la tension artérielle serrait le bras valide de Miller comme une main. Holden ne parlait pas, et quand il plissa les yeux l’ex-inspecteur vit une élévation de sa tension artérielle et de son activité cérébrale.

— Ils nous faisaient toujours prendre un congé, dit-il.

— Quoi ?

— Quand nous avions descendu quelqu’un. Que la personne y soit passée ou pas, ils nous forçaient toujours à prendre un congé. On devait rendre son arme. Aller parler au psy de service.

— Bureaucrates, lâcha Holden.

— Ils avaient des arguments solides, dit Miller. Tirer sur quelqu’un, ce n’est pas anodin. Tuer quelqu’un… c’est encore pire. Peu importe que la personne l’ait cherché ou que vous n’ayez pas eu d’autre choix. Bon, si, ça fait peut-être une petite différence. Mais ça ne résout pas le problème.

— On dirait pourtant que vous vous en êtes remis, vous. Non ?

— Peut-être. Écoutez, tout ce que je vous ai dit sur la manière de tuer quelqu’un, vous vous souvenez ? Sur le fait que les laisser survivre n’était pas leur rendre service ? Je suis désolé de ce qui est arrivé.

— Vous pensez que vous vous êtes trompé ?

— Non. Mais je suis quand même désolé de ce qui est arrivé.

— Ah, d’accord.

— Bordel. Écoutez, c’est une bonne chose que ça vous turlupine, voilà ce que je veux vous faire comprendre. C’est une bonne chose que vous n’arrêtiez pas de revoir ou d’entendre ce qui s’est passé. Cette part de vous-même qui est hantée par ça ? C’est comme ça que ça doit être.

Holden ne dit mot pendant un long moment, et quand il prit la parole, ce fut d’une voix aussi terne que la pierre :

— J’avais tué des gens avant, vous savez. Mais c’étaient des points lumineux sur un écran radar. Je…

— Ce n’est pas la même chose, hein ?

— Non, ce n’est pas la même chose. Est-ce que ça finit par s’effacer ?

Parfois, songea Miller.

— Non, répondit-il. Pas si vous avez encore une âme.

— Bon. Merci.

— Autre chose…

— Ouais ?

— Je sais que ça ne me regarde pas, mais je n’aimerais vraiment pas qu’elle vous repousse. Bon, vous ne comprenez rien au sexe, à l’amour et aux femmes. Ce qui veut juste dire que vous êtes né avec une queue entre les jambes. Et cette fille ? Naomi ? Elle donne l’impression de mériter qu’on s’accroche un peu, vous ne croyez pas ?

— Ouais, fit Holden. Est-ce que nous pourrions ne plus jamais aborder ce sujet ?

— Bien sûr.

Le vaisseau craquait et la gravité se déplaça d’un degré sur la droite de Miller. Correction de trajectoire. Rien d’intéressant. Il ferma les yeux et tenta de faire venir le sommeil. Son esprit était plein de morts, de Julie, d’amour et de sexe. Holden avait dit quelque chose d’important concernant la guerre, mais il ne parvenait pas à assembler les différentes pièces. Elles ne cessaient de changer. Avec un soupir, il modifia sa position. Il écrasait maintenant un des tubes de drainage, et il dut se replacer comme il était auparavant pour éviter le déclenchement d’une alarme.

Quand le bracelet mesurant la pression artérielle se rappela à son bon souvenir, ce fut parce que Julie le tenait dans ses bras, si proche qu’elle lui effleurait l’oreille de ses lèvres. Il ouvrit les yeux, et son esprit vit en même temps la fille imaginaire et les moniteurs qu’elle aurait dû masquer si elle avait été réelle.

Je t’aime aussi, disait-elle, et je vais prendre soin de toi.

Il sourit en voyant les chiffres augmenter comme son cœur s’emballait.

33

Holden

Pendant les cinq jours suivants, ils restèrent alités à l’infirmerie pendant que le système solaire s’enflammait autour d’eux. Les explications sur la fin d’Éros allaient d’un effondrement écologique massif provoqué par un manque d’approvisionnement dû à la guerre, à une attaque masquée des Martiens ou bien à un accident survenu dans un laboratoire de la Ceinture concevant des armes biologiques secrètes. D’après les analyses menées par les planètes intérieures, l’APE et les terroristes de leur acabit avaient fini par montrer le danger qu’ils constituaient pour les populations civiles innocentes. La Ceinture accusait Mars, ou les équipes de maintenance d’Éros, voire l’APE, de ne rien avoir fait pour empêcher la catastrophe.

Et puis une escadre de frégates martiennes imposa un blocus à Pallas, une révolte sur Ganymède se solda par seize morts, et le nouveau gouvernement de Cérès annonça que tous les vaisseaux sous pavillon martien présents sur la station étaient réquisitionnés. Menaces et accusations se multiplièrent, toutes réglées sur le rythme des tambours de guerre humains qui battaient en fond sonore. Éros avait été une tragédie, un crime, mais c’était terminé, et de nouveaux dangers apparaissaient dans tous les recoins de l’espace humain.

Holden alluma les infos, gigota dans son lit et tenta de réveiller Miller rien qu’en le regardant fixement, ce qui ne marcha pas. L’exposition massive aux radiations ne lui avait pas conféré de superpouvoirs. Son voisin se mit à ronfler.

Il s’assit et testa la gravité. Moins d’un quart de g. Alex n’était pas pressé, donc. Naomi leur laissait le temps de se remettre avant leur arrivée sur le mystérieux astéroïde magique de Julie.

Merde.

Naomi.

Ses derniers passages à l’infirmerie avaient été étranges. Elle n’abordait jamais le sujet de son geste romantique raté, mais il sentait maintenant une barrière dressée entre eux, et cela l’emplissait de regrets. Et chaque fois qu’elle quittait la pièce, Miller détournait le regard de lui et soupirait, ce qui ne faisait rien pour arranger les choses.

Mais il ne pouvait pas éviter éternellement la jeune femme, aussi idiot qu’il se sente. Il balança ses pieds par-dessus le bord du lit et les pressa sur le sol. Ses jambes étaient affaiblies, mais pas en coton. La plante de ses pieds était douloureuse, nettement moins cependant qu’à peu près tout le reste de son corps. Il se leva, en s’appuyant d’une main sur le lit, et mit à l’épreuve son sens de l’équilibre. Il vacilla mais resta debout. Deux pas lui prouvèrent qu’il était possible de marcher dans cette pesanteur réduite. La perfusion tirait sur son bras. Il n’avait plus qu’une poche d’un liquide bleu clair quelconque. Il aurait été bien incapable de dire de quoi il s’agissait, mais Naomi ayant affirmé qu’il avait frôlé la mort, il pensa que ce traitement devait être important. Il ôta la poche du crochet mural et la tint dans sa main gauche. La pièce sentait l’antiseptique et la diarrhée. Il n’était pas mécontent d’en sortir.