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Miller fit défiler les enregistrements. De quelques heures, et de quelques heures de plus. Le vaisseau était en mouvement, et grâce aux effets de la poussée les prisonniers étaient assis aux tables, au lieu de flotter auprès d’elles. Il passa à d’autres parties du vaisseau. Le compartiment où se trouvait Julie était toujours fermé. S’il n’avait pas été au courant, il aurait pu la croire morte.

Il fit encore jouer l’avance rapide.

Cent trente-deux heures plus tard, l’équipage du Scopuli reprit du poil de la bête. Miller détecta le changement dans leur attitude avant même que la violence se déchaîne. Il avait déjà vu des prisonniers se révolter, et ils avaient ce même air à la fois maussade et excité. L’enregistrement montrait le pan de cloison où il avait remarqué les impacts de balle. Ils n’étaient pas encore présents. Ils ne tarderaient pas. Un homme apparut à l’image. Il apportait un plateau chargé de rations.

Nous y voilà, pensa Miller.

L’affrontement fut bref, et brutal. Les prisonniers n’avaient pas la moindre chance. Sous le regard attentif de Miller, l’un d’eux, un homme aux cheveux blonds, fut traîné jusqu’au sas et expédié dans le vide interstellaire. Les autres se retrouvèrent prestement maîtrisés et ligotés. Certains sanglotèrent. D’autres crièrent. Miller fit avancer l’enregistrement.

Ce devait être là, quelque part. Le moment où la chose – quelle que soit sa nature – s’était répandue. Mais soit cela s’était produit dans un quartier non équipé de caméras, soit c’était là depuis le début. Presque exactement cent soixante heures après que Julie eut été enfermée dans son compartiment, un homme en pull blanc, les yeux vitreux et le pas hésitant, sortit en titubant des postes d’équipage et vomit sur un des gardes.

— Bordel ! s’écria Amos.

Miller avait bondi hors de son siège avant même de savoir ce qui arrivait. Holden se leva lui aussi.

— Amos ? dit le Terrien. Parlez-moi.

— Attendez, fit le mécanicien plus calmement. Ouais, c’est bon, capitaine. C’est juste que ces enfoirés ont retiré une partie de l’étui de protection du réacteur. Il est en état, mais je me suis pris quelques rads de plus que ce que j’aurais dû.

— Retournez sur le Rossi, lui ordonna Holden.

Miller prit appui contre une cloison et donna une petite poussée pour redescendre vers les postes de contrôle.

— Il n’y a pas de mal, monsieur. Ce n’est pas comme si j’allais me mettre à pisser le sang ou un autre truc aussi marrant, dit Amos. J’ai été surpris plus qu’autre chose. Si je commence à avoir des démangeaisons, je rentre, mais je peux nous créer un peu d’atmosphère en bossant encore un peu dans la salle des machines. Accordez-moi juste quelques minutes.

Miller observa le visage d’Holden, qui hésitait. Il pouvait donner un ordre, ou laisser faire.

— D’accord, Amos. Mais si vous commencez à vous sentir étourdi, ou tout autre symptôme – n’importe quoi, je suis bien clair ? –, vous filez immédiatement à l’infirmerie.

— Compris, dit le mécanicien.

— Alex, gardez un œil sur les données bio-méd d’Amos qui sont transmises. Faites un signalement si vous repérez un problème, ajouta Holden sur le canal général.

— Compris, dit Alex de sa voix traînante.

— Vous avez trouvé quelque chose ? demanda le Terrien à Miller sur leur circuit restreint.

— Rien d’inattendu. Et vous ?

— Justement, oui. Regardez ça.

Miller se propulsa vers l’écran sur lequel Holden travaillait. Le capitaine se rencogna dans son siège et se mit à faire défiler les données.

— Je me suis dit que quelqu’un devait bien être parti en dernier, expliqua-t-il. Je veux dire : il devait bien y en avoir un qui a été moins malade que les autres quand tout s’est déclenché. Alors j’ai passé au crible le répertoire pour savoir quelle activité était en train avant que le système tombe en rideau.

— Et ?

— Il y a pas mal d’activité survenue deux jours avant l’arrêt du système, et puis plus rien pendant deux jours entiers. Et ensuite un regain modéré. Beaucoup d’accès à des dossiers et des diagnostics système. Ensuite quelqu’un a piraté les codes de neutralisation pour supprimer l’atmosphère.

— C’était Julie, alors.

— C’est ce que j’ai pensé, mais un des enregistrements qu’elle a consultés était… Merde, où il est passé ? Il était juste… Ah, le voilà. Regardez donc ça.

L’écran clignota, les réglages passèrent en mode automatique et un emblème vert et or en haute résolution apparut. Le logo de Protogène, avec le slogan Le premier, le plus rapide, le plus avancé.

— Quelle est la notation temporelle figurant sur le dossier ? demanda Miller.

— L’original a été créé il y a deux ans à peu près, répondit Holden. Cette copie a été gravée il y a huit mois.

L’emblème s’effaça progressivement, et un homme au visage affable assis derrière un bureau le remplaça. Il avait les cheveux noirs avec une touche de gris aux tempes, et des lèvres qui semblaient habituées à sourire. Il salua la caméra d’un petit mouvement de tête, mais son sourire n’atteignit pas ses yeux, qui restèrent aussi froids que ceux d’un squale.

Sociopathe, pensa Miller.

Les lèvres de l’inconnu remuèrent sans produire le moindre son. Avec un juron, Holden enfonça une touche pour transmettre la piste audio au système comm de leurs combinaisons. Il remit la vidéo au départ et la fit redémarrer.

— Monsieur Dresden, disait l’homme, j’aimerais vous remercier, vous et les membres du conseil, de prendre le temps d’examiner cette information. Votre soutien, autant financier que dans d’autres domaines, s’est révélé absolument essentiel aux découvertes incroyables que nous avons connues avec ce projet. Si mon équipe a été en pointe, pour ainsi dire, c’est l’engagement sans faille de Protogène pour l’avancement de la science qui a rendu possible ce travail.

“Messieurs, je serai direct. Les résultats obtenus avec la protomolécule de Phœbé ont dépassé toutes nos espérances. Je pense que cela représente une percée technologique qui va véritablement changer les règles du jeu. Je sais que ce genre d’exercice de présentation devant une société est propice aux hyperboles. Je vous prie de comprendre que j’ai réfléchi à ce sujet avec beaucoup de soin, et que mon propos est parfaitement calculé : Protogène peut devenir l’entité la plus importante et la plus puissante dans l’histoire de la race humaine. Mais pour cela il faudra de l’initiative, de l’ambition et des actes audacieux.

— Il parle de tuer des gens, dit Miller.

— Vous avez déjà visionné cet enregistrement ?

L’ex-policier secoua la tête négativement. L’image changea. L’homme disparut, et une animation le remplaça. Une représentation graphique du système solaire. Les orbites figurées par de larges taches colorées montraient le plan de l’écliptique. La caméra virtuelle s’éloigna en décrivant une courbe des planètes intérieures, là où M. Dresden et les membres du conseil se trouvaient très certainement, et se braqua sur les géantes gazeuses.

— Pour les membres du conseil qui ne seraient pas familiarisés avec le projet, il y a huit ans, le premier débarquement humain s’est effectué sur Phœbé, dit le sociopathe.

L’animation zooma sur Saturne, les anneaux et la planète se précipitant vers l’écran dans le triomphe du graphisme sur l’exactitude scientifique.

— Petite lune glacée, Phœbé était l’objet d’un projet d’exploitation de ses richesses en eau, à l’instar des anneaux. Le gouvernement martien a commandé une étude scientifique plus pour parachever une démarche purement bureaucratique que dans l’espoir de gains économiques. Des échantillons du cœur de l’astéroïde ont été prélevés, et lorsque sont apparues des anomalies affectant les silicates, Protogène a été approché pour co-sponsoriser un centre de recherches à long terme.