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— Ce n’est pas à toi qu’il s’adressait, intervint Eiadh. C’est à elle. À Surâme.

— Surâme, je t’ai remis ma confiance ! Délivre-moi des mains assassines de mes frères ! Donne-moi la force de rompre ces cordons qui me lient les mains ! »

Que virent les autres ? Luet ne put que le conjecturer. Mais ce qu’elle vit, elle, ce fut Nafai qui extirpait sans mal ses mains des cordons, l’une après l’autre, puis qui se redressait sans beaucoup de grâce. Les autres assistèrent sûrement au spectacle qu’ils redoutaient le plus : Nafai faisant éclater ses liens, puis se dressant d’un bond majestueux et menaçant. Nul doute que Surâme focalisait son influence sur le groupe, sans toutefois la gaspiller sur les trois personnes qui suivaient déjà ses desseins : Luet, Hushidh et dame Rasa voyaient la réalité. Les autres avaient dans les yeux une scène qui, pour n’être pas réelle, n’en était pas moins chargée de vérité : Nafai était effectivement investi de la puissance de Surâme, il était l’élu, le véritable chef.

« Vous ne tournerez ces chameaux vers aucune cité connue de l’humanité ! » cria-t-il. Sa voix était dure et tendue, car il voulait se faire entendre par-delà le vaste espace qui le séparait des animaux les plus éloignés, où Vas qui aidait Sevet à se mettre en selle s’était soudain interrompu. « Ta révolte contre Surâme s’achève ici, Elemak ! Mais Surâme est plus miséricordieux que toi : il veut bien te laisser la vie – à condition que tu jures de ne plus jamais lever la main contre moi. À condition que tu promettes de mener notre voyage à son terme, de rejoindre Père, puis de poursuivre jusqu’au monde que Surâme a préparé pour nous !

— C’est encore un tour de passe-passe ! s’écria Elemak.

— Le seul tour, c’est celui que tu t’es joué à toi-même. Tu as cru qu’en m’attachant, tu entravais aussi Surâme, mais tu te trompais. Tu aurais pu conduire l’expédition si tu t’étais montré obéissant et avisé, mais tu débordais de soif du pouvoir et de jalousie ; aujourd’hui il ne te reste plus qu’à te plier aux ordres de Surâme ou à mourir.

— Ne me menace pas ! s’exclama Elemak. C’est moi qui tiens le pulsant, pauvre imbécile, et tu es sous le coup d’une condamnation à mort !

— Tue-le ! hurla Mebbekew. Tue-le tout de suite ou tu t’en mordras les doigts pour toujours !

— Quel courage tu as, dit Hushidh, de pousser ton frère à exécuter ce que tu n’aurais jamais le cran de faire toi-même, mon petit Meb ! » Cela d’un ton si cinglant qu’il recula comme s’il avait reçu une gifle.

Mais Elemak, lui ne battit pas en retraite. Au contraire, il s’avança, le pulsant au poing. Il était terrifié, Luet s’en rendait bien compte – convaincu que Nafai avait accompli un miracle en rompant si aisément ses liens – mais terrifié ou non, il était résolu à tuer son benjamin, et Surâme n’y pouvait rien. Elle n’avait pas le pouvoir de détourner Elemak de son dessein inébranlable.

« Elya, non ! » Le cri avait jailli des lèvres d’Eiadh. Elle se précipita, s’accrocha à lui, tira sur la main qui tenait le pulsant. « Pour l’amour de moi ! dit-elle. Si tu le touches, Elya, Surâme va te tuer, tu ne le comprends donc pas ? C’est la loi du désert – tu l’as dit toi-même ! La rébellion, c’est la mort ! Ne te révolte pas contre Surâme !

— Ce n’est pas Surâme qui est devant moi », répliqua Elemak. Mais la peur et l’incertitude faisaient trembler sa voix – et sans nul doute, Surâme profitait de la moindre hésitation présente dans son cœur pour l’amplifier tandis qu’Eiadh l’implorait. Il ironisa : « C’est mon péteux de petit frère !

— C’est toi qui aurais dû te trouver à ma place, dit Nafai. C’est toi qui aurais dû entraîner le groupe à la suite de Surâme. Il ne m’aurait jamais choisi, si seulement tu avais bien voulu lui obéir.

— Écoute-moi, intervint Eiadh, et ne l’écoute pas, lui ! Tu es le père de l’enfant que je porte – car j’en porte peut-être un, qui sait ? Si tu fais du mal à Nafai, si tu lui désobéis, tu mourras, et mon enfant n’aura pas de père ! »

Luet craignit d’abord qu’Elemak n’interprétât les suppliques d’Eiadh comme une preuve supplémentaire de son amour pour Nafai. Mais non ; elle l’implorait de sauver sa propre vie en ne s’attaquant pas à Nafai. C’était sans ambiguïté la preuve qu’elle aimait Elemak, car c’était lui qu’elle cherchait à protéger.

Vas s’était à son tour approché d’Elemak ; il lui posa la main sur l’épaule. « Elya, ne le tue pas ! Nous ne retournerons pas à la cité – personne, personne ! » Il s’adressa au reste du groupe. « Nous le promettons ! Nous ne demandons pas mieux que d’aller rejoindre Volemak !

— Nous avons vu la puissance de Surâme, dit Eiadh. Personne n’aurait demandé à retourner à la cité si nous avions compris. Je t’en prie, nous sommes tous d’accord. Nous avons tous le même but, maintenant, il n’y a plus de division. Je t’en prie, Elemak ! Ne fais pas de moi une veuve à cause de tout ceci. Je serai ta femme pour toujours si tu renonces à le tuer. Mais que deviendrai-je si tu meurs en te rebellant contre Surâme ?

— Tu restes notre guide, renchérit dame Rasa. Rien n’a changé de ce côté-là. Rien que notre destination, et tu as dit toi-même que ce n’était pas à toi seul d’en décider. Il est clair à présent que le choix n’appartient à aucun d’entre nous, mais à Surâme seule. »

Eiadh éclata en larmes, des larmes sincères et brûlantes. « Oh, Elya, mon époux, pourquoi me détestes-tu au point de vouloir mourir ? »

Luet aurait presque pu prédire la suite. Dol, voyant l’émotion que soulevaient les sanglots d’Eiadh, ne put supporter de la laisser monopoliser l’attention générale. Elle s’agrippa donc à son propre époux en clamant à grands cris – accompagnés de pleurs très réalistes – qu’il devait lui aussi se retenir de faire du mal à Nafai. Comme si Mebbekew eût jamais osé agir seul ! Et comme si ses larmes eussent pu l’ébranler ! Luet en eût ri volontiers si elle n’avait eu la conscience aiguë que la vie de Nafai dépendait maintenant de la réaction d’Elemak à toutes ces lamentations.

Elle parvint presque à lire sur son visage les changements qui s’opéraient en lui. Sa résolution de tuer Nafai, insensible à l’influence de Surâme, fondait devant les supplications de son épouse. Et comme sa volonté de meurtre pâlissait, Surâme put de mieux en mieux saisir et amplifier ses peurs, si bien que le dangereux tueur se transforma bientôt en une épave tremblante, épouvantée de son acte avorté. Il baissa les yeux sur le pulsant qu’il tenait, un frisson le parcourut et il jeta l’arme loin de lui. Elle tomba aux pieds de Luet.

« Oh, Nafai, mon frère, qu’allais-je donc faire ! » s’écria-t-il.

Mebbekew se montra plus abject encore. Il se précipita à plat ventre sur le sable. « Pardonne-moi, Nafai ! Pardonne-moi de t’avoir attaché comme un animal ! Ne laisse pas Surâme me tuer ! »

Tu en fais un peu trop, pensa Luet à l’adresse de Surâme. Ils vont être terriblement humiliés quand ils se rappelleront leur conduite, qu’ils comprennent ou non que c’est toi qui en as fait des lâches.

Quoi, tu me prêtes peut-être une telle finesse de contrôle sur la situation ? Je leur déverse des tombereaux d’angoisse et ils ne sentent rien, et tout à coup, sans qu’on sache pourquoi, voilà qu’ils me captent et les voilà qui s’effondrent. Je trouve que je ne m’en tire pas si mal, pour une première fois.

Je suggérais simplement que tu relâches un peu la pression. Le travail est achevé.

« Elemak, Mebbekew, bien sûr que je vous pardonne, dit Nafai. Quelle importance, ce qui m’arrive ? C’est le pardon de Surâme qui compte, pas le mien.