Выбрать главу

— Agenouille-toi devant Surâme, ordonna Eiadh en obligeant doucement Elemak à obéir. Agenouille-toi et demande pardon, je t’en prie. Ne vois-tu pas que ta vie est en danger ? »

Elemak se tourna vers elle et demanda d’une voix presque sereine, malgré la peur qui le dévorait, Luet le savait :

« Ma vie ou ma mort ont-elles tant d’importance pour toi ?

— Tu es ma vie, répondit Eiadh. N’avons-nous pas tous juré de rester mariés pour toujours ? »

À vrai dire, non, pensa Luet. Ils s’étaient contentés d’écouter l’édit d’Elemak et de lever la main pour indiquer qu’ils l’avaient compris. Mais, prudemment, elle garda le silence.

Elemak tomba à genoux. « Surâme, dit-il d’une voix tremblante, j’irai où tu me commanderas d’aller.

— Moi aussi, renchérit Mebbekew. Je suis dans le coup. » Il ne décolla pas son front du sable.

« Tant qu’Eiadh est mienne, poursuivit Elemak, je suis satisfait, au désert comme dans la cité, sur Harmonie comme sur Terre.

— Oh, Elya ! » s’écria Eiadh. Elle jeta les bras autour de lui et sanglota sur son épaule.

Luet se pencha pour ramasser le pulsant à ses pieds. Inutile de risquer de perdre une arme précieuse. Qui savait quand ils pourraient en avoir besoin pour chasser ?

Nafai se dirigea vers elle. Ce geste revêtait aux yeux de Luet plus d’importance qu’elle n’aurait su le dire : c’était vers elle, son épouse d’à peine quelques jours, qu’il venait, et non vers sa mère. Il la prit dans ses bras et elle l’enlaça. Elle le sentit qui tremblait, il avait quand même eu peur, malgré sa foi en Surâme. Et la partie avait été serrée.

« Savais-tu à l’avance comment tout cela finirait ? demanda-t-elle dans un murmure.

— Surâme n’était pas sûr de réussir le coup de la corde, répondit-il aussi bas. Surtout quand Elemak s’est approché pour examiner le nœud.

— Il le fallait, pourtant, s’il devait croire en ta libération miraculeuse.

— Tu sais ce que je me disais alors que j’étais à genoux avec le pulsant pointé sur ma tête et que je parlais pour pousser Elemak à me tuer ? Je me disais : Je ne saurai jamais à quoi ressemble notre bébé.

— Maintenant, tu le sauras. »

Il s’écarta d’elle et prit le pulsant qu’elle tenait toujours.

Hushidh s’approcha et posa la main sur l’arme. « Nyef, si tu gardes ça, les blessures ne guériront jamais.

— Et si je le rends à Elemak ? »

Hushidh hocha la tête. « C’est le mieux à faire. »

Nul davantage qu’Hushidh la Déchiffreuse ne comprenait ce qui liait ou séparait les gens. Nafai se dirigea donc aussitôt vers Elemak et lui tendit le pulsant. « S’il te plaît, dit-il. Je ne sais même pas m’en servir. Nous avons besoin de toi pour nous ramener au camp de Père. »

Elemak hésita un bref instant avant de prendre l’arme. Luet savait qu’il bouillait à l’idée de la recevoir de la main de Nafai. Mais en même temps, il se rendait compte que Nafai n’était pas obligé de la lui donner, pas plus que de le restaurer à son poste de guide. Et il avait un besoin vital de ce rôle, au point de l’accepter de son frère.

« Avec plaisir », répondit-il enfin. Il saisit le pulsant.

« Oh merci, Nafai ! » dit Eiadh.

Un effroi soudain transperça le cœur de Luet. Elemak n’entend-il rien dans la voix de son épouse ? Ne lit-il rien sur son visage ? L’adoration avec laquelle elle regarde Nafai ? Cette femme n’aime que la force, le courage et le pouvoir ; c’est le mâle dominant de la tribu qui la séduit. Et à ses yeux, Nafai est manifestement le plus désirable des hommes. De nous tous, c’est elle qui a le mieux joué la comédie, aujourd’hui, songea Luet. Elle a réussi à convaincre Elemak de son amour afin de sauver l’homme qu’elle aime en réalité. Je ne peux que l’en admirer. C’est vraiment quelqu’un !

Mais cette admiration constituait elle-même un mensonge, et Luet ne pouvait s’abuser longtemps. La belle Eiadh est toujours amoureuse de mon époux et, bien que l’amour de Nafai pour moi soit fort aujourd’hui, un jour viendra où le primate triomphera de l’homme civilisé ; alors, il regardera Eiadh avec désir, elle s’en apercevra et, ce jour-là, je le perdrai sûrement.

Elle chassa ces pensées jalouses et accompagna dame Rasa, qui tremblait de soulagement, pour l’aider à s’installer sur son chameau. « J’ai bien cru le voir mort, dit Rasa à mi-voix en serrant la main de Luet. J’ai cru que je l’avais perdu.

— Moi aussi, pendant quelques instants.

— Je te le dis : Elemak serait mort avant la nuit s’il avait été jusqu’au bout.

— Moi aussi, je projetais sa mort au fond de mon cœur.

— Au fond, nous ne sommes pas très loin de l’animal. Aurais-tu imaginé une chose pareille ? Que nous basculerions si brusquement dans l’envie de tuer ?

— Exactement comme des babouins qui protègent leur troupe.

— C’est une grande découverte, tu ne trouves pas ? »

Luet sourit en lui pressant la main. « Mieux vaut tout de même n’en parler à personne, dit-elle. Les hommes s’inquiéteraient de nous savoir si dangereuses.

— Cela n’a plus d’importance, répondit Rasa. Surâme s’est montrée plus puissante que je ne l’aurais cru. Tout est fini, maintenant. »

Mais alors qu’elle partait à la recherche de sa propre monture, Luet savait que ce n’était pas vrai. Il ne s’agissait que d’un répit. Un jour viendrait où la lutte pour le pouvoir éclaterait à nouveau. Et cette fois, rien ne garantissait que Surâme réussirait un autre de ces petits tours. Si Elemak avait ne fût-ce qu’un instant décidé d’appuyer sur la détente, tout aurait été dit ; la prochaine fois, il s’en rendrait peut-être bien compte et ne se laisserait plus détourner par quelque chose d’aussi ridicule que la prière de Rasa, se contenter d’abandonner Nafai pieds et poings liés dans le désert. Il s’en était vraiment fallu d’un cheveu. Et en fin de compte, Luet en était convaincue, la haine d’Elemak pour Nafai n’en était que plus grande, même s’il devait le nier quelque temps, même s’il se persuadait que sa rancœur avait disparu. Tu peux tromper les autres, Elemak, mais moi, je te surveillerai. Et s’il arrive malheur à mon époux, je te préviens, tu feras mieux de me tuer aussi. Assure-toi que je sois bien morte, et même alors, si j’en trouve le moyen, je reviendrai et du fond de ma tombe je ferai s’abattre sur toi ma vengeance !

« Tu trembles, Lutya, dit Hushidh.

— Ah ? » Cela expliquait peut-être qu’elle ait tant de mal à serrer la sangle de sa selle.

« Comme l’aile d’une libellule.

— Cette histoire m’a bouleversée. Je dois être encore un peu retournée.

— Tu es jalouse d’Eiadh, voilà ce que tu as.

— Pas le moins du monde. Nafai m’aime absolument, totalement.

— C’est vrai. Mais je perçois quand même ta fureur envers Eiadh. »

Luet se savait un peu jalouse d’Eiadh, en effet. Mais Hushidh parlait de fureur, et c’était là un sentiment beaucoup plus fort que ce dont elle avait conscience. « Je ne suis pas en colère parce qu’elle aime Nafai ; vraiment pas.

— Oh, je sais, répondit Hushidh. Ou plutôt, maintenant je le vois. Non, à mon avis, tu lui en veux et tu es jalouse d’elle parce qu’elle a réussi à sauver la vie de ton époux, là où tu n’as rien pu faire. »

Oui, pensa Luet. C’est bien ça. Et maintenant qu’Hushidh avait mis le doigt dessus, l’atroce frustration que lui causait son impuissance la traversa comme une houle, des larmes brûlantes de rage et de honte jaillirent de ses yeux et ruisselèrent sur ses joues.

« Là, dit Hushidh en la soutenant. Ça fait du bien de laisser tout ça sortir. Ça fait du bien.