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Mais il avait un goût amer dans la bouche, et l’envie de donner des coups de pied, de casser quelque chose, de faire mal à quelqu’un.

Et les babouins étaient là, juste en bas, ces crétins d’animaux à tête de chien qui se prenaient pour des humains ! Une des femelles avait l’arrière-train rouge vif et les mâles se flanquaient des baffes entre eux pour tirer un coup vite fait. Pauvres mâles débiles ! Voilà à quoi ressemble notre vie.

Bon, autant que je descende ici dans le canyon et que je remonte la vallée jusqu’au camp. En chemin, j’arriverai peut-être à flinguer un mâle qui vient de tirer sa crampe. Il mourra heureux, non ? Et Nafai ne sera pas le seul à revenir avec un trophée.

À mi-chemin de la pente raboteuse, après une éraflure au genou et quelques glissades, Meb s’aperçut que plus il descendait, plus sa ligne de visée sur les babouins devenait mauvaise. Déjà, des rochers et des buissons lui en dissimulaient quelques-uns, dont ceux qui s’affairaient à essayer de copuler. Cependant, il en restait un petit en pleine vue, beaucoup plus près que les autres. Le tir n’en serait que plus facile.

Meb se rappela ce qu’Elemak leur avait appris, plus tôt dans la journée, et affermit ses coudes sur un rocher tout en visant. Malgré cela, ses mains tremblaient et plus il cherchait à les contrôler, pires semblaient les bonds de la mire au bout du pulsant. Et quand il appuya sur le bouton pour faire feu, le mouvement de son doigt agita de nouveau l’arme si bien qu’une petite giclée de fumée jaillit d’un buisson à plus de six mètres de sa proie. Le babouin dut entendre l’embrasement, car il se retourna brusquement vers le buisson en flammes, puis recula d’un air apeuré.

Mais pas longtemps. Un instant plus tard, il se rapprochait pour observer le flamboiement comme s’il espérait en apprendre quelque secret. Sec, le buisson n’était cependant pas mort et brûlait lentement en dégageant une forte fumée. Meb visa de nouveau, un peu à droite cette fois pour compenser le mouvement que causerait la pression sur le bouton. Il s’aperçut que ses mains étaient un peu plus fermes et se souvint qu’Elemak avait insisté sur la nécessité de se détendre. Alors… Mebbekew suivait point par point les instructions d’Elemak, et le babouin allait bientôt appartenir à l’histoire.

À l’instant où il allait presser la détente, un fort craquement à un mètre de sa tête le fit sursauter. Son coup partit dans le décor alors qu’il se retournait d’un bloc vers l’endroit d’où le bruit provenait. Une plante basse qui poussait dans une crevasse à quelque distance de lui avait été réduite en cendres et de la fumée s’élevait à la place. Comme il avait vu le même résultat se produire sur le buisson près du babouin, Meb comprit aussitôt : on lui tirait dessus. Des bandits étaient arrivés – le camp était en danger, et lui, Mebbekew, allait mourir, tout seul, parce que les bandits étaient obligés de le tuer pour l’empêcher de donner l’alarme. Mais je ne donnerai pas l’alarme, pensa-t-il. Laissez-moi vivre, je resterai caché ici, je ne dirai rien jusqu’à ce que tout soit fini, mais ne me tuez pas, je vous en prie…

« Qu’est-ce qui te prend de tirer sur des babouins ? »

Dans une dégringolade de cailloux, Nafai glissait le long de la pente pour gagner le rocher où se tenait Meb. Non sans plaisir, Meb observa qu’il dérapait au même endroit que lui ; mais il constata que Nafai se débrouillait pour contrôler sa descente et arrivait au rocher sur ses deux pieds et non sur les fesses.

À cet instant seulement, Meb comprit que c’était Nafai qui lui avait tiré dessus et ne l’avait manqué que de peu. « Tu essayais de me tuer ou quoi ? s’exclama-t-il. Tu n’es pas doué au point de pouvoir t’amuser à tirer si près des gens !

— On ne tue pas les babouins, dit Nafai. Ils sont comme des humains – as-tu donc perdu la tête ?

— Ah ! Et depuis quand les gens grattent-ils la terre pour trouver des asticots en attendant l’occasion de sauter la première femme au cul rouge ?

— Excellente description de ta propre existence, Meb ! Croyais-tu que nous allions manger de la viande de babouin ?

— Je m’en fichais. Je ne tirais pas pour la viande, mais pour tuer. Tu n’es pas le seul à savoir tirer, mon petit vieux. »

En prononçant ces mots, Meb prit conscience qu’il était seul avec Nafai, sans personne pour les voir, et qu’il avait un pulsant à la main. Ce pouvait être un accident. « Je ne voulais pas appuyer sur le bouton ; je tirais seulement sur une cible et Nafai est arrivé sans s’annoncer. Je ne l’ai pas entendu venir, je me concentrais. S’il vous plaît, je vous en prie, pardonnez-moi, Père, je me fais horreur, mon propre frère, je mérite la mort.

— Ah, tu es pardonné, mon fils ! Laisse-moi pleurer mon petit dernier qui a perdu ses couilles dans un horrible accident de chasse et qui s’est vidé de son sang ! Trouve un endroit accueillant où dormir pendant que je répands mes larmes ici. »

Ça serait le bouquet, que Père me souhaite ce que je veux le plus au monde !

« On ne gaspille pas les charges des pulsants à tirer sur n’importe quoi, reprit Nafai. C’est Elemak qui l’a dit – elles ne sont pas éternelles. Et on ne mange pas de babouin. Elemak l’a dit aussi.

— Elemak peut bien jouer de la flûte en pétant dedans si ça l’amuse, ce n’est pas pour ça que je dois lui obéir ! » J’ai le pulsant à la main, déjà pointé à demi sur Nafai. J’expliquerai que je me suis retourné, surpris, et que le coup est parti en lui emportant la poitrine. À cette distance, je risque même de le pulvériser complètement, en répandant des petits bouts de Nafai dans tous les coins. Je reviendrai avec du sang sur les vêtements, peu importe le sang de qui !

Soudain, il sentit le canon d’un pulsant s’appliquer contre son crâne. « Donne-moi ton arme, dit Elemak.

— Hé là ! s’écria Mebbekew. Je n’allais rien faire ! »

Nafai déclara de sa voix de fausset : « Tu as déjà tiré une fois sur le babouin. Si tu étais meilleur tireur, tu n’aurais pas besoin de recommencer. » Naturellement, Nafai avait interprété de travers la dernière phrase de Meb. Mais pas Elemak.

« Je t’ai dit de me donner ton arme ; la crosse en avant. »

Meb poussa un soupir mélodramatique et tendit le pulsant à Elemak. « D’accord, j’ai compris le truc : moi, je n’ai pas le droit de tirer sur un babouin, mais toi, tu peux pointer ton pulsant sur un de tes frangins quand ça t’arrange, et personne ne dit rien ! »

Manifestement, Elemak n’apprécia pas ce rappel de l’exécution ratée de Nafai dans le désert. Mais il se contenta de maintenir son arme sur la tempe de Meb en s’adressant à Nafai. « Je ne veux plus jamais te voir pointer ton pulsant sur un être humain.

— Ce n’est pas lui que je visais. C’était la plante au-dessus, et je l’ai eue.

— D’accord, tu es un tireur prodigieux. Mais si tu avais éternué ? Ou trébuché ? Tu aurais très bien pu faire sauter la tête de ton propre frère à cause d’un petit faux pas. Donc, tu ne vises jamais quelqu’un, ni même à côté ! Tu m’as bien compris ?

— Oui », répondit Nafai.

Oh oui, oui, grand frère Elemak, je te lécherai le cul comme j’ai toujours léché le cul à Papa ! Meb avait envie de vomir.

« Mais c’était quand même un bon tir, dit Elemak.

— Merci.

— Et Meb a de la chance que ce soit toi qui l’aies vu, parce que moi, j’aurais peut-être visé le pied ; un moignon l’aurait aidé à se rappeler qu’on ne tue pas les babouins. »