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— Mais une émission depuis la Terre… il faudrait qu’elle voyage plus vite que la lumière ! s’insurgea Issib.

— À moins que le Gardien n’ait envoyé ces rêves il y a cent ans à une vitesse luminique, dit Nafai.

— Il aurait envoyé des rêves à des gens encore à naître ? demanda Luet. Je croyais que tu avais éliminé cette idée.

— Je pense néanmoins que les rêves peuvent être… je ne sais pas… dans l’air, fit Nafai. Et celui ou celle d’entre nous qui dort quand un rêve arrive le perçoit.

— Impossible, déclara Hushidh, catégorique. Mon rêve était bien trop précis.

— Tu as peut-être trituré la matière provenant du Gardien pour en faire ton propre rêve, répliqua Nafai. C’est plausible.

— Non. Mon rêve était d’une seule pièce. Si une seule partie provenait du Gardien, tout en provenait. Et il me connaissait. Vous comprenez ce que ça veut dire ? Le Gardien me connaissait et il connaissait… tout. »

Un instant, le silence enveloppa le groupe.

« Le Gardien ne transmet peut-être ces rêves qu’aux gens dont il désire le retour, dit enfin Issib.

— J’espère que non, répondit Nafai, parce que je n’en ai pas encore fait un seul. Je n’ai vu ni rats ni anges.

— Moi non plus, reprit Issib. Je me disais que peut-être…

— Mais tu étais dans mon rêve, Issib, intervint Hushidh, et si le Gardien m’appelle, il veut que tu viennes aussi.

— Et nous étions tous les deux dans le rêve de Père, renchérit Nafai. C’est pourquoi il faut en comprendre la signification ; à l’évidence, il ne s’agit pas seulement de nous inciter à bien nous conduire, sinon le Gardien a salopé le boulot : Elemak et Mebbekew étaient furieux d’avoir été mis à l’écart dans le rêve parce qu’ils refusaient de s’approcher de l’arbre.

— Eh bien, venez, dit Issib. Touchez l’Index et posez des questions. »

Le fauteuil tenait l’Index au bout d’un de ses bras afin qu’Issib puisse poser la main dessus ; ses compagnons se serrèrent autour de lui et en firent autant. Et ils formulèrent silencieusement leur question…

« Non, déclara enfin Issib, il ne se passe rien. Ça ne marche pas comme ça. Il faut être plus clair.

— Alors parle pour nous, dit Hushidh. Pose la question en notre nom à tous. »

Chacun maintint une main sur l’Index et Issib se fit le porte-parole du groupe. Il posa sa question, plusieurs fois. En vain.

« Allons ! s’exclama Nafai, s’adressant à l’Index. On a fait tout ce que tu nous demandais ! Même si tu es aussi perdu que nous, dis-le nous, au moins ! »

La voix de l’Index s’éleva aussitôt : « Je suis aussi perdu que vous.

— Mais enfin, pourquoi ne pas nous l’avoir dit dès le début ? s’écria Issib, dégoûté.

— Parce que vous ne me demandiez pas ce que je pensais du rêve : vous m’interrogiez sur son sens. Je m’efforçais de le déchiffrer. Je ne peux pas.

— Tu veux dire que tu n’y es pas encore arrivé, corrigea Nafai.

— Je veux dire que je ne peux pas, répliqua l’Index. Les données sont insuffisantes. Le raisonnement intuitif des humains m’est inconnu ; mon esprit est trop simple, trop direct. Ne me demandez pas plus que je ne puis donner. Je sais tout ce qui est connaissable par l’observation, mais je suis incapable de deviner les visées du Gardien de la Terre, et vous m’épuisez en l’exigeant de moi.

— D’accord, dit Luet. Excuse-nous. Mais si tu apprends quelque chose…

— Je vous en ferai part si j’estime utile que vous soyez au courant.

— Dans le cas contraire, fais-le nous savoir quand même ! » riposta Issib.

Mais l’Index garda le silence.

« C’est exaspérant de discuter avec Surâme, par moments ! s’écria Nafai.

— Parle d’elle avec respect, dit Hushidh, et elle se montrera peut-être plus coopérative.

— Oui, mais si on lui manifeste trop de respect, cet ordinateur commence à se prendre pour un dieu, intervint Issib, et c’est pour le coup que ça devient vraiment difficile de traiter avec lui !

— Viens te coucher, dit Luet à Nafai. Nous en reparlerons demain, mais ce soir nous avons besoin de dormir. »

Nafai ne se fit pas prier ; Hushidh et Issib restèrent en tête-à-tête.

Le silence s’installa. Issib sentait le malaise régner entre eux comme une fumée flottant dans la tente ; il avait du mal à respirer. C’était le rêve de son père qui les avait réunis pour parler à Surâme par l’entremise de l’Index. Il n’était pas difficile de montrer à Hushidh avec quelle aisance il utilisait l’Index ; il était plein d’assurance devant lui, même quand Surâme, égaré, ne pouvait répondre correctement aux questions. Mais il n’y avait plus d’Index entre eux, maintenant – il reposait muet dans sa boîte, où Nafai l’avait replacé ; seuls demeuraient Hushidh et Issib : ils étaient censés se marier et Issib n’était même pas capable de trouver un mot à dire !

« J’ai rêvé de toi », déclara Hushidh.

Ah ! Elle avait parlé la première ! Aussitôt, enfin libérés, des mots jaillirent des lèvres d’Issib : « Et tu t’es réveillée en hurlant ? » Non, ça, c’était une phrase stupide. Mais il l’avait dite, et… oui, elle souriait ! Elle savait qu’il s’agissait d’une plaisanterie ; il n’avait donc pas à se sentir gêné.

« Je t’ai vu en train de voler, poursuivit-elle.

— Oui, j’aime bien faire ça, répondit-il. Mais seulement dans les rêves des autres. J’espère que je ne t’ai pas dérangée. »

Et elle éclata de rire.

À ce moment, il aurait dû ajouter autre chose, une réflexion sérieuse : Hushidh prenait sur elle la partie la plus difficile de leur rencontre, il le savait – elle parlait gravement, et lui, il déviait ses propos par des plaisanteries. Si c’était parfait pour les mettre à l’aise l’un avec l’autre, cela les détournait aussi des problèmes qu’elle cherchait à exposer ; mais ces problèmes, il n’arrivait pas encore à les concevoir, assis seul dans la tente de l’Index en compagnie d’Hushidh. Si : il avait peur, car elle avait besoin d’un mari, qui ne pouvait être que lui, et il ignorait totalement s’il serait capable d’accomplir avec elle tout ce que doit faire un époux. Il savait parler, naturellement, et il connaissait assez bien Hushidh pour savoir qu’elle pouvait s’exprimer elle aussi, quand elle était en confiance – il l’avait entendue prendre la parole sur un ton passionné en classe et lors de conversations privées qu’il avait surprises par hasard. Ils arriveraient donc sans doute à communiquer ; oui, mais pour communiquer, ils n’étaient pas obligés de se marier, ou bien si ? Quel genre de père ferais-je ? Viens ici tout de suite, fiston, ou je t’écrabouille avec mon fauteuil !

Sans parler de la question cruciale : comment allait-il faire pour devenir père ? Oh, bien sûr, il en avait compris le mécanisme intellectuellement, mais il n’imaginait pas qu’une femme puisse avoir envie de tenir un rôle dans l’affaire. C’était le point noir qu’il n’osait pas soulever. Voici le scénario que nous allons suivre pour faire des bébés – accepterais-tu d’envisager de tenir le premier rôle ? Le seul inconvénient, c’est que tu vas devoir te débrouiller toute seule pendant que je resterai immobile sur le dos sans te donner le moindre plaisir ; ensuite, tu accoucheras sans que je t’aide le moins du monde, et enfin, quand nous serons vieux, il faudra que tu t’occupes de moi jusqu’à ma mort ; à vrai dire, comme tu te seras toujours occupée de moi, ça ne fera pas grande différence : du moment que j’aurai une épouse, tous les autres considéreront qu’ils n’ont plus besoin de m’aider, ce sera donc toi qui effectueras ces tâches intimes qui te dégoûteront, et puis il te faudra recevoir ma semence et porter mes enfants par-dessus le marché et je ne trouve aucun mot qui puisse te persuader d’accepter ça.