Выбрать главу

Elemak nota avec amusement que Shedemei persistait à parler de l’ordinateur comme d’une femme.

« Quand Nafai reviendra, il portera le manteau du pilote stellaire. Il s’agit d’un système qui le relie de façon presque parfaite à la mémoire de Surâme. Il en saura beaucoup plus sur toi que tu n’en sais toi-même, me comprends-tu bien ? Et le port du manteau donne accès à bien d’autres pouvoirs – par exemple, une concentration d’énergie à côté de laquelle le pulsant n’est qu’un jouet.

— Est-ce une menace ? demanda Elemak.

— Je te dis la vérité toute simple. Surâme a choisi Nafai parce qu’il possède l’intelligence nécessaire pour piloter le vaisseau, la loyauté pour la servir fidèlement et une volonté qui lui a permis d’abattre une barrière réputée infranchissable et de donner l’occasion à notre expédition de se poursuivre. Elle ne l’a pas choisi parce qu’il conspirait contre toi. Si tu avais jamais manifesté la moindre parcelle de loyauté envers la cause de Surâme, c’est peut-être toi qu’elle aurait choisi.

— Crois-tu m’émouvoir avec des flatteries aussi navrantes ?

— Je ne te flatte pas, répondit Shedemei. Je te l’ai déjà dit : nous te savons le chef naturel de notre groupe. Mais tu as refusé le commandement de l’expédition de Surâme. C’est ton choix, que tu as fait librement. Aussi, quand tu te rendras compte que tu as perdu pour toujours l’autorité sur le groupe, ne t’en prends qu’à toi-même. »

Elemak sentit la colère monter en lui.

« De toute manière, tu ne venais même pas en seconde position, poursuivit Shedemei. Il n’était pas certain que Nafai accepte le manteau – précisément parce qu’il savait que tu rejetterais son autorité. C’est alors que Surâme a fait le choix d’un candidat de remplacement. Elle m’a demandé, à moi, si j’accepterais le fardeau du commandement. Elle m’en a expliqué plus long sur les capacités et le fonctionnement du manteau qu’à Nafai lui-même, qui doit néanmoins en savoir beaucoup à l’heure qu’il est. J’ai accepté sa proposition. Si ce n’avait été Nafai, ç’aurait été moi. Pas toi, Elemak. Ce n’est pas d’un cheveu que tu as manqué cette charge prestigieuse : tu n’étais même pas dans la course, parce que tu as rejeté Surâme de prime abord.

— Il vaudrait peut-être mieux que tu t’en ailles, maintenant, dit Elemak d’une voix calme.

— Mais ce n’est pas pour ça que tu ne dois pas jouer un rôle important, un rôle de valeur dans la communauté, continua-t-elle, apparemment sans l’entendre ni se rendre compte de la rage qui bouillonnait en lui. Ne force pas les choses, n’oblige pas Nafai à t’humilier devant tout le monde. Travaille plutôt avec lui et il te laissera avec joie acquérir autant de pouvoir que Surâme lui permettra de t’en concéder. Je crois que tu ne t’es jamais rendu compte à quel point Nafai te vénère, comme il a toujours voulu te ressembler, comme il recherche ton affection et ton respect plus que chez quiconque.

— Sors de chez moi, dit Elemak.

— Très bien. Je vois que tu es de ceux qui refusent de réviser leur conception du monde. Tu ne peux vivre que dans un univers où tous tes malheurs viennent des autres, où chacun conspire contre toi pour te priver de ton dû. » Elle se leva et se dirigea vers la porte. « Malheureusement, il se trouve que cet univers n’est pas le vrai. Alors, vous allez rester ici tous les quatre à comploter pour prendre le pouvoir à Dostatok, vous n’arriverez naturellement à rien qu’à vous humilier, et vous ne pourrez vous en prendre qu’à vous-mêmes. Malgré tout, Elemak, tu as droit à notre profond respect et à notre estime pour tes talents considérables. Bonne nuit. »

Elle referma la porte derrière elle.

C’est à peine si Elemak parvenait encore à se maîtriser. Il n’avait qu’une envie : se jeter sur elle et la frapper, la frapper jusqu’à ce que disparaisse en elle la moindre parcelle de son insupportable condescendance. Mais ce serait une manifestation de faiblesse ; s’il voulait conserver son emprise sur les trois hommes présents, il devait prouver que ce genre de bêtises ne le touchaient pas. Aussi leur adressa-t-il un pâle sourire. « Vous voyez comme ils cherchent à nous abrutir en nous mettant en colère ? dit-il.

— Ne me dis pas que tu n’es pas en rogne ! jeta Meb.

— Bien sûr que je suis en rogne ! Mais je refuse de laisser la colère m’abêtir. De plus, Shedemei nous a fourni des renseignements intéressants. À l’en croire, Nafai va revenir avec une espèce de manteau magique ou je ne sais quoi. Ce n’est peut-être qu’une illusion, comme les masques que Gaballufix faisait porter à ses soldats à Basilica pour les rendre tous identiques. Ou alors ce truc possède un vrai pouvoir ; mais loin de nous faire filer doux, ça nous obligera d’autant plus à prendre des mesures rapides, nettes… et définitives.

— C’est-à-dire ? demanda Vas.

— C’est-à-dire que nous n’autoriserons personne à partir rejoindre Nafai, où qu’il soit. Nous le forcerons à venir à nous ; et à ce moment-là, s’il ne s’écrase pas, s’il refuse nos décisions, nous l’empêcherons de nous nuire plus longtemps.

— C’est-à-dire ? répéta Vas.

— C’est-à-dire qu’on le tuera, triple buse ! s’exclama Obring. Tu es vraiment obligé d’être aussi bouché ?

— Je savais que c’était ce qu’il voulait dire, fit Vas tranquillement. Je souhaitais simplement l’entendre de sa propre bouche, pour qu’il n’aille pas ensuite prétendre que ce n’était pas ce qu’il souhaitait.

— Ah, je vois, fit Elemak. Tu t’inquiètes des responsabilités. » Et il ne put s’empêcher de comparer Vas et Nafai : malgré tous ses défauts, Nyef n’avait jamais cherché à nier sa responsabilité dans la mort de Gaballufix. « Eh bien, je prends la responsabilité de tout. Seul, si vous l’exigez. Mais cela signifie aussi qu’une fois la victoire acquise, l’autorité me reviendra.

— Je marche avec toi, dit Meb. À fond. Est-ce que ça veut dire qu’après, je partagerai l’autorité avec toi ?

— Oui », répondit Elemak. Encore faudrait-il que tu saches ce que c’est, pauvre babouin geignard ! « Ce n’est pas plus compliqué. Mais si l’un de vous n’a pas le cran de marcher avec nous, ça ne fait pas de lui notre ennemi. Qu’il se contente de taire notre plan, qu’il se joigne à nous pour empêcher les autres de rallier Nafai et qu’il n’intervienne pas quand nous le tuerons – s’il faut en arriver là.

— Là, je suis d’accord », dit Obring.

Vas acquiesça également.

« Alors, c’est réglé. »

Nafai se réveilla étendu par terre dans la salle. Au-dessus de lui flottait le cube d’eau. Il ne se sentait pas différent.

Du moins, jusqu’au moment où il chercha à sentir de l’intérieur si quelque chose avait changé dans son corps. Alors, un torrent d’informations se déversa tout à coup dans son esprit. L’espace d’un instant, il eut conscience de toutes ses fonctions corporelles, avec un rapport détaillé sur l’état de chacune : les sécrétions de ses glandes, le rythme de son pouls, la quantité de matière fécale accumulée dans son rectum, la déficience actuelle en aliments des cellules de son organisme, et la ponction des cellules graisseuses pour compenser cette carence. De même, la vitesse de guérison de ses contusions et de ses éraflures s’était accélérée et il se sentait beaucoup mieux.

Est-ce cela que Surâme sait depuis toujours sur moi ?

Aussitôt la réponse lui parvint et, cette fois, d’une voix claire – encore plus que quand Surâme parlait par le biais de l’Index. Je n’ai jamais su tout cela sur toi. Le manteau s’est connecté à chacun des nerfs de ton corps et rend compte en continu de ton état. Il prélève aussi des échantillons de ton sang en différents endroits, les interprète et intervient pour améliorer ta forme, et ce plusieurs fois par seconde.