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Lorsque Conway était arrivé à l’Hôpital Général, l’être qui lui avait donné ses premières instructions et qui lui avait assigné un poste, avait ajouté quelques paroles. Il avait dit que le Dr. Conway avait passé de nombreux tests et qu’ils espéraient qu’il aimerait suffisamment son travail pour rester. Sa période d’essai était à présent terminée, et en conséquence personne n’essaierait de le chasser, mais si pour une raison quelconque ( accrochages avec des membres de sa propre espèce ou d’autres espèces, apparition de xénophobie ) il devait avoir tant de problèmes qu’il ne pourrait plus supporter de rester, alors on lui permettrait, à regret naturellement, de s’en aller.

On lui avait également conseillé de faire la connaissance du plus grand nombre de personnes possible et d’essayer d’acquérir une certaine compréhension mutuelle, sinon de l’amitié. Finalement, on lui avait dit que s’il devait avoir des ennuis, par ignorance a pour toute autre raison, il devrait contacter un certain O’Mara, ou un certain Bryson, selon la nature de ses ennuis, bien que tout être qualifié de n’importe quelle espèce l’aiderait, naturellement.

Il avait peu après rencontré le chirurgien du service auquel il avait été affecté : un Terrien du nom de Mannon. Le Dr. Mannon n’était pas encore un diagnosticien, bien qu’il fît tout son possible pour parvenir à ce grade, et il était en conséquence encore humain durant de longues périodes de la journée. Il était très fier de posséder un petit chien qui restait toujours si près de lui que les visiteurs extra-terrestres avaient tendance à y trouver une relation symbolique. Conway aimait énormément le Dr. Mannon, mais il venait de comprendre que son supérieur était l’unique être de sa propre espèce envers lequel il éprouvait de l’amitié.

Cela n’était certainement pas normal, et Conway s’interrogea sur lui-même.

Après cet entretien rassurant, Conway avait pensé que tout était désormais réglé, surtout lorsqu’il avait découvert qu’il était très facile de se lier d’amitié avec les membres non-humains du service. Il n’avait pas favorisé les rapports avec ses collègues terriens, à une exception près, en raison de leur tendance à se montrer irrévérencieux ou cyniques lorsqu’ils parlaient de leur travail commun, la médecine. Mais l’idée d’un risque de friction était risible.

Mais, depuis, O’Mara l’avait fait se sentir petit et stupide, l’avait accusé de fanatisme et d’intolérance, et il avait totalement brisé son ego. C’était indéniablement un début de friction, et si le Moniteur devait continuer à le traiter ainsi, il savait qu’il serait contraint de partir. Il était un être civilisé et honnête, alors pourquoi les Moniteurs détenaient-ils le pouvoir de le chasser ? Conway ne pouvait comprendre cela. Cependant, il savait deux choses : il voulait rester dans cet hôpital, et pour y parvenir il avait besoin d’être aidé.

IV

Le nom de Bryson jaillit brusquement dans son esprit. C’était l’une des deux personnes qu’on lui avait conseillé de rencontrer en cas de problèmes. Il était hors de question qu’il allât voir l’autre, cet O’Mara, mais Bryson …

Conway n’avait jamais rencontré quelqu’un portant ce nom, mais en posant la question à un Tralthien qu’il croisa, il obtint des renseignements qui lui permettraient de le trouver. Il alla jusqu’à la porte sur laquelle était écrit Capitaine Bryson, Aumônier, Corps des Moniteurs, avant de se détourner avec colère. Un autre Moniteur ! Il ne restait décidément qu’une seule personne qui pourrait l’aider : le Dr. Mannon. Il aurait dû aller le voir en premier.

Mais, lorsque Conway trouva son supérieur, ce dernier se trouvait dans le bloc opératoire LSVO où il assistait un chirurgien diagnosticien Tralthien pour une intervention extrêmement délicate. Conway monta dans la galerie d’observation pour attendre que le Dr. Mannon eût terminé.

Le LSVO venait d’une planète à l’atmosphère dense et à la gravité insignifiante. C’était une créature ailée d’une fragilité extrême, et c’était pour cette raison que la gravité, dans le bloc opératoire, était presque nulle et que les chirurgiens étaient sanglés à leur place autour de la table. Le petit OTSB qui vivait en symbiose avec l’énorme Tralthien n’était pas sanglé au sol, mais il s’agrippait au-dessus du champ opératoire à l’un des tentacules secondaires de son hôte. Conway savait que les formes de vie OTSB ne pouvaient perdre le contact physique avec leur hôte plus de quelques minutes sans être gravement traumatisées mentalement. Intéressé en dépit de ses propres ennuis, il se concentra sur l’opération en cours.

Une partie du tube digestif du patient avait été mise à nu, et elle révélait une excroissance spongieuse et bleuâtre qui y adhérait. Sans la bande physiologique LSVO, Conway ne pouvait dire si le cas du patient était grave ou non, mais sur le plan technique il était indubitable que l’opération était fort compliquée. Il pouvait s’en rendre compte à la façon dont Mannon se penchait sur la créature et par la contraction des tentacules que le Tralthien n’utilisait pas. Comme à l’accoutumée, le petit OTSB avec son amas d’appendices oculaires et de suceurs extrêmement fins, effectuait le travail d’exploration. Il envoyait des informations visuelles ultra-détaillées du champ opératoire à son hôte géant, et il recevait en retour des instructions à partir de ces données. Le Tralthien et le Dr. Mannon, eux, n’avaient qu’une tâche relativement grossière. Ils agrafaient, découpaient, et épongeaient les tissus.

Le Dr. Mannon n’avait pas grand-chose à faire, hormis de veiller à ce que les tentacules hypersensibles du parasite du Tralthien fussent convenablement guidés dans leur travail par son hôte. Mais Conway savait que le Terrien en était fier. Les associations symbiotiques Tralthanes composaient les plus grands chirurgiens de toute la Galaxie. Tous les chirurgiens auraient été des Tralthiens, si leur taille et certaines techniques opératoires ne les avaient empêchés d’opérer certaines formes de vie.

Lorsqu’ils sortirent du bloc opératoire, Conway les attendait. Un des tentacules du Tralthien se souleva et s’abattit sur le sommet du crâne du Dr. Mannon — un geste qui constituait un grand compliment — et immédiatement une petite boule de fourrure et de crocs jaillit de derrière un placard, pour se ruer en direction de l’énorme créature qui semblait attaquer son maître. Conway avait assisté maintes fois à ce jeu qui lui paraissait toujours éminemment puéril. Comme le chien de Mannon aboyait furieusement face à la créature qui le dominait de la taille, ainsi que son maître, pour le défier dans un duel à mort, le Tralthien recula en feignant la panique.

— Au secours ! criait-il. Sauvez-moi des crocs de cette créature épouvantable !

Le chien, qui aboyait toujours avec rage, encerclait et mordait le cuir épais des six jambes massives du Tralthien. Ce dernier prit précipitamment la fuite tout en appelant à l’aide et en faisant très attention à ce que son petit adversaire ne fut pas écrasé sous un de ses énormes pieds. Le son de la bataille décrut dans le couloir.

Lorsque le bruit eut suffisamment diminué, Conway s’adressa à Mannon.

— Docteur, je me demande si vous pourriez m’aider. J’ai besoin d’un conseil, ou tout au moins d’un renseignement. Mais c’est un sujet plutôt délicat …

Conway vit les sourcils du Dr. Mannon se soulever, tandis qu’un sourire tendait les commissures de ses lèvres.

— Je serais naturellement heureux de vous aider, mais je crains que les conseils que je pourrais vous donner pour l’instant ne vous soient guère utiles. ( Il fit une grimace dégoûtée et étendit latéralement ses bras avant de les agiter de bas en haut. ) Je suis toujours sous l’influence de la bande LSVO. Vous savez ce qui se passe : une moitié de mon esprit pense que je suis un oiseau, et l’autre n’y comprend plus rien. Mais de quel genre de conseil auriez-vous besoin ? ajouta-t-il en déplaçant latéralement la tête par à-coups, tel un oiseau. S’il s’agit de cette forme particulière de folie qu’on appelle l’amour, ou tout autre dérèglement d’ordre psychologique, je vous suggère de vous adresser plutôt à O’Mara.