Mais la démangeaison réapparut à nouveau dans son oreille, et elle était plus violente que jamais. Il remarqua à peine les geysers de boue et d’eau que soulevait le dinosaure comme il quittait les hauts-fonds pour gagner la rive. Cette démangeaison dévorante, non localisée, grandit jusqu’à ce que, avec un hurlement de terreur, Conway se frappa le côté de la tête et qu’il commença à enfoncer frénétiquement son petit doigt dans son oreille. Cette action lui apporta un soulagement immédiat, mais …
— Comment voulez-vous que je puisse travailler, si vous remuez tout le temps ?
La rapidité avec laquelle Arretapec avait prononcé ces paroles était l’unique indication de leur contenu émotionnel. Il n’attendit qu’un court instant avant d’ajouter :
— Veuillez me laisser seul, immédiatement.
— Je ne remuais pas, protesta Conway. Mon oreille me démangeait et …
— Un démangeaison, surtout une démangeaison capable de provoquer une pareille agitation, est le symptôme d’un dérèglement physique qui réclame des soins, l’interrompit le VUXG. À moins que cela ne soit provoqué par une forme de vie parasitaire ou symbiotique qui habite, peut-être à votre insu, dans votre corps.
« Lorsque je vous aurai dit que j’ai expressément exigé que mon assistant soit en parfaite santé physique et qu’il n’appartienne pas à une espèce qui abrite, consciemment ou inconsciemment, des parasites ( espèces particulièrement sujettes à des mouvements intempestifs, ) vous comprendrez mon mécontentement. Si vous n’aviez pas fait ce mouvement violent, j’aurais peut-être obtenu des résultats. En conséquence, disparaissez !
— Bon Dieu ! Et dire que O’Mara vous trouve trop humble !..
Le dinosaure choisit cet instant pour trébucher dans le lac, perdre pied, et faire le plus beau des plat-ventres de l’histoire. La boue et l’eau qui retombaient trempèrent Conway, et un mini-raz-de-marée lui couvrit les pieds. La distraction fut suffisante pour le faire arrêter, ce qui lui permit de se rendre compte qu’il n’avait pas été personnellement insulté. De nombreuses espèces intelligentes avaient des parasites, dont certains étaient véritablement indispensables à la santé de leur hôte. Et pour ces créatures, être pouilleux voulait dire être au mieux de sa forme.
Arretapec avait peut-être eu l’intention de se montrer insultant, mais Conway ne pouvait en avoir la certitude. Et le VUXG était, après tout, un personnage très important.
— Et quels résultats auriez-vous « pu » obtenir, plus exactement ? demanda Conway sur un ton sarcastique.
Il était toujours en colère, mais il avait décidé de lutter sur un plan professionnel, plutôt que sur celui personnel. De plus, il savait que le traducteur ne pourrait pas transmettre le côté insultant de ses propres paroles. Il ajouta :
— Qu’essayez-vous d’accomplir, et comment espérez-vous y parvenir en vous contentant d’observer votre patient ?
— Je ne puis vous le dire. Mes desseins sont … sont vastes. Ils concernent l’avenir. Le lointain futur. Vous ne pourriez pas comprendre.
— Comment pouvez-vous le savoir ? Si vous m’expliquiez ce que vous voulez accomplir, je pourrais peut-être vous aider …
— Vous ne pouvez pas m’aider.
— Écoutez, vous n’avez même pas essayé d’utiliser tout ce que peut vous offrir cet hôpital. Peu importe ce que vous essayez de faire à votre patient, mais vous auriez dû commencer par faire faire un bilan complet : immobilisation, suivie d’une radio, d’une biopsie, et tout le reste. Cela vous aurait fourni des données physiologiques inestimables sur lesquelles travailler …
— En termes plus simples, vous dites que pour comprendre un organisme ou un mécanisme compliqué, on doit d’abord le démanteler afin de comprendre séparément ses composants. Ceux de mon espèce ne croient pas qu’il faille détruire quoi que ce soit, même partiellement, avant de l’avoir entièrement compris. Vos grossières méthodes de recherche sont en conséquence sans la moindre valeur à mes yeux. Je vous suggère de sortir.
Bouillant de rage, Conway obéit.
S’il avait cédé à sa première impulsion, Conway se serait précipité dans le bureau de O’Mara pour dire au psychologue en chef qu’il pouvait chercher quelqu’un d’autre pour faire les courses du VUXG. Mais O’Mara lui avait expliqué que sa mission était très importante et il lui répondrait certainement des choses déplaisantes, s’il pensait que Conway renonçait à son travail simplement parce que sa curiosité n’avait pas été satisfaite, et que son orgueil avait été blessé. Il y avait énormément de médecins, les assistants des diagnosticiens, par exemple, qui n’avaient pas le droit de toucher aux patients de leurs supérieurs. Mais peut-être Conway était-il irrité parce qu’un être tel qu’Arretapec pouvait être son supérieur …
Si Conway se rendait chez O’Mara dans son actuel état d’esprit, il courrait le risque que le psychologue ne jugeât que son caractère le rendait inapte à ce poste. Mis à part le prestige qui accompagnait un poste au Secteur Général, le travail qu’on y accomplissait était à la fois stimulant et enrichissant. Si O’Mara devait décider de le muter dans un hôpital planétaire, en raison de son manque de sang froid, cela constituerait la plus grande tragédie de la vie de Conway.
Mais que pouvait-il faire, hormis aller voir le psychologue ? Arretapec l’avait congédié, et il n’avait rien à faire. Conway se sentait désœuvré. Il attendit plusieurs minutes à une intersection de coursives. Il réfléchissait tandis que les représentants de toutes les races intelligentes de la Galaxie passaient devant lui en marchant, en ondulant, ou en rasant le sol. Puis il trouva la solution. Il pouvait faire une chose, une chose qu’il aurait dû faire de toute façon, même si les événements ne s’étaient pas autant précipités.
La bibliothèque de l’hôpital contenait plusieurs ouvrages sur la période préhistorique de la Terre, tant sous forme de bandes que sous celle encombrante et archaïque de livres. Conway entassa le tout sur un pupitre de lecture et s’apprêta à satisfaire sa curiosité professionnelle au sujet de son nouveau malade.
Le temps passa très rapidement.
Conway découvrit aussitôt que le mot « dinosaurien » n’était qu’un terme général s’appliquant à divers reptiles géants. Le patient, à l’exception de sa taille plus grande et des excroissances osseuses qui terminaient sa queue, était, sur le plan des caractéristiques physiques extérieures, identique au brontosaure qui avait vécu dans les marais terrestres à l’époque Jurassique. Il était également herbivore mais, à la différence de leur patient, le brontosaure n’avait disposé d’aucun moyen de défense contre les prédateurs de son époque. Il trouva également un nombre surprenant de données physiologiques dont il prit connaissance avec avidité.
Sa colonne vertébrale était composée d’énormes vertèbres qui étaient creuses, à l’exception de celles de la queue. Cette économie de matière osseuse rendait possible un corps relativement léger par comparaison avec sa taille démesurée. Il était ovipare. Sa tête était petite et sa boîte crânienne était une des moins volumineuses parmi les vertébrés. Mais en plus du cerveau, il possédait un second centre nerveux bien plus développé que le cerveau lui-même, dans la région de la vertèbre sacrée. On pensait que le brontosaure grandissait lentement, et on expliquait sa grande taille par le fait qu’il pouvait vivre deux siècles ou plus.
Sa seule protection contre des adversaires éventuels consistait à s’immerger et à rester sous l’eau. Il pouvait paître au fond des marais, et il n’avait besoin de sortir sa tête que par instants pour respirer. Cette race s’était éteinte lorsque des bouleversements géologiques avaient provoqué l’assèchement de ses refuges marécageux et l’avaient laissé à la merci de ses ennemis naturels.