— Je suis cependant fort impressionné.
D’abord des excuses et à présent des compliments, pensa Conway. Comme ils approchaient du patient, Arretapec lui demanda s’il voulait avoir l’amabilité de rester tranquille et silencieux. Conway supposait que le changement d’attitude du VUXG était dû au travail des techniciens. À présent que le patient se trouvait dans un environnement idéal, le traitement, quel qu’il fût, aurait plus de chances d’aboutir sur un succès …
Soudain, la démangeaison reprit de plus belle. Elle prit naissance dans l’oreille droite, comme à l’accoutumée, mais cette fois elle s’étendit et grandit en intensité jusqu’à ce que Conway eût l’impression que son cerveau était dévoré par une multitude d’insectes. Il fut couvert de sueurs froides et se souvint de ses craintes de la veille au soir, lorsqu’il avait pris la résolution de se rendre auprès de Mannon. Ce n’était pas le fruit de son imagination, après tout, c’était sérieux et sa vie était peut-être en jeu. Ses mains se portèrent à sa tête en un mouvement involontaire, dicté par la panique. Au passage, elles heurtèrent la sphère qui contenait Arretapec et la projetèrent sur le sol.
— Vous vous agitez à nouveau … commença le VUXG.
— Je … je regrette, bredouilla Conway.
Il marmonna une autre phrase incohérente pour dire qu’il devait partir, que c’était urgent, puis il prit la fuite.
Trois heures plus tard, il était assis dans la salle d’examen DBDG du Dr. Mannon, tandis que le chien de ce dernier grondait, lui montrait ses crocs, ou roulait sur son dos en lui adressant des regards suppliants mais inutiles, pour qu’il joue avec lui. Mais Conway n’avait pas l’esprit à chahuter avec l’animal, ainsi qu’il le faisait rituellement lorsqu’il en avait le temps. Toute son attention était reportée sur la tête courbée de son ex-supérieur et sur les graphiques qui couvraient le bureau. Brusquement, Mannon releva le regard.
— Vous n’avez absolument rien, dit-il sur le ton péremptoire qu’il réservait habituellement aux élèves et aux malades suspectés de vouloir tirer au flanc. Oh, il ne fait aucun doute que vous ressentez cette fatigue, ces démangeaisons, etc … Mais sur quelle sorte de cas travaillez-vous actuellement ?
Conway le lui dit, et Mannon sourit.
— Je parie que c’est la première fois que vous êtes … hem … exposé pour une longue période à une forme de vie télépathe, et que je suis le premier à qui vous en ayez parlé ? — C’était une affirmation plutôt qu’une question. — Et, bien que vous ressentiez intensément ces choses lorsque vous vous trouvez à proximité du VUXG et du malade, vous les percevez également le reste du temps, bien que sous une forme atténuée.
Conway hocha affirmativement la tête.
— Oui, je ressentais encore ces démangeaisons il y a à peine cinq minutes.
— Le phénomène est naturellement affaibli par la distance. Mais en ce qui vous concerne, il est inutile de vous inquiéter. Arretapec essaye simplement, et sans le savoir, de vous rendre télépathe vous aussi. Je vais vous expliquer …
Apparemment, un contact prolongé avec des formes de vie télépathes stimulait une certaine zone du cerveau humain qui était le siège non développé d’une fonction télépathique qui évoluerait dans le futur, ou les restes atrophiés d’un pouvoir possédé dans un lointain passé, et perdu depuis.
Cela provoquait une irritation gênante mais inoffensive. Cependant, pour de très rares individus, ajouta Mannon, cette proximité engendrait chez l’humain une sorte de faculté télépathique artificielle : il pouvait capter certaines pensées du télépathe auquel il était exposé, mais d’aucune autre personne. Cette faculté était toujours temporaire et elle disparaissait dès que l’être qui en était responsable quittait l’humain.
— Mais ces cas de télépathie induite sont très rares, conclut Mannon, et vous semblez n’en percevoir que les sous-effets. Autrement, vous sauriez ce que compte faire Arretapec en lisant tout simplement dans son esprit …
Tandis que le Dr. Mannon parlait, et à présent débarrassé de sa crainte d’avoir contracté une nouvelle maladie étrange, Conway réfléchissait. Comme il repensait aux moments qu’il avait passés en compagnie d’Arretapec et du brontosaure, qu’il y ajoutait les conversations qu’il avait eues avec le VUXG et sa propre étude de la vie et de l’extinction, de la race des reptiles géants terrestres, une image se forma dans son cerveau. C’était une vision folle, ou tout au moins surprenante, et elle était incomplète. Mais que pouvait bien faire d’autre Arretapec à un patient semblable au brontosaure, un patient qui était parfaitement sain ?
— Pardon ? demanda Conway.
Il s’était rendu compte que Mannon avait dit quelque chose qu’il n’avait pas compris.
— Je disais que si vous deviez découvrir ce que compte faire Arretapec, tenez-moi au courant.
— Oh, je le sais déjà. Tout au moins je pense le savoir … Et je peux comprendre pourquoi Arretapec fait tant de mystères. Il serait ridiculisé en cas d’échec, et même la simple idée de tenter une chose pareille peut sembler insensée. Ce que j’ignore, c’est ce qui le pousse à tenter cette expérience …
— Dr. Conway, si vous ne vous expliquez pas, je vous casse la gueule ! comme dirait crûment un interne.
Conway se leva d’un bond. Il devait revenir immédiatement auprès d’Arretapec. À présent qu’il avait une vague idée de ce qu’il se proposait de faire, il devait prendre certaines mesures de sécurité auxquelles le VUXG pourrait ne pas penser.
— Désolé, docteur, dit-il d’une voix absente, mais d’après ce que vous venez de me dire, il est fort probable que j’aie obtenu cette information directement dans l’esprit d’Arretapec, par télépathie, et je ne peux en conséquence pas vous en parler. Bon, je vous remercie pour la consultation, mais je dois me hâter … Excusez-moi …
Une fois sorti du cabinet de consultation, Conway courut jusqu’à l’interphone le plus proche et il appela le service d’entretien. Il reconnut la voix qui répondait comme étant celle du colonel qu’il avait déjà rencontré.
— Est-ce que la coque de ce transporteur est suffisamment solide pour résister à l’impact d’un corps pesant environ quatre tonnes et se déplaçant à … disons, une vitesse qui peut varier de trente à cent cinquante kilomètres à l’heure ? demanda-t-il. Et quelles sont les mesures de sécurité à prendre contre une telle éventualité ?
Il y eut un long silence lourd, puis :
— Vous plaisantez ? Une telle masse traverserait la coque comme si elle était en papier mâché. Mais même en ce cas, le volume d’air à l’intérieur de l’appareil est suffisamment important pour que les hommes aient le temps d’enfiler leurs scaphandres. Pourquoi cette question ?
Conway réfléchit rapidement. Il voulait faire exécuter un certain travail, mais il ne tenait pas à en donner les raisons. Il répondit au colonel qu’il était inquiet au sujet des grilles gravitationnelles qui maintenaient une certaine gravité artificielle à l’intérieur du vaisseau. Elles étaient tellement nombreuses qu’une section pouvait inverser accidentellement sa polarité et repousser le brontosaure, au lieu de l’attirer vers elle …
Le colonel reconnut à contrecœur que les grilles pouvaient être commutées sur répulsion et leurs champs concentrés en rayons presseurs ou tracteurs, mais que cela ne se produirait pas simplement par l’opération du Saint-Esprit. Il y avait des modules de sécurité qui …
— Je me sentirais tout de même plus rassuré si vous pouviez régler les grilles de façon à ce qu’elles soient immédiatement commutées sur répulsion si un corps très lourd tombait vers elles … Une simple mesure de précaution. Est-ce possible ?