Le colonel répondit par une autre question :
— Est-ce un ordre ? Ou êtes-vous simplement du genre inquiet ?
— C’est un ordre, je le crains.
— Alors, c’est possible.
Un cliquetis mit fin à leur conversation.
Conway alla rejoindre Arretapec. Il était bien décidé à devenir l’assistant idéal de son supérieur, et cela serait facilité par le fait qu’il aurait des réponses toutes prêtes avant même que les questions fussent posées. Il pensa également qu’il devrait agir de façon à pousser le VUXG à poser les questions auxquelles il désirait répondre.
V
Le cinquième jour de leur association, Conway mit en pratique ses projets.
— Vous m’avez affirmé que notre patient ne souffre ni d’un mal physique, ni de troubles d’ordre psychologique, dit-il à Arretapec. Je suis donc arrivé à la conclusion que vous essayez d’obtenir certaines modifications de sa structure cérébrale grâce à la télépathie, ou à d’autres méthodes du même genre. Si c’est le cas, je dispose de certaines informations qui pourraient vous aider, ou tout au moins vous intéresser.
« Sur ma propre planète, un reptile géant similaire à notre patient a vécu à l’aube des temps. D’après les restes mis à jour par des archéologues, nous savons qu’il possédait un second centre nerveux, bien plus important que le cerveau, et qui était situé dans la région de la vertèbre sacrée. Il était sans doute destiné à commander les mouvements de ses pattes postérieures, de sa queue, etc … Si c’est également le cas pour notre patient, vous devez vous occuper de deux cerveaux, au lieu d’un seul.
Tout en attendant la réponse d’Arretapec, Conway se félicita que ce dernier appartienne à une race hautement morale, qui n’utilisait pas ses dons télépathiques avec des non-télépathes. Autrement, le VUXG aurait immédiatement découvert que si Conway savait que leur patient possédait deux centres nerveux, c’était parce qu’une nuit, tandis que Conway et leur patient dormaient, et qu’Arretapec absorbait lentement un autre morceau du bureau, un de ses collègues avait subrepticement utilisé un appareil à rayons X et une caméra pour radiographier le dinosaure sans méfiance.
— Vos conclusions sont exactes, dit finalement Arretapec, et vos informations sont intéressantes. Je n’avais pas pensé qu’un être pouvait posséder deux cerveaux. Cependant, cela expliquerait les difficultés inhabituelles que je rencontre pour communiquer avec lui. Je vais m’informer.
Conway sentit à nouveau cette démangeaison renaître dans sa tête, mais à présent il savait de quoi il s’agissait, et il pouvait la supporter sans « s’agiter ». La sensation disparut, et Arretapec lui dit :
— J’obtiens une réponse. Pour la première fois, j’obtiens une réponse.
Les démangeaisons reprirent sous son crâne, et augmentèrent graduellement …
Comme Conway s’efforçait de ne pas bouger, ce qui aurait distrait Arretapec, à présent qu’il semblait obtenir des résultats, il pensait que c’était pire que si des fourmis géantes avec des mandibules chauffées au rouge mâchaient les cellules de son cerveau. Il avait l’impression que quelqu’un enfonçait des clous rouillés dans son pauvre crâne frissonnant. Cela n’avait jamais été ainsi, auparavant. Une véritable torture.
Puis il y eut un changement subtil dans la nature des sensations. Non pas une atténuation de la douleur, mais plutôt quelque chose qui venait s’y ajouter. Conway eut alors une brève vision aveuglante, comme un passage de grande musique sur un enregistrement endommagé, ou la beauté d’un chef-d’œuvre craquelé et défiguré au point d’en être presque méconnaissable. Il sut que, durant un court instant, il avait vraiment vu dans l’esprit d’Arretapec, à travers les ondes distordues par la douleur.
Maintenant, il savait tout …
Le VUXG obtint des réactions durant toute cette journée, mais elles étaient imprévisibles, violentes, et incontrôlées. Après que le dinosaure pris de panique eut piétiné un hectare de forêt, puis qu’il se fut jeté dans le lac, Arretapec fit une pause.
— C’est inutile, dit-il. Cette créature n’utilise pas ce que j’essaye de lui apprendre, et lorsque je lui impose le processus, elle est gagnée par la peur.
Les paroles, traduites, ne contenaient aucune émotion, mais Conway, qui avait eu accès à l’esprit d’Arretapec, avait conscience de l’amer désappointement du VUXG. Il aurait désespérément voulu pouvoir l’aider, mais il savait qu’il ne pourrait rien faire directement. C’était Arretapec qui devait effectuer le véritable travail, et le rôle de Conway se bornait à lui faire des suggestions. Il essayait toujours de trouver une solution à ce problème lorsqu’il rentra dans sa chambre pour la nuit. Et, juste avant de s’endormir, il pensa avoir trouvé la réponse.
Le lendemain matin, ils allèrent voir le Dr. Mannon. Ils le trouvèrent juste avant qu’il ne pénètre dans le bloc opératoire DBLF.
— Puis-je vous emprunter votre chien, docteur ? lui demanda Conway.
— Travail ou amusement ? s’enquit Mannon sur un ton méfiant.
Il était très attaché à son chien, à tel point que les membres non humains du personnel suspectaient qu’il existait des relations symbiotiques entre les deux êtres.
— Il ne lui sera fait aucun mal. Je vous remercie, docteur.
Conway prit la laisse des appendices de l’interne Tralthien qui le tenait, puis il se tourna vers Arretapec.
— Maintenant, retournons dans ma chambre …
Dix minutes plus tard, le chien courait autour de la chambre en aboyant furieusement, tandis que Conway le bombardait de coussins et d’oreillers. Soudain, un projectile fit mouche et renversa l’animal. Le chien dérapa sur le revêtement plastifié du sol, puis il se mit à pousser des aboiements frénétiques et à montrer les crocs.
Les pieds de Conway quittèrent le sol, et il se retrouva suspendu à deux mètres cinquante dans les airs.
— Je n’avais pas compris, dit la voix d’Arretapec qui était posé sur le bureau, que vous vouliez me faire une démonstration du sadisme terrien. Je suis à la fois choqué et horrifié. Vous allez immédiatement laisser cet animal tranquille …
— Reposez-moi sur le sol. Je vais vous expliquer …
Le huitième jour, ils rendirent l’animal au docteur Mannon, puis ils retournèrent auprès du dinosaure. À la fin de la seconde semaine ils étaient toujours au travail, et tout le personnel de l’hôpital parlait, sifflait, piaillait ou grognait, à propos d’Arretapec, de Conway, et de leur patient. Un jour, alors qu’ils se trouvaient dans le réfectoire, Conway prit soudain conscience que le haut-parleur qui n’avait cessé de transmettre des messages, s’adressait à présent à lui.
— … O’Mara à l’interphone. Dr. Conway, veuillez, je vous prie contacter immédiatement le commandant O’Mara le plus rapidement possible …
— Excusez-moi, dit Conway à Arretapec qui se pelotonnait sur le bloc de plastique que l’officier d’intendance avait placé sur leur table.
Il se dirigea vers l’interphone le plus proche.
— Ce n’était pas une question de vie ou de mort, lui répondit O’Mara lorsque Conway lui demanda ce qui n’allait pas. Mais j’aimerais toutefois que vous m’expliquiez deux ou trois choses. Par exemple : le Dr. Hardin est pratiquement devenu enragé parce qu’il se demande bien pourquoi la nourriture végétale qu’il plante et renouvelle si soigneusement chaque jour doit être à présent pulvérisée d’un produit chimique qui rend sa saveur moins agréable. Il se demande aussi pourquoi d’importantes quantités de végétaux possédant encore leur sapidité sont stockées dans des magasins. Que faites-vous d’un projecteur tri-dimensionnel ? Et que vient faire le chien de Mannon dans tout cela ? De plus, le colonel Skempton m’a dit que ses techniciens s’étaient épuisés pour installer les rayons presseurs et tracteurs que vous avez demandés. Cela ne l’ennuie pas le moins du monde, mais il affirme que si tous ces appareils étaient dirigés vers l’extérieur de la coque, au lieu de l’être vers l’intérieur, ce vaisseau pourrait défier et vaincre un croiseur de la Fédération.