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QUATRIÈME PARTIE :

UN DANGEREUX VISITEUR

I

En dépit des immenses ressources médicales et chirurgicales dont disposait l’Hôpital Général du secteur douze, et qui n’avaient leur égal nulle part dans toute la Galaxie civilisée, il était inévitable que, parfois, un malade ne pût être sauvé. Le patient en question appartenait à la classification SRTT : un type physiologique encore jamais admis dans cet établissement. C’était une forme de vie amibienne qui pouvait faire jaillir de son corps n’importe quel membre, organe sensoriel, ou tégument protecteur nécessaire pour affronter l’environnement dans lequel elle évoluait. Cette créature possédait un pouvoir d’adaptation si fantastique qu’il était difficile de concevoir qu’elle pût tomber malade.

L’aspect le plus déconcertant de ce cas était l’absence de tout symptôme. Aucune des manifestations apparentes propres aux maladies connues n’était visible, et les analyses ne révélaient aucun microorganisme en quantité suffisante pour être considérée comme novice. Non, le patient fondait tout simplement, proprement et sans la moindre agitation, comme un glaçon dans une pièce chauffée. Son corps se transformait en eau. Aucun des traitements expérimentés sur lui n’avait pu stopper ce processus, et tandis que les diagnosticiens et les médecins de rang inférieur poursuivaient leurs efforts pour découvrir un remède approprié à ce cas, ils commençaient à prendre conscience que la série ininterrompue de miracles médicaux, qui avaient été accomplis avec une régularité monotone dans l’Hôpital Général du secteur douze, allait se terminer.

Et ce fut uniquement pour cette raison qu’une des règles les plus strictes de l’hôpital fut transgressée.

— Je suppose qu’il vaut mieux suivre un ordre logique, dit le Dr. Conway qui essayait de ne pas fixer les ailes iridescentes et pas entièrement atrophiées de son nouvel assistant. Nous commencerons par la réception, où l’on traite les problèmes d’admission.

Conway attendit pour voir si son assistant avait des commentaires à faire, tout en continuant de se diriger vers l’objectif qu’il venait de mentionner. Plutôt que de marcher à côté de son compagnon, il maintenait une avance de deux mètres sur lui, non en raison d’un sentiment de supériorité, mais parce qu’il craignait de lui infliger de graves dommages physiques s’il s’en approchait un peu trop.

Le nouvel assistant était un GLNO : un insecte de la planète Cinruss qui possédait six pattes, un exosquelette, et la faculté d’empathie. La gravité, sur son monde natal, était d’un onzième de la normale terrestre, et c’était pour cette raison qu’une certaine famille d’insectes avait atteint une telle taille et était devenue l’espèce dominante. Il portait deux ceintures-G afin de neutraliser l’attraction qui l’aurait autrement écrasé contre le sol de la coursive. Une seule ceinture eût été suffisante, mais Conway ne pouvait lui reprocher de se montrer prudent. Le Dr. Prilicla était fuselé, d’aspect maladroit, et incroyablement fragile.

Prilicla avait acquis de l’expérience dans des hôpitaux planétaires et dans des établissements à multi-environnements, et il n’était pas un véritable « bleu », avait-on dit a Conway, mais il se sentirait naturellement perdu face a la taille et à la complexité du Secteur Général. Conway devait lui servir de guide et de mentor tant qu’il resterait responsable du service pédiatrique, puis le Dr. Prilicla le remplacerait à ce poste. Apparemment, le directeur de l’hôpital estimait que les formes de vie vivant sous faible gravité, avec leur sensibilité et leur extrême délicatesse de toucher, étaient les mieux qualifiées pour prendre soin et manipuler les plus fragiles des embryons extra-terrestres.

Comme Conway s’interposait entre Prilicla et un interne Tralthien qui passait lourdement sur ses six pieds de pachyderme, il pensa que cette idée était excellente, à condition, toutefois, que la forme de vie sous faible gravité en question parvienne à survivre à cette association avec des collègues plus massifs et moins adroits qu’elle.

— Vous comprenez que l’admission de certains patients peut poser certains problèmes. Ils ne sont guère importants lorsqu’il s’agit de petites espèces, mais pour un Tralthien ou un AUGL de douze mètres venant de Chalderscol … ( Conway s’interrompit brusquement. ) Nous y sommes.

De l’autre côté d’un panneau mural transparent, ils pouvaient voir une pièce dans laquelle se trouvaient trois grosses consoles de contrôle, dont une seule était occupée. L’être qui y était assis était un Nidien, et des voyants lumineux indiquaient qu’il venait d’entrer en contact avec un vaisseau qui approchait de l’hôpital.

— Écoutez … dit Conway.

— Veuillez vous identifier, je vous prie, disait l’ourson de sa voix hachée ( qui était traduite dans un anglais sans intonation par le traducteur de Conway, et dans un cinrusskin également dénué d’émotion par celui de Prilicla. ) Malade, visiteur, ou médecin ? Veuillez également nous indiquer à quelle espèce vous appartenez.

— Visiteur, et je suis humain.

— Donnez votre classification physiologique, je vous prie, dit le réceptionniste couvert de fourrure tout en clignant de l’œil à l’attention de Conway et de Prilicla. Toutes les races intelligentes qualifient leur propre espèce d’humaine, et ce que vous venez de dire n’a en conséquence aucune signification.

Conway n’entendit qu’en partie le dialogue qui suivit, parce qu’il essayait de s’imaginer à quoi pouvait ressembler une créature appartenant à une telle classification. Le double T indiquait que son apparence et ses caractéristiques physiques étaient variables ; le R qu’il possédait une grande tolérance aux chaleurs et aux pressions élevées ; et le S placé dans cet ordre … Si elle n’avait pas attendu à l’extérieur de l’hôpital, Conway n’aurait jamais cru qu’une créature aussi fantastique pût exister.

Et le visiteur devait être un personnage important, car à présent le réceptionniste informait de son arrivée divers membres du personnel de l’hôpital, des diagnosticiens pour la plupart. Brusquement, Conway ressentit une forte curiosité pour l’inconnu. Il aurait aimé voir cet être peu commun, mais il pensa qu’il donnerait le mauvais exemple à Prilicla s’il allait faire le badaud alors qu’ils avaient du travail à effectuer. Et, pour Conway, son assistant était lui aussi une inconnue. Prilicla pouvait être un de ces individus qui estimaient qu’observer un membre d’une autre espèce, sans autre raison que la curiosité, constituait une insulte des plus graves …

— Si cela ne devait pas porter préjudice à notre travail, déclara alors Prilicla, je vous demanderais d’aller voir ce visiteur.

« Chic ! » pensa Conway, qui feignit cependant de réfléchir à cette proposition.

— Normalement, je ne devrais pas le permettre, dit-il finalement. Mais le sas par lequel doit arriver le SRTT est proche d’ici, et nous disposons d’un peu de temps devant nous. J’estime que je peux vous permettre de satisfaire votre curiosité, à titre exceptionnel. Veuillez me suivre, docteur.

Comme il faisait un signe d’adieu à l’ourson réceptionniste, Conway fut heureux que le traducteur de Prilicla n’ait pas pu rendre le contenu ironique de ses dernières paroles, et que son assistant ne fût pas conscient qu’il s’était moqué de lui. Soudain, le cours de ses pensées fut brusquement interrompu. Prilicla, se rappela-t-il avec gêne, était un empathique. L’être lui avait dit peu de choses, depuis qu’ils s’étaient rencontrés, peu auparavant, mais il avait toujours été du même avis que Conway, quels qu’aient été les sujets abordés. Son nouvel assistant n’était pas un télépathe, il ne pouvait pas lire les pensées, mais il était sensible aux sentiments, aux émotions, et il devait en conséquence avoir perçu la curiosité qui dévorait Conway.