Le Terrien aurait voulu se battre pour avoir oublié cela, et il se demanda qui au juste s’était moqué de l’autre.
Il trouva une consolation en pensant qu’au moins son assistant était une créature agréable à côtoyer, ce qui n’avait pas été le cas pour certaines personnes avec qui il avait récemment travaillé. Le Dr. Arretapec, par exemple.
Le SRTT allait arriver par le sas numéro six, qu’ils auraient pu atteindre en quelques minutes s’ils avaient emprunté le raccourci que représentait la coursive emplie d’eau qui conduisait au bloc opératoire AUGL, et traversé le bloc chirurgical PVSJ à l’atmosphère de chlore. Mais il aurait fallu pour cela enfiler une combinaison légère de plongée, et alors que Conway pouvait y pénétrer et s’en extirper rapidement, il doutait que Prilicla, avec ses longues jambes filiformes, pût en faire autant. Ils durent en conséquence suivre le chemin le plus long, et hâter le pas.
En chemin, un Tralthien portant le brassard doré des diagnosticiens et un Terrien du service technique d’entretien les dépassèrent. Le FGLI chargeait comme un char emballé, et le Terrien devait courir pour ne pas se laisser distancer. Conway et Prilicla se serrèrent respectueusement de côté pour laisser le passage au diagnosticien ( et éviter d’être écrasés ) puis ils poursuivirent leur route. Une bribe de conversation entendue au passage leur apprit que les deux êtres faisaient partie du comité d’accueil du SRTT, et d’après le ton caustique du Terrien, ils comprirent que le visiteur arrivait plus tôt que prévu.
Lorsqu’ils tournèrent à l’angle du corridor, quelques secondes plus tard, et qu’ils arrivèrent en vue du grand sas d’entrée, Conway vit une scène qui le fit sourire malgré lui. À ce niveau, trois couloirs donnaient dans le vestibule du sas numéro six, et sur les niveaux supérieurs et inférieurs, deux autres coursives le rejoignaient par des rampes. Des silhouettes se hâtaient dans chacun de ces passages. En plus du Tralthien et du Terrien qui venaient de les dépasser, il y avait un autre Tralthien, deux chenilles DBLF, et un Illensien épineux et membraneux vêtu d’une combinaison protectrice qui venait d’émerger du corridor empli de chlore de la section PVSJ. Tous se dirigeaient vers la porte intérieure du sas qui s’ouvrait déjà sur le visiteur tant attendu. Conway trouvait cette situation éminemment puérile, et il s’imagina toute la ménagerie du personnel de l’hôpital qui se précipitait brusquement vers le même point, en même temps …
Puis, tandis qu’il souriait toujours à cette pensée, la comédie se transforma soudain en drame.
II
Comme le visiteur pénétrait dans le vestibule et que le sas se refermait derrière lui, Conway vit que c’était un être qui ne lui rappelait rien qu’il eût déjà vu. Il ressemblait à un crocodile, et possédait des tentacules terminés par des griffes. Il vit l’être reculer face aux diverses créatures qui couraient à sa rencontre, puis se précipiter soudain vers le PVSJ qui était à la fois le personnage le plus proche et le plus petit. Tous semblèrent hurler en même temps, à tel point que le traducteur de Conway ( et sans doute tous les autres ), émit des sons aigus et oscillants qui perçaient les tympans en raison de la surcharge.
Le PVSJ Illensien qui faisait face aux dents et aux tentacules aux extrémités griffues du visiteur qui le chargeait pensa sans doute à la fragilité de l’enveloppe qui maintenait son chlore vital autour de lui, et il prit la fuite dans la coursive intérieure, en quête de la sécurité de sa propre section. Le visiteur, dont le chemin fut brusquement barré par un Tralthien qui prononçait des paroles qui se voulaient rassurantes, prit lui aussi cette coursive et s’enfuit en direction du même sas …
Tous les sas de ce type étaient équipés de système de sécurité : des commandes provoquaient l’ouverture d’une porte et la fermeture simultanée d’une autre, sans attendre que la chambre antérieure fût évacuée et emplie de la nouvelle atmosphère. Suivi de près par le visiteur devenu fou, le PVSJ dont la combinaison était déjà déchirée par les dents du SRTT estima, à juste titre, qu’il risquait de mourir asphyxié par l’oxygène, et il pressa rapidement la touche de secours. Il était peut-être trop effrayé pour remarquer que le visiteur ne se trouvait pas entièrement dans le sas, et que lorsque la porte intérieure s’ouvrirait, celle extérieure le trancherait en deux …
Il y avait tant de cris et de confusion autour du sas que Conway ne vit pas celui qui eut la présence d’esprit de presser un autre bouton provoquant l’ouverture simultanée des deux portes, et sauvant ainsi la vie du visiteur. Cette action évita au SRTT d’être coupé en deux, mais elle eut pour conséquence de laisser grand ouvert le sas qui donnait dans la section PVSJ où se formaient rapidement de lourds nuages jaunes de chlore. Avant que Conway ait pu réagir, les détecteurs de contamination du corridor déclenchèrent la sirène d’alarme et provoquèrent la fermeture des portes hermétiques du voisinage immédiat. Ils étaient maintenant tous emprisonnés dans un piège mortel.
Pendant un instant de panique, Conway dut combattre le besoin impérieux de courir jusqu’aux portes hermétiques et de les marteler de ses poings. Puis il pensa plonger dans cette brume empoisonnée pour atteindre un autre sas qu’il apercevait de l’autre côté. Mais il pouvait également voir un Terrien du service d’entretien et une chenille DBLF qui s’y trouvaient déjà, tous deux tellement asphyxiés par le chlore que Conway doutait fort qu’ils pussent enfiler leurs combinaisons. Pourrait-il aller jusque-là ? La chambre intérieure de ce sas contenait des casques dont la réserve d’air permettait de tenir dix minutes, ainsi que l’exigeaient les règlements de sécurité, mais pour pouvoir l’atteindre il lui faudrait retenir sa respiration et garder les yeux fermés durant trois minutes, parce que s’il respirait une seule bouffée de ce gaz, ou si ce dernier atteignait ses yeux, il serait à jamais infirme. Mais comment pouvait-il espérer franchir l’obstacle que représentait la lourde masse grouillante des jambes et des tentacules du Tralthien qui s’agitait en tous sens, sur le sol de la coursive, alors qu’il devrait avancer à tâtons, les yeux clos ? …
Le cours apeuré et chaotique de ses pensées fut interrompu par Prilicla qui déclarait :
— Le chlore est fatal à mon espèce. Veuillez m’excuser.
Prilicla fit alors quelque chose d’étrange. Ses longues jambes aux nombreuses jointures s’agitaient et tressautaient en tous sens, comme pour accomplir une danse rituelle primitive, et deux de ses appendices manipulateurs ( dont la possession rendait les membres de son espèce célèbres en tant que chirurgiens ) effectuaient des opérations compliquées avec ce qui ressemblait à des rouleaux de film plastique transparent. Conway ne vit pas exactement comment, mais le GLNO fut brusquement emmailloté dans une enveloppe lâche et transparente d’où sortaient ses six jambes et deux manipulateurs. Son corps, ses ailes, et ses deux autres membres qui projetaient fébrilement une solution visqueuse sur les ouvertures, en étaient entièrement recouverts. L’enveloppe ample s’enfla et se tendit, prouvant ainsi qu’elle était hermétique.
— J’ignorais que vous possédiez … commença Conway, avant de dire avec un sursaut d’espoir : Écoutez, faites ce que je vous dis. Vous devez aller me chercher un casque, vite …
Mais cet espoir mourut aussi vite qu’il avait vu le jour, avant même qu’il eût terminé de donner ses instructions au GLNO. Prilicla pouvait traverser une atmosphère de chlore, mais comment parviendrait-il à atteindre le sas où se trouvaient les casques, alors que la masse grouillante du Tralthien lui barrait le passage ? Le moindre choc pourrait lui arracher une jambe, ou transpercer son fragile exosquelette comme une coquille d’œuf. Il ne pouvait demander cela au GLNO, c’eût été un meurtre.